En Algérie, à l’inverse de la tendance mondiale, on ne mesure pas encore le poids des groupes hôteliers et des chaines intégrées dans l’industrie hôtelière de demain. Le constat est amer : moins de 5% des hôtels algériens, y compris ceux non homologués, sont affiliés à des groupes et aucune chaine intégrée nationale, de droit public ou privé, n’existe. Au même moment, l’investissement hôtelier, rien qu’en Afrique, n’est portée essentiellement par les grands groupes avec Marriott, Accor et Hilton en tête de liste.
Par Mourad Kezzar
Auteur – Consultant et formateur
en management hôtelier et touristique
Des groupes existent bien en Algérie, ils sont de droit public, de droit privé et à capitaux mixtes, mais on leur a fait adopter, et dès le départ, une organisation qui risque d’entraver leur développement.
Le paysage hôtelier algérien compte quatre (4) principaux groupes, soit deux groupes de droit public à savoir HTT et SIH, un autre de droit privé, la société EDEN en l’occurrence, et un dernier, SIAHA, qui est une société mixte à capitaux algériens et étrangers.
Configuration des groupes hôteliers en Algérie
Dans le portefeuille du plus ancien groupe hôtelier algérien HTT, on retrouve 68 unités hôtelières reparties à travers 15 EGT et 2 EGH.
Une EGT est une entreprise qui compte, théoriquement, dans son portefeuille, au moins deux hôtels. Une EGH est une entreprise constituée théoriquement, d’un seul hôtel d’affaires de haut standing. Les 68 hôtels du groupe HTT sont répartis ainsi : 19 hôtels du sud, 12 hôtels urbains, 12 hôtels balnéaires, 8 hôtels d’affaires, 8 stations thermales, 4 stations climatiques, 3 centres touristiques, 1 centre thalasso et 1 centre de bien-être. Dans la culture des professionnels algériens, chaque EGT est assimilée à une chaîne : la chaîne EGT Est, la chaîne EGT centre,… Depuis 2010, alors que des hôtels du sud leur ont été rattachés, les EGH Aurassi et EL Djazair sont aussi assimilés à des chaînes hôtelières.
Créée durant l’embellie financière de la décennie 2000, la SIH compte dans ses portefeuilles, et en toute propriété, 7 hôtels. Il s’agit de «Renaissance» Tlemcen, des Sheraton Annaba et Club des pins Alger, du Four Points by Sheraton d’Oran, du Mariott Constantine et, enfin, du Hyatt Régency d’Alger.
Le plus important groupe hôtelier à capitaux privés en Algérie est certainement ’Eden. A ce jour, le groupe Eden compte 5 hôtels. Il s’agit de l’Eden Phoenix, de l’Eden Aéroport, de l’Eden Resort & Spa et de l’Eden Village touristique balnéaire ; tous les 4 situés à Oran, ainsi que l’Eden Bel Abbes situé dans cette dernière ville.
Siaha est une association entre le groupe privé algérien Mehri et le groupe hôtelier international Accor. Il compte 7 hôtels urbains, soit 5 Ibis et 2 Novotel. Les Ibis Alger, Oran, Tlemcen, Sétif et Constantine ainsi que les Novotel Sétif et Constantine.
Groupe et chaîne : le grand amalgame
Par groupe hôtelier on entend un regroupement de deux hôtels ou plus. C’est le cas du groupe hôtelier international Accor, déjà installé en Algérie, qui compte quelques 4.800 hôtels dispatchés à travers le monde.
Par chaine hôtelière intégrée, on tend un regroupement de deux hôtels ou plus d’une même catégorie, voire même standing, voire destiné à une même clientèle. C’est le cas des chaînes Ibis, Novotel, Mercure, Sofitel,… D’où le fait qu’un groupe hôtelier comme Accor regroupe ses hôtels dans différentes chaînes tels que F1, Ibis, Novotel,… afin d’arriver à une homogénéité de l’offre. En effet, nous sommes devant des chaînes intégrées où l’on rencontre des hôtels de mêmes standings offrant les mêmes prestations standardisées. Un concept américain qui remonte aux années 1950.
Restons au groupe Accor. Il a été créé en 1967 autour d’un premier hôtel de gamme moyenne, Novotel. S’en suivra d’autres hôtels en France et partout dans le monde de gamme moyenne, auquel il a donné la marque Novotel et qu’il regroupe à ce jour dans une chaine intégrée du même nom. Pour l’hôtellerie économique, le groupe Accor a lancé sa chaine Ibis.
Les atouts de la chaîne hôtelière intégrée
Les hôtels affiliés à des chaînes intégrées bénéficient de plusieurs atouts. On peut citer à titre indicatif, trois, soit une meilleure visibilité, une maitrise des coûts et une meilleure qualité. Pour la visibilité, le secteur de l’hôtellerie n’est pas en face d’un marché mais de marchés au pluriel. Si l’on construit un hôtel, c’est pour cibler un marché parmi d’autres et une clientèle parmi d’autres. L’association de la chaine intégrée à une marque et à une gamme donnée, rend l’offre plus visible.
