La problématique de l’exploitation du foncier industriel ne cesse de faire couler de l’encre, mais aussi de susciter des passions. Au gouvernement ou chez les opérateurs, la question demeure d’une importance capitale, tant que le foncier est considéré comme le moteur du développement industriel, et à défaut un facteur de blocage infranchissable. L’actuel ministre de l’Industrie, annonce l’élaboration d’un nouveau texte qui, selon lui, permettra de récupérer le foncier non exploité, mais la problématique est encore plus complexe…
Par Nadjib K.
Le ministre de l’Industrie, Ferhat Ait Ali Braham, a annoncé, jeudi dernier à Alger, l’élaboration d’un projet de texte modifiant la loi 08-04 de 2008 relative au foncier industriel, visant la récupération des assiettes des zones industrielles, dont les propriétaires ont bénéficié d’actes de concession, et qui sont toujours non exploitées. Ainsi, le ministère de tutelle compte introduire de nouvelles clauses permettant «le suivi de l’opération d’exploitation des assiettes industrielles non exploitées par les opérateurs industriels, et la création d’une Instance nationale chargée de la gestion du foncier industriel sur la base de la transparence et l’efficience économique.» Sauf que lorsqu’on va dans le fond de la question, la gestion du foncier industriel présente de multiples écueils, car ce n’est pas seulement le foncier inexploité qui pose problème. Des sources bien au fait du dossier expliquent qu’en plus du mode de gestion des zones d’activité et industrielles, il y a également le problème du foncier ayant tout simplement changé de vocation, pour servir à d’autres fins autres qu’industrielles.
En 2017, alors que l’actuel président de la République occupait le poste de Premier ministre, une opération d’assainissement a été lancée, mais vu que ledit gouvernement a été démis, quelques semaines seulement après son installation (du 25 mai au 15 août 2017), l’opération qui se voulait à l’époque, salutaire, a été tout simplement abandonnée par le gouvernement suivant dirigé pour rappel par Ahmed Ouyahia, actuellement en prison pour des faits de corruption. Les raisons sont connues, et la suite des événements a démontré les raisons de cette mise sous le coude de ce projet d’importance capitale.
Un travail entamé en 2017…
Pour rappel, le Premier ministre de l’époque, actuellement président de la République, qui procédait à l’examen des résultats de l’évaluation de la situation des zones industrielles et des zones d’activités, réalisée par les soins du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales et de celui de l’Industrie et des mines, annonçait des résultats pour le moins surprenants.
En effet, cette évaluation a fait ressortir l’existence de 11.600 hectares de réserves foncières destinées à l’investissement en situation de non exploitation, dont 13.977 parcelles couvrant une superficie de 5.530 ha non attribuées se composant de 2.773 ha au niveau des zones industrielles et de 2.757 ha au niveau des zones d’activités. A cela s’ajoutent quelques 15.140 parcelles destinées à l’investissement, attribuées mais non exploitées, couvrant une superficie de 6.132 ha réparties entre 3.183 ha de zones industrielles et 2.949 ha de zones d’activités. Pour mieux cerner la donne, instruction a été donnée de mettre en place une commission interministérielle qui devrait trouver les solutions idoines pour une meilleure gestion de ce foncier.
Ainsi, et tout en considérant le foncier industriel comme un socle pour l’investissement et l’amélioration du climat des affaires, et les zones industrielles et les zones d’activités comme un des leviers stratégiques du développement du tissu industriel, d’autant qu’elles constituent aussi un élément essentiel du schéma directeur du SNAT, les pouvoirs publics accordent un intérêt particulier à ce secteur. Toutefois, il est important de souligner que le mode opérationnel demeure inefficace ou tout bonnement inopérant. Regardons de très près : sur un portefeuille constitué de 515 zones industrielles et zones d’activités, 15% du foncier industriel des zones gérées est inexploité, soit une superficie estimée à 2.175 ha. Mieux encore, des sources proches du dossier estiment qu’une moyenne de 85% du foncier industriel des zones gérées, soit 11.896 ha, attribué en grande partie aux EPE de manière irrationnelle n’est pas exploité de façon optimale, ce qui donne un taux moyen d’occupation est de 16.300 m² pour une (1) entreprise en Algérie contre 05 à 10 entreprises pour la région MENA.
