Dans cet entretien qu’il a accordé, en exclusivité à notre hebdomadaire Eco-Times, Karim Zaghib, le chercheur algérien le plus connu au Québec, est revenu sur la technologie qu’il vient de mettre en place dans le domaine des batteries, sur son palmarès, ô combien riche, mais aussi sur son retour en Algérie.
Eco-Times : Le gouvernement québécois vous a décerné, en 2019, la plus haute reconnaissance dans le domaine de la recherche et du développement industriel, le prix Lionel Boulet. Vos recherches ou travaux concernent la batterie lithium-ion avec des composés solides entièrement sécuritaires. Finalité : donner plus d’autonomie aux voitures électriques et un meilleur coût. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette technologie ?
Karim Zaghib : Le prix Lionet Boulet est vraiment la plus haute distinction et c’est l’un de mes meilleurs prix que j’ai eus. Ce prix «a chargé mes batteries»… Il m’a été décerné suite à mes travaux, et aussi pour ma carrière dans le domaine de la recherche scientifique depuis plus de 35 ans ! Il s’agissait plus sur les travaux sur la batterie lithium-ion à base de fer-phosphate complètement sécuritaire, qui donne un grand nombre de cycle à bas coût. A titre d’exemple, lors du «batteryday» (le jour de la batterie, un évènement mondialement connu dans ce domaine, NDRL), TESLA qui a dévoilé de nouvelles cellules de batteries à la densité énergétique renforcée, a utilisé ma technologie dans les voitures, à savoir la batterie lithium-ion à base de fer-phosphate.
Il y a aussi le stockage, l’autre caractéristique de cette technologie qu’on peut utiliser soit dans l’éolien, le solaire et aussi pour les maisons. Pour les maisons, on peut utiliser ce genre de batterie lors des coupures de courant, en Algérie, que ce soit en été ou à travers plusieurs régions telles que les montagnes.
Prix Lionel Boulet, nomination au poste conseiller stratégique au prestigieux Investissement Québec, directeur général du Centre d’Excellence en électrification des transports et en stockage (CEESTE) d’Hydro-Québec depuis 2017, participation à l’élaboration de 22 livres, 550 brevets, 60 licences et 450 publications, une reconnaissance mondiale dans le domaine de la recherche scientifique… A votre avis, un parcours remarquable et remarqué comme le votre est-il possible aujourd’hui ?
Je pense que tout est possible dans la vie. Rien n’est impossible. Je pense que pour réussir dans le domaine professionnel, cela nécessitera la persévérance, la ténacité, croire en soi- même, l’honnêteté et travailler très fort. Un succès est une suite logique ou le résultat d’accumulation des années de travail et, surtout, ne pas oublier d’aimer ce qu’on fait. Pour ma part, cela fait 35 ans que je suis dans ce domaine de la recherche sans jamais changer de sujet. C’était aussi un rêve d’enfance mais aussi avoir une passion qui déborde, apprendre à travailler en équipe.
Justement, quel est l’élément le plus important pour réussir ?
L’élément le plus important est de prendre le temps nécessaire pour s’investir dans l’éducation et dans la recherche. Il faudrait aussi avoir le sens du sacrifice (les nuits blanches, les week-ends et, surtout, la lecture…). Ce n’est pas honteux d’aller poser des questions à son enseignant universitaire et demeurer curieux. Le rêve est toujours réalisable mais juste croire en ses capacités et ses idées, voir haut et loin.
On parle beaucoup, ces temps-ci, de la diaspora algérienne vivant à l’étranger et de ses capacités à donner un plus aux efforts de recherche et de développement déployés en Algérie. Concrètement, quel apport pourrait donner cette diaspora à l’Algérie, un pays qui a toujours besoin des enfants ?
La diaspora est très importante pour l’Algérie. Il faut intégrer les membres de la diaspora et leur donner la chance de s’impliquer. Moi, je ne comprends pas qu’ici, au Canada et aux USA, les gens possèdent doubles nationalités mais qui ont accès à des hauts postes de responsabilités et, parfois stratégiques ! Ici, au Canada, il y a des Pakistanais, des Indous ou des Afghans dans le gouvernement Trudeau et ils sont ministres ! Ce n’est pas normal que dans notre propre pays, et même en ayant la nationalité dans les pays d’accueil, on n’a pas le droit ou accès à des postes de responsabilités. Alors qu’il s’agit d’Algériens qui possèdent une expérience pouvant être mise à profit pour l’Algérie. Dans mon cas, et à travers cette technologie et mes recherches, elle peut être utilisée dans le transport, dans le solaire ou l’éolien au Sahara, et ne plus dépendre des ressources naturelles fossiles. Ici, au Canada, je suis conseiller stratégique du gouvernement sur la valorisation des ressources naturelles pour l’électrification du transport et des voitures électriques. Dans le cas de l’Algérie, nous avons des ressources naturelles exceptionnelles, donc, les membres de la diaspora comme moi, nous pouvons ramener en Algérie notre expérience et expertise, en créant beaucoup d’emplois et contribuer au développement de son économie. Je pense que nous ne devrions pas nous contenter d’un rôle purement «académique» dans les universités etc., mais plutôt donner un rôle décisionnel afin de mettre en pratique l’expérience de la diaspora.
Vous êtes au Canada depuis 1995, et vous avez quitté l’Algérie en 1982 pour poursuivre vos études après l’obtention de votre baccalauréat. Comptez-vous retourner en Algérie ?
Sincèrement, après tant d’années de travail, je me sens un peu fatigué, et qu’avec un rythme de 14 à 20 heures par jour durant 35 ans, je me dis à un moment donné, je dois ralentir un peu. Pour revenir à votre question, je pourrais revenir en Algérie et rester entre 3 et 6 mois annuellement. Mon plan, actuellement, dans 2 ou 3 ans, est de rentrer et de rester toute cette période afin d’aider à mettre en place ma technologie et mon expérience. Pour mon cas, je suis prêt à aider les industriels ou les entreprises telle que Sonelgaz et Sonatrach, d’autant que dans 2 ans je serai beaucoup plus libre, et je peux même rester jusqu’à 6 mois chaque année.
Entretien réalisé par Salah Benreguia