Pour les coûts, le concept de chaîne intégrée permet aux hôtels concernés de réaliser d’importants gains sur les coûts, que ce soit de management, de commercialisation, de distribution, d’approvisionnement ainsi que de recherche et développement. Pour la qualité, l’hôtellerie mondiale ne peut se passer de la démarche qualité. Etant donné que la qualité, au final, n’est autre que la satisfaction des attentes de la clientèle, un groupe hôtelier, filialisé en chaines intégrées, décline en direction de chaque segment la démarche qualité qui lui sied.
Les contraintes des «vrais groupes»-«fausses chaines» algériennes
De fin août 2020 à ce jour, les algériens s’essaient de plus en plus au tourisme interne. Hôteliers et agents de voyages remarquent qu’à chaque nouvelle offre, le client potentiel demande des photos de l’hôtel… sauf quand il s’agit de séjours dans un hôtel d’une chaine intégrée. A travers ce constat, la preuve est donnée que nos hôtels, y compris ceux affiliés à des groupes, manquent de cette visibilité offerte par les chaines intégrée, dans un marché de plus en plus varié et concurrentiel. Le concept de chaîne intégrée permet aux hôtels IBIS d’acheter en gros, à titre d’exemple, les mêmes produits d’accueil, mais ce n’est pas le cas des hôtels de HTT, EDEN… Même les EGH, appelées chaînes, ne peuvent pas profiter de ce concept. Pire, acheter en gros les mêmes produits d’accueil par la chaîne El Djazair pour l’hôtel éponyme ainsi que le Gourara, le Kerdada, le Caïd et le Saoura qui lui sont rattachés, devient un surcoût. Faire du e-tourisme, devenu incontournable, sur une même plate-forme pour le produit El Aurassi et celui des hôtels Rym, Mehri et El Boustene qui lui sont rattachés, risque de faire dérouter le client potentiel au lieu de le capter. Entre temps, opter pour autant de plates-formes que d’hôtels a un coût.
Si la qualité est la satisfaction du client compte pour beaucoup, il est inconcevable, à titre d’exemple, que la même démarche qualité appliquée au sein de l’EDN Phoenix soit appliquée au sein de l’EDEN village. Du coup, si le Sheraton d’Oran bénéficie de la mutualisation de la démarche qualité de la chaine intégrée, chaque Eden est appelé, lui, à investir dans sa propre démarche…
Autre exemple, tous les IBIS d’Algérie, peuvent proposer le même petit-déjeuner, aux mêmes standards et normes, avec des approvisionnements mutualisés alors que chacun des hôtels urbains économiques du groupe HTT propose son propre petit déjeuner, dans l’improvisation, avec des efforts d’achats dispersés.
Pistes d’un plan de redéploiement à moyen terme
Le groupe SIH bénéficie indirectement des atouts des chaines intégrées du fait que tous les établissements qu’il détient dans son patrimoine sont, soit gérés soit franchisés par des chaines intégrées affiliés à Marriott et Hyatt Hôtels.
Malgré cela, la SIH n’est pas une chaine et ne peut pas jouer, pour le moment, le rôle dévoué aux chaines intégrées dans le développement de l’industrie hôtelière du pays.
Dans le groupe HTT, des 68 établissements, seul 3 hôtels (Sofitel et mercure d’Alger ainsi que le Panoramique de Constantine) bénéficient des avantages, à déterminer, liés à leur affiliation à des chaînes intégrées.
HTT reste, ainsi, le plus important groupe hôtelier du pays et ses hôtels ne pourront pas continuer à affronter sur le marché concurrentiel, les hôtels des autres chaines intégrées.
Le pire est que, demain, HTT sera déplumée de son parc hôtelier par le détour des contrats de franchise.
Le CPE, le conseil d’administration de HTT, et son top management sont certainement conscients que l’actuelle structuration géographique (EST, Oran, Annaba, Kabylie…) du groupe public historique est dépassée. Elle date des années 1980.
A notre sens, et je peux me tromper, les nouvelles chaines intégrées du groupe seront créées, soit selon la motivation du séjour (affaires, professionnels, balnéaires, termes…), soit selon un combiné motivation-gamme (hôtellerie économique, hôtellerie de gamme moyenne, hôtellerie sup, hôtellerie d’affaires, hôtellerie du sud et complexes thermales…). Seule une étude bien élaborée tranchera. On parle beaucoup de rénovation pour essayer de préserver les actuelles parts de marchés et capter de nouvelles parts, mais soyons sûre que sans organisation en chaine intégrée, les 12 hôtels balnéaires de HTT, et à titre d’exemple, et malgré toute la volonté du personnel et des managers, seront démunis face aux hôtels des chaines intégrées agissant sur le marché de notre voisin de l’est. Sans une chaîne intégrée, les hidab, Chelia, Kalaa… seront chassés du marché par les IBIS et Novotels.
Pour le capital privé, à travers le groupe EDEN, il est à la croisée des chemins. L’embellie des années 2000 fait désormais partie du passé, et l’objectif n’est plus de se développer mais de bien se développer. Le groupe EDEN peut bien se restructurer par des acquisitions–cessions et passer à une chaîne intégrée s’il compte continuer son expansion.
La crise de 2014, conjuguée à la crise sanitaire toujours en vigueur a lourdement impacté le secteur de l’hôtellerie à l’instar de celui des transports. On ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’hôtellerie algérienne de demain. M. K