L’activité commerciale est en berne en cette période estivale dans le pays. Tirée essentiellement vers le bas par le net recul de la consommation. Des commerçants, des grossistes, des restaurateurs et autres services affirment que leur chiffre d’affaires est toujours inférieur et loin de son niveau de 2019. Ces derniers indiquent qu’après la crise sanitaire de Covid-19, et avec les mesures draconiennes visant à limiter sa progression, «Nous sommes opposés maintenant à un autre phénomène, à savoir la baisse du niveau de la consommation. Les gens se contentent seulement de l’achat de l’essentiel et avec des quantités modérées».
Par Akrem R.
La dégringolade du pouvoir d’achat des ménages suite à la hausse vertigineuse des prix, dont certains prix de produits issus de l’importation ont doublé, voir triplé, sont les véritables raisons de ce recul de la consommation qui reste un levier essentiel de la croissance économique et de dynamisation de l’activité commerciale.
Il faut signaler que la chute du pouvoir d’achat s’est exacerbée ces deux dernières années. Les prix des équipements électroniques ont pris de l’envol puisqu’un climatiseur qui était vendu à 21.000 DA coûte actuellement 80.000 DA, soit une augmentation de 400%. La viande rouge a dépassé les 2.400 DA le kilo, soit une augmentation de 200%. Quant aux tarifs des hôtels et autres restaurants, ils sont inabordables. En fait, tout est devenu très cher…
Changement des habitudes de consommation
Sur ce point, l’expert en économie, Pr Mourad Kouachi, a expliqué que ce recul de l’activité commerciale est dû principalement au recul de la demande d’une manière générale. «La diminution de la demande s’explique, d’une part, par une inflation galopante à cause de la hausse des prix des marchandises et services.»
D’autres parts, la stagnation des salaires qui n’ont pas connu de modification depuis des années, contribue à aggraver l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens. Les derniers ajustements opérés par le gouvernement sont avérés insuffisant et n’étaient pas à la hauteur des aspirations des travailleurs», souligne-t-il, en expliquant que la hausse des prix, la stagnation des salaires sont les deux raisons principales dans la régression du pouvoir d’achat des ménages et du facto du recul de la demande et des ventes.
Cette situation est visible sur le terrain. Il suffit d’effectuer une virée dans un marché de fruits et légumes, un restaurant ou un magasin des vêtements pour constater de près un changement dans le comportement des consommateurs.
Ces derniers se passent de plusieurs produits et se limitent aux nécessaires. Un propriétaire d’une cafétéria à Bejaïa témoigne sur ce nouveau comportement des visiteurs de la ville des Hammadides notamment durant cette saison estival. «Il y a beaucoup de monde qui transite notre ville durant cette été comparativement à l’été dernier, mais la consommation est dans plus bas niveau. Notre chiffre d’affaires a connu juste une légère augmentation par rapport au reste de l’année!», déplore-t-il. Même son de cloche chez un restaurateur: «Notre activité a connu, certes, un semblant reprise mais très lente comparativement aux années précédentes où l’essentiel de notre chiffre d’affaires est réalisé durant la saison estivale. Ce ne sont pas les visiteurs et les touristes qui manquent, mais c’est le pouvoir d’achat qui est en net recul. Les gens ont réduit au maximum leurs dépenses!».
Plaidoyer pour une politique de redressement économique
Il est à noter que des mesures importantes ont été prises par le gouvernement afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages, surtout ceux à faible revenu, en procédant à une révision de la note indiciaire de la grille des salaires, la suppression de l’IRG sur salaires et également la suppression de la TVA sur certains produits alimentaires. Des décisions importantes certes, mais qui restent encore insuffisantes. «En tant qu’expert, je préconise de procéder, comme solution primaire, à une profonde révision de la grille des salaires dans notre pays, en l’adaptant à la réalité du marché et d’accompagner cette mesure par un vaste programme de relance économique. La révision à la hausse des salaires sans une dynamique économique, fait courir le risque des phénomènes inflationnistes. Il y aura une forte demande et moins d’offre. Je dirais qu’il faut revoir les salaires et en même temps amorcer une relance économique afin de produits en quantités suffisantes», a expliqué Pr Mourad Kouachi.
