Salem Aït Youcef, doctorant en droit
Eco Times : Votre livre traite du cavalier budgétaire, pouvez-vous nous en parler ?
Salem Ait Youcef : Le «cavalier budgétaire» est une technique très compromettante qui sert à introduire dans les lois de finances, et les lois de finances complémentaires, des dispositions législatives qui n’ont pas leurs places dans le cadre desdites lois.
Cette pratique est très dangereuse dans la mesure où elle pollue le climat des affaires de par notamment l’instabilité juridique qu’elle peut provoquer à partir du moment où des dispositions de lois fondamentales sont abrogées ou amendées par le truchement de simples articles de lois de finances…
Ce travail se veut un moyen de mettre sous les feux des projecteurs cette technique proscrite sous d’autres cieux, notamment en Europe et aux Etats-Unis, mais abusivement utilisée en Algérie au point qu’il n’existe aucune branche du droit algérien qui a pu échapper à l’influence des cavaliers budgétaires. Nous avons pu constater, dans le cadre de notre recherche, qu’il y a des décisions et/ou des orientations hautement stratégiques qui puisent finalement leurs origines des techniques des cavaliers budgétaires. Les exemples sont très nombreux : la privatisation des entreprises publiques, les activités réglementées, les autorités de régulation etc.
Cela dit, cette publication permettra, tout d’abord, aux juristes de mieux appréhender cette technique qui présente l’équation, somme toute paradoxale, d’être extravagamment utilisée mais étrangement très ignorée par les spécialistes de la matière juridique. D’un autre, côté, elle pourrait servir à sensibiliser les politiciens, notamment les députés, sur les conséquences néfastes du recours abusifs aux cavaliers budgétaires.
Y a-t-il des livres qui traitent du même sujet et qui sont publiés déjà par d’autres maisons d’éditions nationales ou étrangères ?
D’après mes recherches, il n’y a quasiment aucun ouvrage qui a traité ce thème auparavant, même en dehors de nos frontières. Même en France, le pays où ce vocable a pourtant vu le jour, il semblerait que cette thématique ne suscite pas beaucoup d’intérêt. Ceci est d’autant plus justifié que, dans ces pays, le cavalier budgétaire est, non seulement une technique prohibée, mais il est systématiquement censuré par le Conseil constitutionnel à tel point qu’aucune disposition non financière ne peut être incluse dans le projet de loi de finances.
La seule étude doctrinale sérieuse consacrée au cavalier budgétaire se limite au fameux article de Maurice–Christian Bergerese, publié dans la Chronique constitutionnelle française, revue du droit public, 1978.
Votre ouvrage introduit une nouvelle lecture du droit des affaires, de fait que ce soit non seulement un domaine relevant du domaine privé mais également de celui public…
En effet, la classification classique, qui a longtemps classé le droit des affaires dans le rang des branches du droit privé, est sérieusement remise en cause par une partie de la doctrine.
Qu’il soit libéral ou qualifié d’interventionniste, l’État s’est construit sur la maîtrise de l’économie, à assurer de tout temps un rôle de gardien du bon fonctionnement du marché et s’est même octroyé des prérogatives plus dirigistes. Le monde des affaires est par nature lié aux affaires, n’en déplaise aux plus libéraux.
Le danger tient précisément à la négation de ce lien historique et structurant. Admettre le lien, quelles que soient l’époque et la doctrine économique dominante, autorise au contraire à l’encadrer juridiquement. Et de l’encadrement juridique de l’action de l’État sur l’économie procèdent à la fois la définition des principes d’action et l’abstention de l’autorité publique et la détermination précise des instruments dont il peut faire usage. C’est l’objet du droit public des affaires qui se définit comme le droit des relations entre l’administration et les opérateurs économiques.
Suivant la nouvelle tendance de la doctrine qui fait du droit des affaires une matière partagée entre le «droit privé» et le «droit public», nous avons jugé utile d’étudier l’impact des cavaliers budgétaires, aussi bien sur le doit public des affaires que sur le droit privé des affaires en Algérie.
Il importe, par ailleurs, de préciser que, dans le cadre de cette étude, nous avons passé en revue toutes les lois de finances et les lois de finances complémentaires qui sont publiées sous l’empire de la loi n° 84-17 du 7 juillet 1984, relatives aux lois de finances, soit depuis l’année 1984 à la LF 2017. Nous avons, donc, pu recenser les cavaliers budgétaires qui s’y trouvent afin de les traiter et les classifier selon leur nature et la branche du droit auxquels ils sont identifiés.
E. T.