Expertises et études : Vers la réhabilitation du potentiel national

Expertises et études : Vers la réhabilitation du potentiel national

Les investissements publics engagés par l’Algérie au cours de ces dernières années ont recouru majoritairement à des expertises nationales. Routes, transferts hydrauliques, construction, agriculture, environnement, bénéficient de plus en plus d’études de faisabilité et d’exécution réalisées par des bureaux d’études algériens. Un grand virage s’est ainsi dessiné par rapport à la décennie précédente où, en pleine embellie financière historique, et même un peu plus tard, jusqu’en 2017, l’Algérie dépensait jusqu’à 11 milliards de dollars par an en expertise étrangère, importée principalement d’Europe et de Chine.

Par Amar Naït Messaoud

La facture est aujourd’hui réduite de moitié et la tendance se profile vers l’inflexion. Car, le mouvement de rationalisation des importations, initié depuis 2022, a touché aussi bien les biens et les services que les prestations d’études et d’expertise.

DES LEÇONS À RETENIR

La situation qui avait prévalu jusqu’en 2018 était que, après avoir investi quelque mille milliards de dollars dans les infrastructures et les équipements publics, l’Algérie peinait à tirer de leçons à partir des difficultés qui avaient grevé la marche et la qualité des projets réalisés.

Outre la faiblesse de l’outil national de réalisation- entreprises publiques et privées peu compétitives et plutôt budgétivores-, la faiblesse et la fragilité caractérisant les bureaux d’études nationaux s’était posé comme un vrai problème de fond auquel on n’a pas pu tracer des perspectives d’avenir après que ceux qui sont supposés développer et mettre en pratique une expertise nationale, eurent été « battus à plate couture » par l’importation d’études et d’expertises étrangères; une importation qui s’est étalée sur presque une vingtaine d’année, avec une facture moyenne annuelle d’environ 12 milliards de dollars.

Ce montant, qui dépassait celui de la facture alimentaire, est fait d’opération de consulting, d’études techniques préliminaires portant sur la faisabilité, des études relatives à l’impact environnemental des projets, et d’études d’exécution dont se servent directement les entreprises de réalisation retenues pour les projets.

Outre les études livrées en documents graphiques, les prestations de ces bureaux étrangers portent également sur le suivi de réalisation en fonction des études.

Donc, le marché initial avec le maître de l’ouvrage peut être limité à l’étude, supposant que le suivi fera l’objet d’une autre procédure de consultation; ou bien encore, le marché portera directement sur les deux segments- étude et suivi-, alternative généralement adoptée par l’administration maître d’ l’ouvrage pour des questions de « commodité », sachant qu’un bureau d’étude ayant produit une étude sur un projet est supposé ayant meilleure posture, à même de conduire l’opération de suivi.

L’autre option- un bureau d’études suivant un projet dont l’étude est faite par un autre partenaire risque de réserver des surprises dans le sens où le chargé de suivi peut, le cas échéant, remettre en cause l’étude.

Mais, c’est aussi une option qui a ses avantages, du fait même qu’elle comporte ce risque de pouvoir remettre en cause l’étude initiale. La confrontation qui s’ensuivra, quitte même à ce qu’elle prenne une dimension contentieuse passible d’un traitement judiciaire, serait une forme de « procès technique » qui dissuaderait bien des aventuriers à se lancer dans des études fantaisistes.

Pourtant, c’est malheureusement à ce genre de phénomène- des études fantaisistes- qu’une partie des projets d’investissements publics algériens avaient eu affaire au cours des années de l’embellie financière et des plans quinquennaux. Les preuves en étaient fournies continuellement sur le terrain et par les observations qui émanent de hautes autorités du pays.

Le domaine qui offre sans doute le plus de visibilité sur ce plan demeure l’autoroute est-ouest, laquelle révèle, de façon quasi régulière, l’insuffisance, la non-maturation ou l’approximation des études effectuées sur un ouvrage qui avait consommé plusieurs milliards de dollars, sans compter les réévaluations réparations.

Les défectuosités et dysfonctionnements ne se sont pas limités aux ouvrages routiers. Les réseaux d’adduction d’eau potable, les logements collectifs ou les équipements sociaux, éducatifs et sportifs, étaient rarement épargnés par les défauts et insuffisances des études, particulièrement le segment des études géotechniques qui établissement la solidité ou la fragilité du sol ciblé par la construction ; ce qui oriente l’architecte et l’ingénieur en génie civil dans le dimensionnement des ouvrages à concevoir et dans la qualité des matériaux à prévoir.

MOBILISER LE POTENTIEL NATIONAL

Il est de notoriété publique que, au niveau des instances techniques, lorsque les surcoûts engendrés par des études insuffisamment maturées ou approximatives dépassent un certain seuil, généralement fixé à 20 % du projet initial, c’est toute l’étude qui est remise en cause.

Cela appelle aussi des sanctions pour les partenaires d’études, aussi bien sur le plan de l’accès à la commande publique pour les consultations et avis d’appels d’offres suivants, que sur le plan judiciaire.

L’on se souvient que, à plusieurs, les députés de l’Assemblée populaire nationale et la Cour des comptes avaient dénoncé les récurrentes réévaluations qui affectent les marchés publics portant sur les infrastructures et équipements publics.

Ils avaient dénoncé, à l’occasion, les multiples surcoûts qui grèvent le budget de l’État et les risques techniques (glissements, chutes, explosions,…)qui pèsent sur les ouvrages ainsi réceptionnés.

Des ministres avaient reconnu, au cours des débats en plénière, la non maturité de certaines études préliminaires et/ou d’exécution. Ce qui, inéluctablement, entraînait des glissements successifs des coûts jusque, dans certains cas, à pouvoir financier un autre projet avec les rallonges budgétaires qui sont mobilisées.

Indubitablement, cette façon de faire fausse aussi les calculs de la planification et oblitère l’esprit même de ce qui furent appelés plans quinquennaux Les prévisions budgétaires étaient alors profondément bouleversées suite aux différentes demandes de réévaluation.

L’adoption, depuis 2023, d’une nouvelle architecture budgétaire, basée sur la loi organique des lois de finances (LOLF), avec un encadrement triennal, balisé par des indicateurs de performance, assoit une nouvelle logique de programmation qui pousse les différents intervenants à une discipline budgétaire pus rigoureuse, aussi bien dans le chapitres des travaux et fournitures que dans le volet des études et expertises.

Ces dernières sont de plus en plus sollicitées auprès des bureaux d’études nationaux, sauf dans des cas avérés d’études complexes pour lesquels les pouvoirs publics sollicitent des partenariats.

Le potentiel d’études algérien a été, des années 70’ du siècle dernier jusqu’au Plan d’ajustement structurel (PAS) imposé à l’Algérie par le FMI à partir de 1994, l’un des plus importants dans le bassin méditerranéen, aussi bien dans la diversité des domaines d’intervention que de la qualité des études.

Déstructuré et marginalisé au cours des années 1990 et début 2000, au profit des partenaires étrangers qui vendaient des études, parfois discutables, à l’Algérie, le potentiel national d’études et expertise n’a commencé à se reconstituer progressivement qu’à la faveur de la rationalisation des importations.

En agrégeant et capitalisant les expériences que notre pays avait connues au cours des premières décennies après l’Indépendance, le potentiel national d’études et d’expertise pourra constituer l’aile marchante de l’économie nationale.

A. N. M.

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