Par Lyazid Khaber
La crise que nous vivons présentement ne doit laisser aucun circuit à l’écart. Le Gouvernement rattrapé par la baisse vertigineuse des rentes pétrolières, ne cesse de chercher les moyens à même de faire face aux effets néfastes d’une telle situation. Ainsi, et après les mesures prises pour la mobilisation des moyens financiers, il est intéressant de se poser –encore une fois- la question de savoir quel rôle doivent jouer les PME…
Les PME qui, normalement doivent être le pivot du développement, continuent à constituer le maillon faible de notre économie. En effet, les initiatives allant dans le sens de la mise à niveau des entreprises algériennes ne datent pas d’hier. Plusieurs plans ont été initiés, depuis au moins 2002, mais pour des résultats qui laissent encore à désirer. Ce sont là, d’autre part, des dizaines de millions d’euros qui ont été déboursés depuis la mise en œuvre du premier plan, MEDA I. Les responsables à plusieurs niveaux, de la chefferie du gouvernement jusque dans les organismes chargés du suivi, n’en reviennent pas eux qui reconnaissent que le chalenge n’a pas été réussi. Pourtant, d’aucuns veulent recommencer…
Tout récemment, et depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, la PME revient sur toutes les langues. Il y a quelques jours à peine (18 février 2021), le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane a supervisé le lancement officiel du Fonds national d'investissement, créé, pour rappel, dans l’objectif de «diversifier les offres de financement destinées aux PME pour répondre aux besoins de financement exprimés dans leurs différentes étapes de croissance et renforcer le niveau de capitalisation, ce qui augmenterait leur durabilité auprès des établissements bancaires», selon le ministre.
Le fonds en question, issu d'un partenariat entre la Banque nationale d'Algérie (BNA) et la Banque extérieur de l`Algérie (BEA), détient un capital de 11 milliards de DA. Inscrit au plan du gouvernement, dans son volet relatif à l'accompagnement des investisseurs économiques dans les projets de développement et d'élargissement de leurs activités, à travers notamment la mise en place des moyens de financement adéquats. Mieux encore, pour le ministre des finances, cette démarche «constitue un axe principal dans la réforme bancaire et financière», ajoutant qu’elle «contribue à la diversification des moyens de financement de l'économie qui comprend le développement des mécanismes de financement classiques et l'introduction d'outils de financement alternatifs pour parachever les offres de financement bancaires et permettre d'augmenter l'intégration financière.»
Nécessité de revoir le cadre juridique
Toutefois, si le ministre mets beaucoup d’espoirs dans la fiabilité de la nouvelle démarche du gouvernement, il ne manque pas de reconnaitre suite à l'analyse du tissu national des PME, il s’avère que «ces entreprises sont souvent confrontées à un manque de capitaux entravant leur plans de développements et la levée des fonds auprès des institutions bancaires.» Ceci dit, et de l’avis même des différents spécialistes qui se sont penché sur la question, il y a nécessité de revoir le cadre juridique des activités des sociétés de capital d'investissement, et d’améliorer l’environnement des PME en accordant des facilitations qui leur permettront d’évoluer dans un cadre saint.
Du côté du gouvernement, l’idée est déjà en marche puisque une étude a déjà été lancée pour l'amélioration du cadre juridique et réglementaire concernant le volet financement, à travers notamment la révision de la loi 11-06 de 2006 relative aux sociétés de capital investissement ainsi que l'ordonnance 08-96 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières. «Cette révision a pour objectif de créer une climat favorable à cette activité en vue de mettre à la disposition des opérateurs algériens une large gamme d'outils de financement avec des couts raisonnable à même de permettre de développement un tissu industriel national concurrentiel», estime le ministre des Finances.
«Le caractère participatif des produits fournis par les sociétés de capital investissement qui contribuent au renforcement des capitaux d'entreprises, sont idéales pour le tissu industriel local constitué principalement de PME en quête des capitaux pour développer leurs activités», a-t-il poursuivi.
Dans ce cadre, le premier argentier du pays a appelé les deux banques publiques (BNA-BEA) à «accélérer le lancement de l'activité du fonds par la mise en place de structures réglementaires, des ressource humaines et des mesures pratiques conformément aux normes de la profession capital investissement», soulignant l'importance de voir le fonds constituer «un model permettant de renforcer ces initiatives à l'avenir par les opérateurs privés».
Pour les initiés, cette démarche peut constituer un début de solution et un moyen de voir les PME reprendre la place qui est censée être la leur. Toutefois, d’aucuns pensent que cela ne suffit pas, et c’est pour cette raison qu’il est utile de rappeler les expériences passées, laquelle, en dépit de leur caractère ambitieux, n’ont pu avoir qu’un impact insignifiant sur le développement des PME.