Affirmant que la situation financière du pays s’est nettement améliorée, notamment suite à la hausse des prix du gaz et du pétrole sur le marché mondial, notre interlocuteur a plaidé la mise en place d’une politique économique urgente pour stimuler la consommation. Premièrement par une véritable révision à la hausse des salaires et deuxièmement par la mise en œuvre d’une politique pour le lancement de projets d’investissements pour l’absorbation des taux du chômage et de l’inflation qui sont à des niveaux important. Sur ce, il a recommandé également la subvention par l’Etat de certains produits et matériaux, à l’instar du rond à béton, dont le prix d’un quintal est de 15.000DA! Un prix qui a mis pratiquement à genou le secteur du bâtiment. Des centaines de milliers des travailleurs sont en chômage à cause de l’arrêt des projets de construction. L’intervention de l’Etat, dira-t-il, en plafonnant les prix de l’acier par exemple permettra à ce secteur de se relancer et la reprise de l’activité pour ces travailleurs.
A. R.
Ishak Kherchi, expert en économie : «Il faut simplifier l’octroi des crédit à la consommation»
L’expert en économie, Ishak Kherchi, a expliqué le recul de l’activité économique et commerciale du pays est due essentiellement à la crise mondiale. Actuellement, il y a beaucoup de perturbations sur les marchés mondiaux, notamment en matière d’approvisionnement et transport de fret. «Les quantités de marchandises importées par l’Algérie sont en baisse pour cause des bouleversements que connait le monde, dont la production des grandes puissances et fournisseurs mondiaux est fortement impactée suite à la hausse des prix du gaz et pénurie de matière première.
Donc, il y a moins de marchandises sur les marchés et à des prix élevés. L’autre raison, c’est la politique anti-importation menée par notre gouvernement. Tout cela a déréglé la chaîne commerciale. Le commerçant n’a pas de marchandises à proposer à la vente. En somme, l’activité des commerces n’est pas tirée vers le bas par la consommation mais par l’offre. À titre d’exemple, l’activité de pièces de rechanges est pratiquement à l’arrêt. Tous simplement parce qu’il n’y a pas de marchandises à proposer à la vente ; et si elle (la pièce) existe, son prix est hors de portée!», détaille l’enseignant universitaire.
En clair, le recul de l’activité commerciale dans notre pays est lié à des facteurs découlant des perturbations du marché mondial et également à l’approche de notre gouvernement visant à la réduction de la facture des importations notamment pour les secteurs dont la production nationale couvre entre 60 à 70% du marché algérien.
Pour notre interlocuteur, la baisse de la consommation est justifiée par les pénuries que cannaient certains produits et par la hausse vertigineuse des prix. Il a indiqué que la stimulation de la consommation passe par un encouragement de la production. Un aspect que l’Etat accorde une grande importance, dira Kherchi, en notant plus de 900 projets d’investissement ont bénéficié de lever de gel ; dont 500 sont déjà en phase de production.
«Le seul moyen pour stimuler davantage la consommation est l’augmentation de l’offre sur le marché. Il y a des techniques à suivre dans ce cadre. Le secteur bancaire doit jouer son rôle en simplifiant l’octroi des crédits à la consommation pour les ménages et également des crédits d’exploitations pour les producteurs et commerçants. Nous avons un stock important en cartes de paiement (CIB), je propose que ces dernières deviennent également des cartes de crédits. Ceci facilitera au consommateur de contracter des crédits à la consommation, même chose pour le producteur et commerçant.» «L’augmentation de l’offre de marchandise sur le marché nécessite des fonds. Sans cela, l’offre se compresse, le prix augmente et la consommation baisse», conclut-il.
Propos recueillis par Akram R.