Eco Times : Une année après votre installation à la tête de l’EPE Tonic Industrie, quel bilan faites-vous de l’évolution de la situation, sachant que l’entreprise avait souffert de beaucoup de carences avant votre arrivée ?
Aomar Zahar : C’est intense et laborieux. Toutefois, il faut dire que cette expérience a été très instructive, vu les difficultés auxquelles nous étions confrontés, tant au niveau du management des ressources de la société que des problèmes inhérents au front social, qui ont mis en quasi-faillite ce fleuron de l’industrie algérienne.
Nous avons mis en place un plan de redressement des plus ambitieux, tout en tenant compte des comportements parfois réactionnaires de certaines franges, qui voulaient maintenir le statu quo, et qui constituaient pour nous des «forces de l’inertie» qu’il fallait impérativement mettre hors d’état de nuire, dans le respect des lois de la République et de la réglementation en vigueur.
L’équipe dirigeante très combattive, que je salue avec beaucoup de respect, avait un objectif sacro-saint de sauvetage et de réussite. Elle n’a pas cessé un seul moment de combattre la résistance au changement qui s’est installée durablement, et qui bloquait toute action de redressement de l’entreprise, un plan d’action qui mettait fin à tous les privilèges indus, qui gonflaient une masse salariale absolument insupportable sans contrepartie de production de richesses.
Cette situation ne nous a pas empêchés de persévérer dans la mise en œuvre du plan, qui a fâché tous les privilégiés de l’entreprise et de l’environnement, qui se nourrissaient autour de l’entreprise.
Par contre, les bonnes choses ont été nombreuses en matière de réorganisation, de rigueur, de discipline et de résultats de gestion.
Depuis le début de l’année 2020, la tutelle affiche des intérêts particuliers pour tout ce qui se passe à Tonic, à travers notamment des réunions périodiques pour s’enquérir de la situation, en vue d’apporter des aides éventuelles surtout morales.
Le bilan, sans être parfait, est plus que positif car nous n’enregistrons plus de mouvements de grèves depuis la fin du deuxième trimestre 2020. L’activité a repris timidement mais elle progresse sûrement dans des proportions acceptables, mais qui sont encore insuffisantes à cause des séquelles laissées par la résistance passive et les turbulences qui existent toujours dans un climat de travail, toutefois plus serein et dynamique avec plus de visibilité.
La sécurité interne est restaurée après l’insécurité qui a sévi tout au long de l’année 2019 et le début de 2020. L‘espoir et la confiance sont revenus chez les cadres gestionnaires des unités et de l’entreprise.
En termes d’agrégats de gestion, pour la première fois on enregistre un chiffre d’affaires du mois égal à la masse salariale nette distribuée ; ce qui représente un maigre résultat encore faible mais qui amorce une progression salutaire de croissance, avec la reprise de confiance de nos partenaires notamment.
L’ancienne masse salariale distribuée par le passé représente 300% de la valeur ajoutée et financée sur des crédits bancaires, la couverture est en progression positive et nous commençons à voir le bout du tunnel.
Parlez-nous de votre plan de redressement ; notamment en ce qui concerne la filialisation ou l’autonomie…
Le plan de redressement ne contient pas uniquement le nouveau modèle de gestion des unités, il englobe une série de mesures qui s’inscrivent dans l’orthodoxie de management d’une entreprise aussi importante que Tonic. Les onze unités, qui étaient auparavant noyées les unes dans les autres et interdépendantes, ne sont plus dans la même situation à présent. La gestion précédente, qui a permis le flou et la dilution de responsabilités, n’est plus qu’un sombre souvenir, et tant mieux si maintenant l’ensemble des travailleurs adhèrent au nouveau mode de gestion et à la nouvelle philosophie de management adoptée.
La filialisation est une option, mais, par prudence, il faut passer par une gestion autonome spécifique de chaque unité, et seules les unités de production qui réussissent à l’examen de passage peuvent être autonomes. Cependant, nous avons procédé à l’ouverture d’un registre de commerce secondaire pour un échantillon de quatre (4) unités de production sur onze (11), et l’ouverture de comptes bancaires pour permettre une autonomie complète et effective, qui va permettre aux travailleurs de connaître, enfin, la valeur marchande de leurs unités et de se mobiliser en conséquence. Pour ce faire, nous avons adopté des plans et des budgets pour chacune des unités de production, dans une démarche prospective qui anticipe sur l’avenir de chaque unité de production tout en tenant compte des objectifs clairs assignés à chacune d’entre elles.
On enregistre un début difficile pour les nouveaux gestionnaires placés à la tête des unités, qui commencent à susciter des réactions positives auprès des salariés, qui reprennent confiance et de la diversification dans le choix des gammes de production et le suivi de la trésorerie à travers, notamment, un volume de créances non recouvrées par le passé.
