Hacène Derrar : « La stratégie nationale de transformation numérique doit être suppléée par une organisation adaptée à sa gouvernance»

Hacène Derrar, ancien directeur général de la Numérisation au ministère de la Numérisation et des Statistiques

Hacène Derrar a occupé le poste de directeur général de la Numérisation au ministère de la Numérisation et des Statistiques et celui de Secrétaire général de ce même ministère. Hacène Derrar est maître de conférences à l’Ecole nationale supérieure de management (ENSM). Il est titulaire d’un doctorat en intelligence artificielle et bases de données avancées, et diplômé d’un MBA en management et stratégie des entreprises de l’université Wersford-Genève (Suisse). Dans cet entretien, il nous livre ses compétences orientées plus particulièrement dans les stratégies de transformation numérique et dans les systèmes d’aide à la décision, en mettant en valeur les chantiers auxquels il a assisté et dans lesquels il s’est impliqué en tant que cadre de l’Etat, soulignant pertinemment les solutions appropriées à chaque volet de la transformation numérique, notamment dans le domaine de l’IA.

Entretien réalisé par Zoheir Zaid

Eco Times : Vous avez occupé le poste de directeur général de la Numérisation au ministère de la Numérisation et des Statistiques. Quels sont les importants chantiers numériques auxquels vous avez pris part durant cette période ?

Hacène Derrar : Les principaux objectifs du programme de développement du secteur de la numérisation et des statistiques, conformément au programme du Président de la République, visent à réussir la transformation numérique, améliorer le service public, le développement de l’information statistique et le renforcement du système national statistique tout en s’inscrivant dans une démarche transversale, collective et mutualisée.

Il s’agissait, dans le cadre des missions et attributions de la Direction Générale de la Numérisation, de mettre en place d’abord une feuille de route pour la concrétisation de ces ambitieux objectifs, sur la base des considérations suivantes :

Les missions et attributions du ministère de la Numérisation et des Statistiques,

L’analyse de l’état des lieux en matière du numérique, par l’évaluation du degré de préparation des institutions et administrations publiques à la transition numérique.

Les tendances qui se profilent en matière de numérisation à l’échelle régionale et mondiale.

Pour concrétiser les éléments fondamentaux de cette vision, la Direction générale de la Numérisation a identifié et a entamé la mise œuvre de grands projets articulés autour de quatre axes prioritaires :

1. Poursuivre les actions permettant d’asseoir un environnement pour soutenir latransformation numérique sur les plans réglementaire, organisationnel, financier et technologique ;

2. Le développement de l’e-gouvernance et l’accélération de la numérisation de l’Administration pour l’amélioration rapide de la qualité du service public ;

3. La mise en place d’un écosystème favorable au développement de l’économie numérique et à l’émergence d’une véritable industrie du numérique innovante et créatrice de valeur ;

4. Œuvrer pour une citoyenneté numérique favorable pour l’émergence d’une culture et d’un comportement numérique.

La stratégie nationale numérique, participative et inclusive. Qu’en est-il au juste ?

Une analyse de l’état des lieux de la numérisation en Algérie a fait ressortir principalement un niveau de numérisation différencié d’un secteur à un autre, dicté par des choix technologiques et structurels variés. Ceci n’impacte pas suffisamment le mode de gouvernance et la vie économique et sociale.

Un cloisonnement des services publics en a découlé, dû à l’absence de connexion entre les différentes bases de données, et surtout une redondance des informations avec un manque de fiabilité et de pertinence dans le processus de prise de décisions.

L’absence d’une stratégie nationale à long terme de la numérisation en est principalement la cause.

C’est ce décor planté qui a incité à l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie du numérique à inscrire dans une approche participative, collaborative, incrémentale et continue gérés par objectifs et par résultats avec un suivi régulier.

Dans ce contexte, la mise en place, sur instruction du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, du Haut-Commissariat à la Numérisation (HCN), est à souligner.

Dès sa création, le HCN, rattaché à la présidence de la République, a procédé à l’élaboration de la stratégie nationale de la Transformation Numérique, prouvant son rôle déterminant dans le développement du volet socio-économique de l’Algérie.

Les importateurs de papier sont parmi les ‘’victimes’’ de la transformation digitale. Ont-ils été sensibilisés aux enjeux de celle-ci et de l’objectif du « Zéro papier » ou « moins de papier possible » ? La transversalité de la transformation digitale est indéniable. Comment cela peut-il devenir un acquis ?

La réussite de la transformation numérique, qui est de nature transversale, requiert une meilleure coordination entre les institutions et un véritable partenariat public-privé.

Le but étant l’intégration et l’échange des données et une meilleure rationalisation et mutualisation des ressources, renforcée par un écosystème devant accompagner le gouvernement dans sa volonté d’accélérer la transformation numérique.

Or, en l’état actuel, le développement de la numérisation s’est effectué selon une vision sectorielle en silos, ce qui entrave le développement cohérent de la numérisation en Algérie.