Mécanismes inopérants…
L’Algérie a lancé plusieurs programmes de mise à niveau au bénéfice des PME, depuis au moins un quinzaine d’années. Des fonds conséquents ont été mobilisés et les institutions de l’Etat ont presque toutes, été mises à contribution. Le premier programme, MEDA I, lancé en 2002, avec le soutien de l’Union européenne, était doté de 42 millions d’euros, la seconde version du même programme, MEDA II, est financée à hauteur de 80 millions d’euros et celui du gouvernement, doté d’un milliard de dinars (10 millions d’euros) alloué à chaque loi de finances, fut confié au ministère en charge de la PME. Mais, comme ce secteur -pourtant névralgique- a depuis le temps été balloté entre différents départements (relié d’abord à l’artisanat puis à l’investissement et à l’industrie), se trouve toujours en queue de file en termes d’évolution. C’est vrai, même avec tous les fonds alloués, la moisson est maigre, voire dérisoire.
Ainsi, donc, «Si on devait faire un bilan de ce qu’a été la mise à niveau, nous n’avons pas réussi ce challenge.», dira une source proche du dossier. «Les mécanismes n’ont pas répondu aux attentes. Nous n’avons pas installés les différentes étapes pour que cette mise à niveau soit continue. Nous ne sommes pas encore arrivés à une véritable mise à niveau de nos entreprises», ajoute-t-on. Ceci dit, l’Algérie a accusé un énorme retard en matière de mise à niveau des PME.
Ainsi, et même en l’absence de bilans exhaustifs des précédentes actions, le gouvernement a lancé un autre programme de mise à niveau en direction de 20.000 PME dans le cadre du plan quinquennal 2010-2014, soit 4.000 PME par an. Lequel plan qui, faut-il le rappeler, projetait la création de 200.000 PME, soit 30 PME pour 1.000 habitants.
En 2015 et 2016, et poursuivant toujours le même objectif, le gouvernement, de l’époque, qui n’ignore pas l’échec des opérations précédemment engagées, s’est fait comme point d’honneur d’agir au mieux pour rendre aux PME la place qui est la leur dans l’échiquier économique national. En effet, le plan d’action du gouvernement insistait sur le fait que le secteur de l'industrie restera le moteur de l'économie nationale et le vecteur de son expansion, à travers le développement des capacités industrielles, la promotion de l'investissement et le soutien aux PME. Dans ce cadre, il est dit que le gouvernement veillera à la concrétisation de l'objectif de création de nouvelles PME, notamment par le développement des capacités de sous-traitance.
Inflation de PME, pourquoi faire…
Il est à rappeler également dans ce contexte, ce que pensait l’ex-président du Conseil national consultatif de la PME (CNCPME) Zaïm Bensaci, estimait que «Créer 2 millions de PME c’est possible à condition de mettre en place une véritable stratégie industrielle et de sortir du cercle infernal de l’import-import». Pour ce qui est du programme de mise à niveau des PME, M. Bensaci a appelé à le «revoir carrément et le corriger de telle sorte que nos PME deviennent plus attractives sur tous les plans».
C’est là, une suggestion qui n’a pas eu tout l’intérêt qu’elle mérite, puisque si les précédents gouvernements ont tenté d’intégrer un «système de suivi qui permettra de veiller à son application et d’apporter les ajustements nécessaires, favorisant son succès», les faits indiquent le contraire. Ainsi, «L’analyse spatiale des PME a montré le déséquilibre dans les dynamiques d’implantation de ces dernières, dont la logique d’implantation est plus portée sur le littoral, obéissant ainsi à l’effet d’aspersion et d’entrainement», d’où la nécessité de remédier aux différentes carences enregistrées.
Pour ce faire, un rééquilibrage régional a été suggéré, pour les nouvelles implantations de PME pour des objectifs clairs qui se déclinent comme suit : «La contribution passera de 60,31 % à 50% pour les PME du Nord, de 29,92% à 36% pour les PME des Hauts‑Plateaux, de 9,76% à 14% pour les PME du Sud».
Mais il faudrait penser sans les défaillances dans la mise en œuvre de tous ces plans, car le résultat n’a pas été au rendez-vous, ou pire. Les PME Algériennes se trouvent dans d’énormes difficultés, et ce n’est qu’après la survenue de la crise sanitaire depuis 2020, que l’on se rend compte que toutes les initiatives prises par le passé étaient inopérantes.