L’approche juridique a montré ses limites
Cela dit, le vrai problème se pose au niveau de la manière avec laquelle il faudra agir pour rétablir une situation de perte sèche qui n’a que trop duré. Si pour l’actuel ministre de l’Industrie, la solution est dans les nouvelles dispositions introduites, faisant état de la récupération de près de 3000 assiettes au niveau national, «grâce à l’application de plusieurs procédures légales.», les initiés restent dubitatifs. En effet, s’il est vrai que la question de l’actualisation et de l’harmonisation des différents textes se pose avec acuité ; la récupération du foncier industriel inexploité par la seule approche juridique a montré, au fil du temps, ses limites et faiblesses, notamment avec la lenteur des procédures judiciaires qui ne donnent que des résultats aléatoires. Autres éléments à prendre en charge : le déséquilibre entre l’offre et la demande dans les grandes agglomérations, la limitation de l’accès au foncier industriel à cause de la lourdeur des procédures au niveau de wilayas. Par conséquent, on se trouve face à la prolifération de transactions immobilières de manière informelle, qui fait que le foncier industriel devient de plus en plus rare et spéculatif dans et autour des grandes agglomérations, c’est-à-dire dans les zones qui sont attractives pour l’investissement et dans les bassins d’emploi (Main d’œuvre qualifiée).
De ce fait, d’aucuns parmi ceux que nous avons consulté, estiment que l’optimisation du foncier industriel nécessite une approche complémentaire et corrective qui consiste en la création d’un marché locatif du foncier industriel basé sur plusieurs éléments facilitateurs.
Parmi les propositions formulées, on cite la nécessité de créer un cadre incitatif au profit des opérateurs publics et privés, l’augmentation de l’offre foncière par la libéralisation du potentiel foncier inexploité, mais également la transparence dans les transactions immobilières et la sécurisation des acteurs concernés.
Pour un marché locatif du foncier industriel
Pour ce qui est des solutions préconisées, il y a d’abord la nécessité de mettre en en place un cadre juridique instituant un marché locatif du foncier industriel pour tous les opérateurs publics et privés, adossé à des mécanismes d’attribution transparents et des procédures de suivi et de contrôle permettant la préservation du foncier industriel.
Ainsi, et afin d’assurer les équilibres et de lutter contre la spéculation, la mise en place d’une procédure homogène pour la détermination de la valeur locative pouvant couvrir toute la période de concession (les paramètres pouvant être utilisés sont la valeur vénale du bien et le taux d’inflation), devient une nécessité, estime-t-on. Du côté du ministère de tutelle, on semble prendre conscience de l’ampleur du désastre, puisque l’on propose au Gouvernement la révision du cadre législatif régissant le foncier industriel «afin de régler le problème de non réalisation des projets, dont les porteurs ont bénéficié d’actes de concession sous couvert d’investissements», selon Ait Ali. Le ministre a, d’ailleurs, mis en avant «l’impératif d’élaborer des textes de loi permettant la récupération des assiettes non exploitées et la mise en place d’un plan de distribution en fonction de la spécificité de chaque zone afin de relancer l’industrie nationale.»
Une nouvelle formule pour que l’octroi des concessions et la distribution du foncier industriel «plus efficaces et rationnels», est préconisée, afin que l’octroi de contrats de concession soit fait sur la base d’une étude approfondie du projet, sachant que par le passé, «l’opération se faisait sur la base de simples rapports superficiels, loin de toute étude objective», note encore le ministre.
N. K.