Lamine Belbachir, opérateur dans le domaine des TIC et coach pour les sociétés et start-up
La controverse bat son plein, ces jours-ci, autour des raisons à l’origine des dysfonctionnements de l’outil internet, notamment concernant les déconnexions répétitives et la lenteur du débit. Une situation d’autant plus exaspérante pour l’utilisateur que l’Algérie semble collectionner les contre-performances en matière des TIC, et que confirment régulièrement les classements mondiaux dédiés à ce domaine. Quelles sont les raisons de cet état de fait et comment en sortir ? C’est à ces questionnements, entre autres, que tente de répondre M. Lamine Belbachir, un opérateur spécialiste dans le domaine des TIC.
Eco Times : En votre qualité d’opérateur dans le domaine des TIC et de l’hébergement internet, quelle évaluation faites-vous de la connexion internet en Algérie ?
Lamine Belbachir: Aujourd’hui, l’Internet est un moyen indispensable, non seulement pour les sociétés qui travaillent dans le domaine des TIC, mais en transversale dans tous les secteurs. Le monde étant devenu connecté, l’économie mondiale aussi, il est important d’utiliser la notion To Be or Not To Be dans ce contexte.
Il est vrai qu’il y a eu des améliorations notables depuis 2010 à ce jour, mais cela ne répond pas au besoin et à la consommation actuelle qui est devenue de plus en plus forte.
La nécessité d’avoir plusieurs opérateurs d’accès internet est primordiale pour mieux desservir le pays continent, tel que le nôtre.
Les citoyens Algériens vivent ces derniers temps au rythme des déconnexions répétitives et de la baisse du débit. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je dirai, s’agissant des lourdeurs et des difficultés d’accès à Internet, que ces perturbations sont inévitables vu la stratégie globale qui est déployée en monopole d’accès à l’internet et, surtout, eu égard à la gestion du Backbone Internet par le même opérateur historique.
On ne peut pas parler de qualité de service lorsque nous avons dans les agences d’Algérie Telecom, un seul technicien avec toute la pression qu’il subit, sachant qu’une résolution d’un problème prendrait entre 5 à 30 jours ! Je parle de cas concrets que j’ai vécus moi-même…
Le constat est là : l’Algérie est classée avant-dernière au classement mondiale (173e place), en matière de test en bande passante fixe.
Elle est à la 134e place au classement mondiale en termes d’accès internet pour les opérateurs mobiles.
A cela, s’ajoute le fait que la 4G n’est pas adéquate, le débit est très faible, les opérateurs ne respectent pas leurs engagements vis-à-vis du cahier des charges établi par l’Autorité de régulation, l’ARPCE.
Du coup, un frein économique et technologique est généré par cette situation en matière d’accès à Internet.
Le président de la République vient d’ordonner au ministère des TIC de prendre toutes les mesures à même de rétablir la situation dans ce domaine. Pensez-vous qu’il sera possible, à l’heure qu’il est, de permettre une connexion à la hauteur des besoins dans le pays ?
Oui, il est possible de remettre à niveau la bande passante, et remédier à cette catastrophe, mais avec des décisions courageuses et stratégiques qui viendraient seulement du président de la République. C’est que l’Algérie nouvelle n’encourage pas le monopole, et est celle des jeunes, orientée technologie et start-up et création de richesses.
L’Algérie nouvelle doit mettre en œuvre des pratiques avancées afin de faciliter le quotidien du citoyen, une digitalisation transversale, une facilitation d’accès à l’information et documents, et, surtout, œuvrer à bannir les pratiques de la bureaucratie dont souffrent actuellement nos jeunes.
La qualité de la connexion se pose avec acuité en Algérie. Quelles sont d’après vous, en tant que technicien, les mesures urgentes à prendre pour améliorer la qualité de service ?
