Information économique et sociale : Une mission de service public à réhabiliter

Information économique et sociale : Une mission de service public à réhabiliter

En dehors de cercles restreints des organismes institutionnels chargés des statistiques économiques et sociales, comment est canalisée, diffusée, vulgarisée et perçue l’information économique et sociale au niveau du public ? De quels attributs bénéficie-t-elle pour que le simple citoyen l’assimile et en use, si une quelconque occasion se présente à lui ? Le premier canal par où transitent les informations économiques et sociales est bien la presse écrite (papier et électronique) et les médias audiovisuels. Les réseaux sociaux, quant à eux, peinent, dans notre pays, à se mettre au diapason d’une telle mission, préférant souvent le sensationnel et l’invective gratuite.

Par Amar Naït Messaoud

Le seul exemple de l’élaboration et de l’adoption des lois de finances illustre ce retard d’accompagnement et d’encadrement de l’information économique. Depuis qu’elle a été promulguée en 2018, la loi organique des lois de finances (LOLF) a beaucoup fait parler d’elle.

Mais, en parlant d’elle, peu d’organes d’information y ont mis un surcroît de lumière. Il a fallu des journées d’études- genre de « cours accélérés » destinés aux gestionnaires du budget de l’État-, des séminaires et des dizaines de correspondances (instructions de la Direction générale du budget, DGB), pour faire prendre le train aux trésoriers et contrôleurs financiers, désignés de façon générique du terme ‘’comptables publics’’.

Le cadrage budgétaire trisannuel, le réajustement des positions et des attributions des ordonnateurs de budget et la révision de la nomenclature générale induits par la mise en œuvre de la LOLF ont été laborieux pendant les premières années.

Ce n’est qu’au cours des années 2023/2024 que la « machine » est relativement huilée. Néanmoins, une grande partie des médias demeurent toujours presque imperméables à la nouvelle mécanique comptable qui régit le budget de l’État.

Lorsque l’occasion leur est donnée de rapporter le mode de conception, de formulation et d’inscription des projets des plans sectoriels ou communaux de développement (PSD et PCD), un certain nombre de confusions grèvent l’information à telle enseigne qu’elles déteignent sur la perception qu’en ont les citoyens et même le public moyennement instruit.

Ces médias, principalement la presse écrite, qui rapportait, dans la période de 2010 à 2018, les observations et les réserves émises par des députés ou, plus particulièrement, par les membres de la Cour des comptes qui s’exprimaient devant l’APN lors de l’examen des lois de règlement des lois de finances, LF-2 (évaluation de l’exécution de la loi de finances d’il y a deux années), au sujet de l’utilisation abusive par le gouvernement de plusieurs dizaines de fonds (comptes d’affectation spéciale, CAS), ne reviennent plus sur le sujet, aujourd’hui que ces fonds se sont fondus dans le budget général de l’État et épousent la logique du cadrage budgétaire de la LOLF.

D’autres exemples de déficit de traitement de l’information socioéconomiques par les médias persistent encore aujourd’hui d’autant plus que, de leur côté, les organes d’information pâtissent de plusieurs lacunes dont, principalement, la ressource humaine.

Dans ce contexte d’évolution de notre pays sur les plans social et économiques, où l’arsenal juridique d’accompagnement et d’encadrement des investissement a été profondément remanié (nouveau code des investissements, nouvelles lois et nouvelle structure de la gestion di foncier économique, adaptations de la loi sur la monnaie et le crédit, introduction de l’actionnariat privé dans certaines entreprises publiques [à l’image de la banque CPA], mise en conformité de plusieurs lois et règlements économiques avec l’esprit de la nouvelle Constitution adoptée le 1e novembre 2020,…), la médiatisation pédagogique (celle que l’on peut appeler de «service public») et la vulgarisation demeurent les parents pauvres de l’information économique et sociale.

LA DENRÉE LA MIEUX PARTAGÉE ET LA MOINS ASSIMILÉE

Sur le terrain de la consommation de l’information, comment est perçue la problématique ? À lire, écouter et regarder ce qui se rapporte dans ce domaine, l’information économique et sociale devient, en apparence, la « denrée » la mieux partagée, aussi bien au sein des organes d’information (journaux, sites web, TV, radio) que dans la société.

En apparence seulement, car, en réalité, peu de gens sont assez préparés, sur le plan de la formation et du suivi assidu d’un tel domaine, pour donner du sens aux chiffres, diagrammes, graphes, histogrammes, termes qui sont maniés, échangés et utilisés à tout-va.