En mars 2020, le Cercle d’Action et de Réflexion autour de l’Entreprise (CARE) et le Centre des Jeunes Dirigeants Algériens (CJD), tiraient la sonnette d’alarme en faisant avancer des questions pertinentes qui renseignent sur le degré de déliquescence du secteur des PME. «Quel avenir pour les petites et moyennes entreprises? Les autorités publiques doivent anticiper une crise latente qui aura de graves conséquences sur le tissu entrepreneurial et l'emploi.», sont les éléments du plaidoyer de CARE-CJD.
«Un plaidoyer pour la survie de la PME»
Le CARE-CJD qui a tiré la sonnette d’alarme sur «les risques liés à l'aggravation de la crise qui frappe l’ensemble de l’économie nationale depuis des mois», a avancé une série de propositions de mesures de sauvegarde des PME, tout en dressant un constat des plus alarmants de la situation. D’abord, il y a la «détérioration sans précédent de la situation économique (qui) a déjà conduit à une baisse de l’activité de 30% à 50% dans certaines filières. La faiblesse des recouvrements qui en a découlée a mis la trésorerie des entreprises dans un état catastrophique.»
En 2019, CARE et le CJD estimaient les pertes potentielles d’emplois «entre 714.000 et 1.490.000, essentiellement dans le secteur privé.» une situation qui pourra être encore plus grave en l’absence de statistiques économiques officielles récentes et fiables.
Sur ce, le CARE-CJD a suggéré la mise en place de mesures urgentes, à savoir :
- La mise en place d’un moratoire fiscal et parafiscal pour les entreprises en difficulté ;
- L’abrogation de l’article 23 de l’instruction no 74-94 du 29/11/1994 de la Banque d’Algérie, limitant les lignes de découverts bancaires à 15 jours de chiffre d’affaires du bénéficiaire ;
- Le rééchelonnement des crédits par les banques (avec obligation de paiement des intérêts) ;
- L’obligation pour l’Etat et les Grandes Entreprises de régler les factures des PME dans un délai n’excédant pas 60 jours, voire 30 jours dans certains cas.
- La mise en place effective de l’activité d’Affacturage/Factoring afin de permettre aux entreprises de se financer en cédant, sans recours, leurs créances à des banques ou à des organismes spécialisés ;
- La création d’un «Régime de sauvegarde des entreprises en difficulté», statut spécial à réserver aux entreprises traversant des difficultés temporaires ;
- La révision du dispositif CNAC par la mise en place d’un dispositif encadré de «Chômage technique» accompagné d’un dispositif de formations qualifiantes ;
- La création d’un statut d’Auto-Entrepreneur ou de Micro-Entreprise afin d’introduire une plus grande souplesse dans le marché de l’emploi et d’encourager la création de très petites entreprises formelles.
«Une démarche inclusive»
Ainsi, les initiateurs de cette action proposent d’instituer «une démarche inclusive afin de mobiliser toutes les parties prenantes autour de l’objectif de sauvegarde de l’entreprise Algérienne.», car, selon eux, «la mise en place des recommandations proposées constitue un premier pas vers la préservation des entreprises potentiellement viables, créatrices de richesses et d'emplois, tellement vitales pour la relance et la diversification de l’économie algérienne.»
Du côté du gouvernement, l’on reste tout de même confiant puisque à fin 2019, les chiffres avancés restent du moins qualifiés d’encourageants.
Selon le décompte fait par le ministère de l’industrie au mois d’avril 2020, il est indiqué qu’à la fin de l’année 2019, «la population globale de ces entreprises a été estimée à 1.193.339 PME qui activent principalement dans les services, l’Artisanat et le BTPH, alors que seulement 8,69% des PME sont à caractère industriel.»
Dans ce contexte, «le gouvernement a mis en œuvre, des mécanismes pour soutenir et promouvoir cette catégorie d’entreprises, et ce, à tous les stades, allant de la création jusqu’au développement», peut-on lire sur le Bulletin d’information Statistique de l’entreprise n° 36 du Ministère e de l’Industrie et des Mines. Dans le même document, il est précisé que «les dispositions prises par les pouvoirs publics se sont traduites par la baisse significative des taxes, la facilité d’accès aux et aux crédits, à savoir le FGAR, CGCI-PME et l’ANGEM, sans oublier les différents dispositifs de soutien à la création d’emploi tels que l’ANSEJ, le CNAC et les centres de conseil aux PME et les pépinières d’entreprises.» Il est à noter également «la création d'un ministère dédié aux start-up et à la micro-entreprise ainsi que des incubateurs dans toutes les grandes villes du pays. La micro-entreprise qui représente 97% du total des PME, offre plus d’aptitude à l’adaptation aux mutations de la demande et l’évolution des technologies. Elle offre plus de marge pour l’adoption de nouvelles méthodes managériales. Le développement de la PME est ainsi à la fois un impératif économique vital et une opportunité stratégique. Elle joue un rôle essentiel dans la création des richesses dans le pays, avec l’accroissement de l’emploi et l’évolution du PIB.», précise-t-on de même source.