Ces unités se mettent, désormais, dans la peau d’entités autonomes qui veillent à développer leurs propre «business», et de travailler sur des business plan spécifiques très ambitieux. C’est un excellent résultat qui augure un bel avenir, surtout lorsqu’on arrive à inculquer aux travailleurs le «compter sur soi», en dehors de la fausse solidarité intra–entreprise.
Le plan de redressement que nous avons adopté contient pas moins de trente (30) actions aussi importantes les unes que les autres, et dont l’accent et la priorité sont mis sur l’assainissement de la ressource humaine, la maîtrise de la masse salariale et la lutte contre toutes consommations excessives et dépenses superflues, qui n’apportent pas de plus-value (économie des consommation et lutte contre le gaspillage (eau, gaz, énergie électrique, carburant, fournitures de bureau et téléphone…)
L’ordre, la discipline et le respect des lois régissant l’entreprise et le partenaire social font partie de nos tâches quotidiennes. Et s’il arrive que certaines actions que nous entreprenons provoquent des mécontentements et/ou des malentendus, nos services, tant au niveau de la DRH que de la communication, veillent à mieux expliquer tant la procédure que les objectifs sains recherchés. Ayant l’intime conviction que la communication interne, externe et transversale, constitue un élément essentiel dans la gestion, nous avons depuis le début privilégié l’échange franc et direct tant avec nos collaborateurs, le partenaire social qu’avec nos clients et partenaires dans la sphère publique et économique.
Maintenant que l’on parle de reprise, peut-on dire que Tonic Industrie dispose réellement d’un potentiel qui pourra faire face à la demande du marché ?
Le potentiel est grand, pourvu qu’il soit intelligemment exploité. Avec un grand marché de papier couvert seulement à hauteur de 30% des besoins, et à moins que ça pour certains produits stratégiques, un besoin de plus de 300 000 tonnes de papier est importé, qui peut être compensé par la transformation des déchets locaux de carton et de papier très mal gérés par l’environnement et insuffisamment collectés, je dirais que nous avons bien du pain sur la planche.
L’entreprise dispose d’un outil de production impressionnant pour tout type de produit de papier, ce qui fait que nous demeurerons confiants quant à la réalisation des objectifs tracés.
Certes, vouloir faire face à tous les besoins du marché serait une prétention démesurée, par contre, des nouveaux investissements du secteur privé pourraient compenser le déficit quand on sait que plus d’un million de tonnes de déchets est disponible en Algérie ou moins de 20% du volume disponible est collecté, et le reste finit à la décharge publique.
Une initiative est en train de se construire avec le ministère de l’Environnement, pour la création d’un pôle technologique de l’environnement pour développer la valorisation des déchets et la création des PME et TPE de collecte et de transformation. Le premier pas est fait avec l’EPE GACU Spa, nous attendons le commencement effectif pour engager le processus.
En ce sens, il y a lieu de noter que Tonic possède une unité de collecte de déchets qui a à son actif plus de 18 ans d’expérience, avec un collectif de plus de 90 salariés prêts à relever le défi.
Vos ambitions pour l’international…
Le produit de Tonic Industrie est exportable sans aucune difficulté. Cela dit, si dans le passé l’activité export a connu des perturbations à cause des événements malheureux qu’a subis l’entreprise, je peux dire que maintenant, avec la mise en œuvre de la nouvelle politique de gestion, les choses ont repris leur cours normal, et les commandes continuent d’affluer. Nous avons entamé le processus de production à l’export avec un objectif de plus de 2 millions de dollars que nous avons essayé de satisfaire. Au mois d’août 2020, nous avons réalisé plus de 4 MDA d’exportation vers la Tunisie et l’Asie, et le processus est enclenché et sera soutenu tout au long de l’année 2020. L’objectif pour l’année 2021 est d’atteindre un volume destiné à l’export correspondant à 2 millions d’euros.
La direction des exportations, nouvellement créée, est encouragée à faire plus d’efforts de prospection envers les pays d’Europe, notamment, et de l’Asie, et plusieurs containers ont été déjà livrés ces derniers jours et d’autres sont en cours de préparation vers de nouveaux pays étrangers.
Quel est le message que vous voulez adresser aux travailleurs ?
J’aimerai profiter de cette tribune pour attirer l’attention des travailleurs de TONIC sur le fait que leur avenir est entre leurs mains, et que les responsables de la société ne sont là que pour leur apporter leur savoir-faire pour assurer la pérennité de l’entreprise. Sur ce, j’invite les travailleurs attachés à l’entreprise, et même ceux qui doutent encore, à patienter seulement quelques mois pour voir leurs efforts récompensés.
Entretien réalisé par Maria A.