Au-delà du bilan macabre fait de milliers de vies humaines happées chaque année, le phénomène des accidents de la route, ayant transformé les axes routiers en véritables tronçons de la mort, suscite également des préoccupations au plan économique.
Par Mohamed Naïli
Comme vient de le faire remarquer le commissaire divisionnaire Rachid Ghazli, sous-directeur de la sécurité routière à la DGSN (Direction générale de la sureté nationale), sur les ondes de la radio, le regrettable classement de l’Algérie dans le peloton de tête des pays les plus accidentogènes constitue un des facteurs contribuant à faire détourner les investisseurs étrangers de la destination Algérie, ce qui porte préjudice à l’économie nationale en conséquence.
Le constat n’est pas moins vrai dès lors que, dans son dernier classement des pays selon le taux de mortalité par accidents de la route pour l’année 2019, la Banque mondiale place l’Algérie dans le top 5 avec une proportion de 20,90 pour 100 000 habitants. L’OMS (Organisation mondiale de la santé), procédant elle aussi à ce type de classement, attribue à l’Algérie une place peu réjouissante dans les premiers rangs.
Cette tendance est loin de fléchir, bien au contraire, elle ne fait que s’accentuer d’année en année. Pour les seuls 7 premiers mois de l’année en cours, en effet, les services de sécurité ont enregistré pas moins de 13 800 accidents de circulation sur le territoire national, avec un lourd bilan de près de 2 000 victimes à déplorer (1 992 exactement), dont des jeunes de la tranche d’âge des 15 – 30 ans pour la plupart, a détaillé le commissaire divisionnaire. En moyenne, l’Algérie enregistre quelque 4 000 morts par année sur les routes et des dizaines de milliers de blessés, dont des handicapés à vie, nécessitant une prise en charge sociale et financière que doit supporter le Trésor public.
Se déclinant dans cette configuration, ce constat est donc fortement susceptible de dissuader des investisseurs potentiels et les inciter à revoir l’intérêt qu’ils nourrissent envers le marché national, en étant un point noir défavorable pour le climat des affaires, compte tenu de l’importance que les acteurs économiques internationaux accordent au paramètre sécuritaire dans toutes ses formes, y compris la sécurité routière.
Le préjudice des accidents de la route n’est pas uniquement lié à l’impact qu’il exerce sur le climat des affaires, eu égard à leurs coûts fortement élevés, que ce soit pour le Trésor public, les particuliers subissant ces accidents, ou les compagnies d’assurance.
« Les accidents de la circulation causent des pertes importantes au Trésor public, estimées annuellement à 100 milliards de dinars », a déclaré la semaine passée Hacene Bahlouli, Directeur chargé de l’évaluation de l’activité commune auprès de la Délégation nationale de la sécurité routière, relevant du ministère de l’Intérieur et des collectivités locales.
Un lourd fardeau pour les entreprises et la CNAS
Si ce dernier a évoqué aussi l’importance des opérations d’inspection des véhicules, notamment les roues, les freins, ainsi que « le choix de pièces de rechange de bonne qualité », le haut responsable auprès de la DGSN, pour sa part, le commissaire divisionnaire Rachid Ghazli, n’a pas manqué de soulever la problématique des pièces de rechange issues de la contrefaçon et qui sont en circulation dans les circuits de commercialisation de pièces détachées. Au volet relatif à l’état des routes, étant un facteur causant des accidents dans une part importante des cas, il pointe du doigt que ce soit les entreprises de réalisation de travaux routiers ou les maîtres d’ouvrages sollicitant ces travaux (les collectivités locales) qui, décidément, se soucient peu de la qualité des travaux effectués ou de la remise en l’état des tronçons routiers à l’achèvement des travaux.
Compte tenu de leur ampleur ces dernières décennies, les accidents de la route n’ont pas manqué d’attirer l’attention de la sphère universitaire et de la recherche scientifique, dont les travaux portent notamment sur la recherche à identifier les causes mais aussi évaluer l’impact économique et social du phénomène au sein de la société.
Publiée en mai dernier à la Revue d’économie et de gestion (Vol. 06, N°1) sous le titre de : « Evaluation des coûts des accidents de la route professionnels en Algérie », une étude menée par les universitaires Ali Dermel et Meriem Bensalem de l’Ecole de hautes études commerciales d’Alger (EHEC), Younes Hidra et Louiza Meziane de la faculté des sciences économiques et commerciales de l’université de Bejaïa, sur l’impact économique des accidents de la route, présente un aperçu on ne peut plus clair sur l’ampleur des coûts que génère ce phénomène.
Considérant que « les accidents de la route constituent un réel problème pour la société et pour les entreprises », les auteurs de ladite étude notent que « les accidents génèrent des coûts matériels et corporels aussi bien pour les victimes mais aussi pour les entreprises et les assurances », tout en rappelant que « la CNAS assure un remboursement de plus de 80% des dommages corporels alors que la mutuelle prend en charge le reste des dommages ».
Ayant enquêté, dans le cadre de leur étude, sur le cas de la filiale Numilog, spécialisée dans le transport de marchandises et la logistique, du groupe agroalimentaire Cevital, ce groupe d’universitaire estime « le coût matériel total (coût lié à la réparation, coût lié à la détention du véhicule et le coût lié au manque à gagner) payé par Numilog pour un total de 29 véhicules accidentés, à plus de 14,8 millions de dinars (14 832 451,55 DA exactement).
En précisant que la totalité des coûts corporels est indemnisée par la mutuelle et la CNAS suite aux accidents de la route, les auteurs de l’étude en question concluent que le coût lié à la réparation du véhicule et à son manque à gagner représentent la plus grande dépense pour l’entreprise, tandis que la caisse des assurances sociales supporte la plus grande partie des dommages corporels lors d’un accident de la route corporel.
M. N.