Effectivement, il me semble qu’il y en a, dont :
– Créer plusieurs fournisseurs d’accès internet, (on ne peut pas développer une stratégie qualitative pour 40 millions d’utilisateurs), sinon l’investissement et le temps seront énormes, vu la taille de notre pays continent que représente l’Algérie. AT doit avoir un concurrent : le monopole n’encourage pas le développement et incite, surtout, à des pratiques de force économiquement injustifiées qui tranchent avec l’intérêt de l’Algérie nouvelle que nous souhaitons.
– Séparer le fournisseur actuel historique, Algérie Télécom, de la gestion du Backbone (réseau fibre optique) ; AT doit fournir seulement à l’utilisateur final l’accès internet.
– La gestion du Backbone devra être autonome et dévolue à une société commerciale et non militaire ou institutionnelle. Cette entité de contrôle et de gestion autonome sera en charge de la connexion équitable de tous les opérateurs mobiles, fixes, intégrateurs, data center, des sociétés spécialisées en transit IP.
– L’Algérie doit avoir ses propres PoP (Point of Presence). Nous sommes un pôle africain d’importance stratégique et nous devrions aussi être connectés au SEACOM (fibre optique africaine).
– Mise en place de plusieurs «Meet Room» (chambre de connectivité) afin de permettre de créer le GIX entre les opérateurs locaux ainsi que les sociétés spécialisées.
– Mettre en application les textes de loi de dégroupage 100 au 108 dans les meilleurs délais (le temps est l’argent pour les nouvelles technologies).
– Activation du lien MED CÂBLE qui a une grande capacité de plus de 1,4 Tbps. Pour rappel, ce lien appartient aujourd’hui à Djezzy dont l’Algérie et le FNI sont propriétaires à 51%. (un réel potentiel non utilisé).
– Mise en œuvre du lien ORVAL (Oran Alger Valence) dont le fonctionnement efficace tarde énormément.
– Contrôler les opérateurs mobiles via des tests drive, étant donné que la qualité fournie ne respecte ni le cahier des charges de la 4 G ni la couverture réseau téléphonique, et ce, même dans les grandes villes.
– Signer les contrats de CDN et cache-fichier, localement en Algérie avec les géants Google, Facebook et Youtube, ainsi que Netflix. L’Algérie consomme plus de 80 % de ces caches. Cela contribuera à diminuer notre facture d’achat de la bande passante internationale (en devises dont le pays a besoin), et surtout l’accès au contenu deviendra plus rapide pour les utilisateurs finaux en Algérie.
– Last-mile (le dernier kilomètre), ce sont les startups ainsi que les TPE qui peuvent améliorer la gestion catastrophique que nous connaissons actuellement, et permettra de réduire le temps d’intervention sur site qui va de 48 h à un mois, à moins de 2 heures d’une résolution GTR (Garanted Time Resolution). L’Internet est devenu un moyen indispensable (quasiment un droit humain).
La digitalisation revient sur toutes les langues ces derniers temps, mais le terrain renvoie une image contrastée de la réalité. Comment percevez-vous cette démarche, et quelles seront d’après vous les chances d’impulser une véritable dynamique de digitalisation dans le pays ?
Pour la transformation digitale je parlerai de 5 axes principaux :
- La formation (des nouvelles technologies).
- La ressource humaine à mettre à niveau à l’utilisation des moyens technologiques et digitaux.
- Des processus clairs à mettre en œuvre dans les systèmes.
- outils technologiques (les systèmes, ERP, CRM, portail, paiement électronique, Internet, fibres optiques, Data center …).
Et, au final, le client et l’utilisateur, et bien évidemment, dans notre cas, le citoyen qui va utiliser ces moyens pour faciliter son quotidien et améliorer l’accès à l’information et, surtout, réduire son temps d’attente et de frustration et conserver son temps sur son métier lui-même.
Cela nous permettra de gagner plus de temps et, bien évidemment, économiser le flux de trésorerie avec.
N. A.