La démarche étant suivie de mesures concrètes en 2021, avec notamment la publication au numéro 1 du Journal officiel (JO), d’un décret présidentiel permettant aux jeunes de bénéficier du refinancement de leurs entreprises en difficulté. Selon le ministère délégué chargé de la micro-entreprise, le décret n° 20-441 du 30 décembre 2020 modifiant et complétant le décret présidentiel n° 96-234 du 02 juillet 1996, relatif au soutien à l'emploi des jeunes, «s'inscrit dans le cadre de la démarche du Président de la République visant à adopter une approche économique efficace dans la création des activités et des projets économiquement rentables à travers l'Agence nationale d'appui et de développement de l'entrepreneuriat (ANADE) et suivant les nouvelles mesures prises à cet effet.»
Aux termes dudit décret, «les jeunes promoteurs peuvent, si nécessaire et à titre exceptionnel, bénéficier du refinancement de leurs entreprises en difficulté». Toutefois, le montant de l'investissement ne saurait dépasser dix (10) millions de dinars algériens, selon la même source, qui note que «le seuil de l'investissement est cumulé en fonction du nombre de jeunes promoteurs, lorsque le projet est réalisé sous forme de groupement, en vue de favoriser la synergie entre les micro-entreprises à valeur ajoutée».
D’autres part, et aux termes de l'article 09 du même décret, «les jeunes promoteurs peuvent bénéficier de locaux dans des micro-zones spécialisées aménagées au titre de la location, pour les activités de production de biens et de services».
Solution conjoncturelle…
Dans ce cadre, des mesures ont été prises également pour prendre en charge le volet inhérent aux dettes des PME. En effet, et suite aux instructions émises par les hautes autorités du pays, la Direction Générale des Impôts (DGI) a lancé des opérations de rééchelonnement des dettes fiscales des entreprises en difficulté. Ainsi, et tout en tenant compte de l’aggravation de la situation suite à la crise sanitaire induite par la propagation du Coronavirus Covid-19 dans le pays, les autorités ont pris des mesures destinées à «soulager la trésorerie des entreprises en cette période de ralentissement significatif de l'économie.»
Il s’agit notamment de mesures fiscales, douanières et des facilités bancaires. Pour ce qui est des mesures fiscales, des mesures d'assouplissement ont été adoptées et consistent en le report des déclarations fiscales et de paiement des impôts, le report du paiement du premier acompte provisionnel IRG/IBS, la mise en place d’échéanciers de paiement où, les contribuables ont la possibilité de demander un échéancier de paiement de leurs dettes fiscales en cas de difficulté de trésorerie, et la suspension de l'imposition des bénéfices non affectés.
Concernant les mesures prises en matière douanières, un couloir vert a été institué, notamment pour ce qui est des importations de produits alimentaires et des appareils médicaux utilisés dans le cadre de la prévention et la lutte contre les effets du Covid-19. «Les bénéficient du couloir vert consistant en une procédure de dédouanement accéléré.», précise-t-on.
Par ailleurs, et concernant les mesures relatives aux cotisations sociales, les pouvoirs publics ont décidé de suspendre les majorations des précédentes pénalités de retard concernant le versement des cotisations sociales, et ce pour une durée de 6 mois à partir du mois d'avril. Ce qui s’ajoute aux facilités bancaires accordées et qui sont censées alléger le poids de la crise sur les entreprises, et particulièrement les PME.
Cependant, il est utile de rappeler qu’il ne s’agit là que de mesures conjoncturelles destinées à éviter le «crash» de ces petites entreprises, ce qui appelle une véritable stratégie nationale qui permettra de renforcer le tissus des PME et leur intégration dans le circuit de développement économique du pays. Ceci dit, pour atteindre les objectifs annoncés par le gouvernement, il faudra compter sans les retards devenu légion en Algérie. Les résultats tardent à voir le jour et les PME manquent encore de performance pour prétendre encore aujourd’hui, participer à la mobilisation voulue par le Gouvernement et les différentes organisations patronales, dans un ultime sursaut pour sauver l’économie du naufrage.
L. K.