Festival «Lire en fête» : Quelle lecture, en fait ?

Festival «Lire en fête» : Quelle lecture, en fait ?

Depuis samedi dernier, les wilayas de l’Ouest du pays (Oran, Mostaganem, Saïda, Mascara, Tlemcen, El Bayadh,…) renouent avec le festival culturel « Lire en fête » dans sa 12ème édition qui se poursuivra jusqu’au 6 juin. Y sont programmés des ateliers artistiques et littéraires, des spectacles de clowns et du théâtre. Au Théâtre régional d’Oran Abdelkader Alloula, c’est la pièce « Othello le jaloux » (Othello ghayyar) qui sera présentée aux enfants. Des expositions de livres et des séances de lecture de contes sont aussi prévus à l’occasion de ce festival. Au menu, il y a même une bibliothèque mobile qui se déplacera sur le village méditerranéen de Belgaid à Bir El Djir (Oran).

Par Amar Naït Messaoud

A l’occasion des éditions précédentes, les pouvoirs publics et les médias avaient particulièrement mis en avant l’activité de la lecture comme moteur principal de ce Festival, les activités venant en « appoint » pour créer une ambiance festive et conférer plus d’attractivité et d’amour à l’acte de lecture.

« Lire en fête » est un ensemble d’activités que l’on a voulues aussi récréatives qu’instructives, aussi ludiques que pédagogiques, destinées aux jeunes écoliers pendant les premiers jours de vacances.

Si, dans le principe, l’initiative est plus que louable, dans les faits, elle se transforme souvent en une sorte de « carnaval » plein de bruits, de couleurs, de mouvements, de grande relaxation et d’esprit festif.

Ces extensions d’activités seraient vues comme un accompagnement naturel, voire nécessaire, si vraiment l’acte de lecture était considéré dans toute sa dimension et son importance. Il est souvent loin d’être le cas.

DOMMAGEABLE DÉFICIT DE LECTURE

Tous les constats faits sur l’acte de lecture, aussi bien chez les jeunes écoliers et les lycéens que chez les universitaires, convergent vers une aggravation de la distance qui sépare ces futurs adultes et ces attendus cadres, de l’immersion dans la lecture, dans sa double fonction de récréation et de formation.

La formation au bon goût, au sens de l’esthétique des choses, au développement de l’imaginaire, à l’occupation saine, n’est pas encore consacrée dans les faits et dans les pratiques de l’école algérienne et des autres structures d’enseignement.

Il est établi que le goût à la lecture se forme sur les bancs de l’école, dans la plongée dans les textes littéraires où fourmillent les belles images des scènes représentées, les suaves sonorités des rimes et des rythmes déclamés, les riches rencontres avec les personnages et les héros mis en scène, les truculents dialogues entre les personnages d’une pièce de théâtre, les magnifiques répliques et les hautes envolées des gladiateurs de mots, ainsi que les expériences instructives de gens qui, comme nous, ont vécu, festoyé, souffert, pleuré, lutté, échoué et triomphé.

Le bilan fait par les inspecteurs de l’Éducation nationale en 2015 avait ressortir que 80 % des textes de lecture proposés eux élèves étaient anonymes. Certains sont tirés d’internet.

Sur la base de ce constat, le ministère a essayé d’enrichir les manuels de lecture, et surtout y introduire des lectures algériennes, où se côtoieraient Benhadouga, Feraoun, Wassini Laâredj, Ridha Houhou, Tahar Djaout,…etc.

Mieux, dans les livres de lecture en tamazight, on a commencé à introduire Aït Menguellet et d’autres poètes/écrivains composant dans cette langue.

L’on tient ainsi à faire replonger les jeunes écoliers algériens dans l’imaginaire national, avant de le faire suivre par la littérature étrangères, allant de Taha Hussein à Hemingway, en passant par Paul Éluard, Jules Vernes, Hugo, Lamartine, Jacques London,…etc.

DOMESTIQUER LES « JOUJOUX »TECHNOLOGIQUES

Le fait est que, actuellement, la technologie de l’information et de la communication, contrairement à ce qu’on pouvait espérer au début de son aventure, a happé les efforts des élèves et les a pratiquement détournés de ce qui relève de la lecture.

Et pourtant, ces mêmes moyens technologiques disposent d’accès inouïs à la lecture numérique. Il se pose fondamentalement le problème de l’encadrement et de l’accompagnement des élèves, aussi bien par leurs parents que par l’institution scolaire.

En effet, il est difficilement explicable que l’école se tienne à mille lieues des changements qui se sont produits dans la société et que, dans certains cas, elle leur tourne tout bonnement le dos. L’enseignement de la langue arabe continue à souffrir de mille archaïsmes au lycée, par exemple.

Alors qu’une littérature moderne florissante existe dans cette langue et que des textes de haute facture sont téléchargeables sur internet, et même exploitables en audio et vidéo, l’on continue à enseigner, y compris aux filières scientifiques, les contorsions de la métrique et des circonvolutions de la rhétorique.

Dans des occasions, comme celle du festival « Lire en fête », il serait intéressant de focaliser sur cette lecture que l’on dit vouloir assurer en « fête », c’est-à-dire dans un climat festif qui éloigne, de l’esprit des jeunes élèves, la lourdeur et les contraintes de l’école.

Un climat aussi dans lequel les encadreurs sont censés s’employer à la « domestication » des moyens technologiques modernes de la communication- les « joujoux » que représentent les smartphones- , au profit de la culture saine, de la formation pratique et du divertissement orienté vers la lecture pour la faire aimer aux élèves, y compris, et surtout, dans la version papier qui demeure le support idéal pour la lecture.

Comme, en réalité, l’école demeure le lieu idéal de la formation au goût de la lecture. Le reste ne viendra qu’en appoint à élan déjà bien pris à partir des bancs de la classe.

Un enseignement sans dimension culturelle-par le moyen de la lecture et des autres activités de formation et de détente- peinera à former les citoyens de demain, conscients de leurs devoirs et de leurs droits. Il est quand même ahurissant que des élèves ayant terminé le cycle du lycée ne se souviennent presque plus de ce qu’ils ont reçu en histoire, en géographie et en philosophie, matières formatrices de la culture.

Dans ce contexte, que ces élèves « coincent » dès les premiers examens qu’ils subissent dans les filières des sciences sociales et humaines à l’Université, est une donnée presque « naturelle », mais qui devrait logiquement interpeller, non seulement les enseignants, mais aussi les pédagogues et les hauts responsables de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.

A. N. M.

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