Pour face à cette situation et permettre, entre autres, la mise en œuvre de l’interopérabilité entre les bases de données sectorielles, selon le référentiel national, objet du Décret exécutif n° 19-271 du 07 octobre 2019 relatif au référentiel national d’interopérabilité des systèmes d’information, et un accès unique et une exploitation réelle des services publics numérisés, le HCN a lancé la réalisation du Centre National des services publics numériques, pilier indispensable pour insuffler une dynamique nouvelle quant à l’accélération et la réussite de la transformation numérique en Algérie.

Au-delà du constat, qui fait d’ailleurs consensus au sein du milieu des acteurs du numérique, selon lequel la stratégie numérique en Algérie peine à faire valoir ses bons résultats, qu’est ce qui grince qui empêche que cela décolle, à votre avis ?

Tout simplement parce que l’Algé- rie ne disposait pas jusqu’à maintenant de véritable stratégie dans le domaine du numérique.

La seule stratégie qui a été élaborée est celle dénommée e-Algérie 2013, a été un véritable plan quinquennal (2009- 2013).

Cette stratégie, qui préconise un plan d’action, articulé autour de 12 axes majeurs, visait à renforcer les performances de l’économie nationale, des entreprises et de l’administration.

Mielleusement cette stratégie n’a pas pu être réellement concrétisée à cause notamment de l’absence d’une entité de haut-niveau en charge du suivi de sa mise en œuvre.

Cependant avec la création du HCN, la stratégie nationale de transformation numérique en cours d’approbation par les plus hautes autorités de l’Etat devait être gratifiée de succès.

Il suffit qu’elle soit supplée par un plan d’action avec une définition claire et précises des moyens humain, matériel et financier et les échéanciers ainsi que la mise en place d’une organisation adaptée de sa gouvernance.

Les acteurs du numérique, à la composante encore minime et peu structurée, n’arrivent pas à avoir leur droit de cité dans la stratégie nationale numérique. Quel est votre avis là-dessus ?

Effectivement, à l’exception du Groupement Algérie des Acteurs du Numérique (GAAN), l’Algérie déplore un manque de représentations des acteurs du numérique, organisées autour d’association ou de Think-Tank capables d’accompagner l’Etat dans ses efforts visant la réussite de la transformation numérique.

Les experts activant dans le domaine agissent souvent d’une manière unilatérale et ne parviennent pas à s’organiser autour d’entité capable de capitaliser leurs savoirs autours de projets globaux.

En ce qui concerne la participation dans l’élaboration de la stratégie nationale de la transformation numérique, à ma connaissance, le HCN a privilégié une démarche participative et inclusive à travers l’implication de l’ensemble des acteurs activant dans le domaine de la numérisation en Algérie.

Comme l’attestent ces journées qui ont vu l’implication de plus de 300 participants, y compris les spécialistes de la diaspora algérienne établie hors du territoire national.

L’événementiel, qui tente d’apporter sa « part du colibri » au développement et à la diffusion de la « Culture numérique », est-il suffisant de la manière dont-il se fait actuellement ?

Nous avons assisté ces dernières années à l’organisation d’un nombre important d’évènement et de manifestations scientifiques sur la numérisation, à l’image du CTO-Forum, ICT Maghreb, Digital African Summit, PROGED.

Ces événements sont importants pour vulgariser les technologies du numérique et sensibiliser sur l’apport de celles-ci comme vecteur de modernisation et de développement socio-économiques.

Cependant, il serait plus utile d’élargir l’organisation de ces évènements au niveau d’autre wilaya du pays, à l’image de PROGED qui se tient à Hassi-Messaoud (wilaya d’Ouargla), et de diversifier la composante des participants (entreprises et conférenciers) pour qu’ils fassent connaitre leur projet et leur savoir-faire.

Il faut aussi un bon suivi post-événement pout que les recommandations émises soient concrétisées sur terrain.

Cela va vite, surtout depuis que l’intelligence artificielle (IA) a inondé l’information sur les réseaux sociaux et médias tous supports confondus. N’est-il pas urgent de mettre les bouchées doubles, notamment en matière réglementaire pour faire avancer les choses dans le domaine du numérique ?

C’est une question très importante. Elle soulève un enjeu majeur de la transformation numérique, à savoir la régulation de l’intelligence artificielle.

L’évolution du numérique via l’IA aura un impact significatif sur nos modes de vie, nos modèles économiques et sociales.

La désinformation, la manipulation de l’opinion publique, les atteintes à la vie privée sont autant de risques qui nécessitent un cadre réglementaire adapté.

L’Algérie a promulgué la loi 18-07 relative à la protection des données à caractère personnel.

Cependant, il est cependant urgent, à mon sens, de le compléter par des textes réglementaires favorisant et encourageant le développement d’une IA éthique et responsable tout en maintenant la confiance du public dans les technologies numériques.

Cependant, force est de constater que la rapidité de l’évolution technologique, notamment dans le domaine de l’IA, rend l’acte de légiférer très difficile.

Par ailleurs, une restriction réglementaire freinerait l’innovation et rendrait les sociétés technologiques peut compétitives à l’échelle régionale et internationale.

Comme la transformation numérique, la régulation de l’IA exige une approche participative et inclusive, via le juste équilibre entre la protection des individus et les intérêts de l’Etat, d’une part, et la promotion de l’innovation et la compétitivité de nos entreprises et le développement socio-économique, d’autre part.

Z. Z.

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