Le secteur de la construction, particulièrement celui de l’habitat domestique, charrie depuis des décennies, l’éternel problématique de la crise du logement, mais aussi une politique d’urbanisation où prédominent anarchie, amateurisme, médiocrité, et plus grave, passe-droits, corruption émaillant ce secteur, fort lucratif. Pourquoi la persistance de tant de tares affectant la politique d’urbanisme, depuis des décennies en Algérie, et comment y remédier ? C’est à cette question que tente de répondre Mme Hassina Hammache, ingénieure experte en construction, dans cet entretien.
Eco Times : L’Etat a entrepris de grands travaux de réalisation de logements pour faire face à la crise que l’on connaît depuis des décennies. Si le manque de logements tend à se résorber, la qualité n’est pas au rendez-vous. Les imperfections sont légion, et sont érigées en règles de construction. A quoi cela est-il dû principalement ?
Hassina Hammache : Les grands programmes de logements sont destinés à une population qui a été dépourvue de tout pouvoir d’achat. On a créé un système socio-économique de telle sorte que personne ne pourra se permettre d’acquérir un logement en dehors d’une bonification de l’Etat. De ce fait, ces acquéreurs n’ont aucun droit d’exiger la qualité sur des biens qu’on leur distribue comme des présents. On ne choisit pas les cadeaux qu’on reçoit ! La qualité émerge, d’abord, comme une exigence des bénéficiaires, et ne se décrète pas derrière des bureaux.
L’Algérie est malade de son urbanisme. L’anarchie et le mauvais goût, qui affectent pratiquement tous les maillons de l’aménagement urbain et de la construction, n’aident pas les autorités concernées à faire respecter les lois de la République. Le pillage des réserves foncières et l’extension anarchique des tissus urbains ont porté à l’évidence un coup fatal à la rigueur urbanistique et à l’esthétique des villes. Y a t-il une solution ?
En l’état actuel des choses, il n’y a pas de solution. Il faudra reconstruire de vraies institutions à qui incomberont la réalisation et la gestion des cités urbaines. La décentralisation est un enjeu stratégique pour l’Algérie de demain. Mais tant que toutes les décisions, mêmes les plus élémentaires, se prennent dans des cercles très restreints (wali, ministre…), il n’y aura pas de solution.
Un gros effort a été fait pour doter nos 1 450 communes de plans directeurs d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) pour la plupart adossés à des plans d’occupation de sols (POS) très détaillés. Ces instruments d’urbanisme sont censés permettre de mieux organiser les extensions de zones d’habitat, tout en veillant à préserver du mieux possible les réserves foncières, désormais soumises à des conditions d’emprises au sol rigoureusement encadrée.
Le plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) est un instrument de planification et de gestion urbaine qui, en divisant son territoire (commune ou groupement de communes) en secteurs urbanisés, à urbaniser, d’urbanisation future et non urbanisables :
-Détermine la destination générale des sols ;
– Définit l’extension urbaine, la localisation des services et activités, la nature et l’implantation des grands équipements et infrastructures ;
– Détermine les zones d’intervention sur les tissus urbains existants et les zones à protéger (sites historiques, forêts et terres agricoles, littoral).
Quant au plan d’occupation des sols (POS), c’est un instrument issu des orientations et prescriptions du plan directeur d’aménagement et d’urbanisme. Il définit les droits d’usage des sols et de construction à la parcelle.
Les décalages observés dans l’application du PDAU et du POS sont liés aux effets des autres politiques, dont la respectabilité des textes de lois et l’efficacité de la justice auxquelles s’ajoute la principale cause de ce décalage, à savoir, le choix en 1990, sous la pression de la Banque Mondiale et du FMI, de séparer radicalement l’urbanisme règlementaire et le foncier. Durant les années 1970, nous avions d’excellents bureaux d’études d’urbanisme, comparables aux meilleurs bureaux européens, du temps où on parlait du «miracle algérien». C’est le cas du COMEDOR, de l’ECOTEC ou de l’ETAU. Comme nous sommes toujours algériens, nous pouvons en faire encore de meilleurs : il suffit de le vouloir.
La permissivité du contrôle, les passe-droits, la corruption et l’absence de sanctions, constituent autant de facteurs de relâchements qui ont encouragé des auto-constructeurs à outrepasser les règles les plus élémentaires de l’urbanisme. Que préconisez-vous pour un plus grand respect de normes de construction ?
La construction de logements est soumise aux promoteurs privés qu’il faudra encadrer par des lois et règles clairement définies (code de l’urbanisme, PDAU, POS, environnement…). L’Etat est un mauvais promoteur. Vouloir étatiser tout, c’est multiplier les rouages et les intervenants qui sont autant de facteurs qui génèrent la corruption et les passe-droits. L’Etat est là, toujours présent comme régulateur en mettant en place sous son regard, des agences qui le soulagent de ses charges, car ainsi va le bon fonctionnement de l’administration.
L’Etat n’ayant pas veillé au grain, les nouveaux constructeurs ont laissé libre court à leur imagination et à la disponibilité de matériaux de construction bon marché (ciment, fers à béton) pour faire n’importe quoi. Les terrains intégrés dans les réserves foncières à usage d’habitat étant saturés, certaines communes ont même été contraintes d’étendre leurs périmètres constructibles aux meilleures terres agricoles. Y a-t-il un remède ?
Le remède à cela est l’encouragement à l’émergence de nouveaux pôles urbains à l’intérieur du pays, loin des grandes métropoles. La construction de nouvelles villes ne doit pas rester au stade de «slogans». Pour cela, il faudra engager une vraie réflexion sur l’aménagement du territoire, en donnant un cachet spécial à chaque région en fonction des potentialités de chacune.
La démolition du bâti non conforme ou illicite est-elle la solution ?
Non, pas du tout, tant que la crise économique et sociale est toujours là.
Dès que les gens trouvent mieux ou peuvent se permettre de meilleurs cadres de vie en matière de bâti, ils vont abandonner de leur propre chef ces cités, pour des espaces où la qualité de vie est meilleure.
De manière générale, quel est l’état de la construction en Algérie en matière de normes, et particulièrement celles antisismiques.
Les normes existent et sont plus au moins appliquées dans tous les grands programmes. Elles le sont moins pour les autoconstructions, car il y a une crise économique aigue et la rareté (donc la cherté) des nouveaux matériaux de construction, comme par exemple pour l’isolation des bâtiments, fait que les gens se débrouillent selon leur pouvoir d’achat.
Entretien réalisé par Réda Hadi