« Austérité » (takachouf, en arabe), prix du pétrole, recettes extérieures, budget de l’Etat, licences d’importation, financement non conventionnel, loi de finances, « rationalisation des dépenses », codes des marchés publics, soutien des prix, valeur et parité du dinar,… sont les quelques notions qui reviennent, depuis quelques années pour certaines d’entre elles, souvent dans la presse et dans la bouche de ceux qui se piquent de commenter l’actualité nationale.

Le contexte s’y prête idéalement, puisque ces mots sont d’abord l’œuvre de hauts responsables et d’organismes officiels (ONS, CNESE, départements ministériels, bureaux d’études,…).

Une profusion de données qui n’ont pas l’heur de bénéficier d’éclairages suffisants afin qu’elles acquièrent du sens et qu’elles soient entendues sur le terrain opérationnel.

De leur côté, les journalistes tentent de décrypter ce genre de message et de discours. Cependant, hormis quelques organes d’information qui arrivent à tirer leur épingle du jeu, le reste s’apparente à une stridente cacophonie où s’enchevêtrent les chiffres et les semblants d’analyse.

Le moins que l’on puisse dire, est que la pédagogie de la transmission du message est loin de gagner la partie ; d’autant plus que, majoritairement, le public algérien n’a pas de tradition de traitement rationnel de l’information économique et sociale. C’est un volet de la communication qui lui paraît lourd, aride, trop académique.

Combien de téléspectateurs suivent assidument le peu d’émissions économiques diffusées sur nos chaînes TV ? Du côté des revues et magazines économiques, c’est la dèche.

Il est vrai que quelques journaux avaient pris, au début de l’«aventure intellectuelle» de la presse privée, l’initiative de créer des cahiers hebdomadaires d’économie, lesquels, presque tous, ont disparu du paysage dans le sillage de la reconfiguration de la presse.

« L’ÉCONOMIE EST L’AFFAIRE DE TOUS »

Dans le contexte du village plané- taire et de la médiatisation à outrance, les journalistes ne peuvent plus se contenter du rôle de transmetteurs neutres de l’information; ils sont de plus en plus appelés, en tant que « médiateurs » de la l’information, à faire de la vulgarisation et de pédagogie.

Cette mission est encore davantage souhaitée, voire exigée, dans un pays comme le nôtre, où, par rapport à ce domaine précis, les jeunes paraissent « déconnectés ».

Indubitablement, le déclin du niveau scolaire et universitaire, ainsi que l’hégémonie de l’usage ludique des nouvelles technologies de l’information et de la communication qu’ils ont entre les mains, sont des facteurs de «désaffection» qu’il importe de calibrer et de réajuster pour une meilleure «perméabilité» à l’information sociale et économique, laquelle recouvre tous les aspects de la vie et des services publics qui la desservent : santé, commerce, pouvoir d’achat, services administratifs, emploi, éducation, cadre de vie (AEP, énergie, assainissement ,…).

« L’économie est l’affaire de tous. Elle n’a jamais autant façonné notre quotidien. Il n’a jamais été aussi urgent de la comprendre, de la décrypter », écrit Natalie Nougayrède, directrice du journal Le Monde dans l’édition du 30 avril 2013 de ce journal.

Le déficit de communication dans le domaine économique et social est alimenté, en partie par les difficultés d’accès aux sources de l’information, et en partie par les lacunes de formation des journalistes.

On a vu parfois des notions et des concepts qui sont malmenés dans leur sémantique. On a même assisté à des taux de chômages mal exprimés, ne tenant pas compte de sa base de calcul qui est la population active.

Cette dernière notion, non plus, n’échappe pas aux amalgames, du fait que, à tort, certains la prennent comme étant l’ensemble des personnes qui bénéficient d’un emploi.

Imparablement, à ce niveau de réflexion, outre l’impératif d’assurer une meilleure formation de base aux journalistes, une autre problématique s’invite au débat : la nécessité d’aller, progressivement, vers la spécialisation. Elle deviendra, sous peu, inévitable. Elle sera l’un des facteurs qui assureront la crédibilité des médias et des journalistes.

Dans la plupart des pays développés, elle se dessine comme un axe majeur dans la production et le traitement de l’information, et, plus particulièrement, de l’information économique et sociale.

L’accès à l’information économique et sociale, crédible et qualité, est un grand challenge. Il y a nécessité d’y installer compétence, pédagogie et esprit de responsabilité, car l’information économique et sociale fait partie intégrante des bases sur lesquelles s’appuie le processus de démocratisation de la société et des institutions.

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