Lies Goumiri est docteur d’État ès sciences physiques (Polytechnique France) et diplômé de Sciences Po. Paris « Finances et marchés des capitaux ». Il a occupé plusieurs hautes fonctions dans l’administration centrale (MILD), dans la recherche (CEN), plusieurs fois P-dg d’entreprises publiques, notamment les filiales de Sonatrach, la Banque nationale d’Algérie (BNA) et la Banque extérieure d’Algérie (BEA), et privées. Goumiri a exercé à l’international (monde arabe) notamment avec l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), Société financière internationale (SFI) et l’Organisation arabe du développement industriel (OADI) relevant de la Ligue arabe. Il a également acquis une grande expérience en passant de longs séjours professionnels en République de Chine, en Inde, aux USA et au Brésil dans l’Engineering & Développement. Il a récemment conduit le projet de port en eau profonde de Hamdania Cherchell. Tout ce potentiel, Goumiri nous le livre dans cet entretien.
Entretien réalisé par Zoheir Zaid
- Ecotimes : Diaspora, terme récurrent dans vos déclarations. Pourquoi ? Et comment faire pour l’impliquer dans l’écosystème économique algérien ? D’autant que pour ce seul mois de février, beaucoup d’événements se sont déroulés en France concernant son rôle.
Lies Goumiri : La thématique n’est pas nouvelle, elle est même redondante, car durant plusieurs décennies, des séminaires, des conférences, des rencontres se sont tenus autour de cette thématique. Il y avait eu aussi des actions ou initiatives individuelles heureuses ou malheureuses, il n’en reste pas moins que si l’on regarde en substance et en contenus de ce qui s’y est produit, on constaterait que les effets et les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes exprimées ici et là-bas.
Nous sommes convaincus qu’il est d’autant plus important aujourd’hui de réanimer cette thématique et de réfléchir davantage aux moyens de son insertion, de sa pleine contribution dans l’avenir parce que le monde a changé : nous sommes passés brutalement dans la quatrième révolution industrielle avec un effet accélérateur sans précédent.
L’apparition des nouvelles technologies des TIC, du big data et de l’intelligence artificielle vont en quelque sorte diviser le monde en deux blocs : Il y aura donc les pays qui vont développer, appliquer et exploiter ces nouvelles technologies, et un deuxième bloc de pays qui en seront exclus.
Il est à mon sens, très important que parmi les pays émergents qui vont s’accrocher et s’arrimer durablement à ce premier groupe, l’Algérie puisse y figurer. Je crois sincèrement et profondément que le rôle de la diaspora pourrait contribuer à aider l’Algérie à se hisser plus rapidement à un niveau acceptable.
D’abord dans l’utilisation de ces nouveaux outils puis progressivement asseoir une maîtrise pour mieux solutionner les problèmes auxquels elle fait face dans différents secteurs d’activités économiques, d’une part, et réussir à relever un certain nombre de défis comme l’autosuffisance alimentaire, celui du développement des services, du processus d’industrialisation, de l’efficacité énergétique accompagnée de l’utilisation des énergies renouvelables tout comme la production de l’hydrogène vert, d’autre part. Une nouvelle approche est donc nécessaire.
S’il est vrai que l’État a déjà envoyé des signaux forts exprimant un souhait, même une volonté d’impliquer la diaspora pour accompagner le programme important de développement économique du gouvernement pour cette prochaine décennie, il est temps d’ajuster les mécanismes, les leviers, les outils, les textes légaux, choisir les canaux et les passerelles qui permettront avec plus d’efficacité, plus de rapidité et plus d’engagement, au-delà des simples déclarations d’intentions, d’expressions volontaires, du souhait patriotique ravivé de part et d’autre, de mettre en ordre de marche un ensemble de mesures, hors contrôles bureaucratiques, Tout cela permettra à notre diaspora de devenir de véritables acteurs et moteurs d’arrimage aux technologies avancées dans une dynamique pour une nouvelle Algérie tournée vers sa jeunesse, sa diaspora, vers l’avenir et la prospérité.
- Les alternatives aux recettes des hydrocarbures sont nombreuses. Leur mise à exécution impactante tarde à voir le jour malgré les déclarations de bonne intention. Qu’est ce qu’il faut faire, selon vous ?
Plusieurs actions auraient dû accompagner l’annonce du Président Tebboune d’exporter pour 15 milliards de US$ en 2025 hors hydrocarbures, pour la rendre effective. Pour débrider l’acte d’exportation, il faut prendre tout un package de mesures pour réduire les freins bureaucratiques et augmenter l’efficacité, la productivité, la réactivité et la logistique des transactions.
La numérisation et le contrôle à posteriori des opérations apporteraient un concours tout autant appréciable. L’incitation à l’export devrait être considérée comme un acte patriotique. L’Algérie a bien su ouvrir et faciliter les importations tous azimuts mais bute cependant pour ouvrir le champ vital des exportations.
Par ailleurs, des progrès viendront aussi par la signature de conventions et accords commerciaux. Premièrement, avec des pays limitrophes mais aussi avec nos grands fournisseurs pour rétablir l’équilibre des balances commerciales.
Deuxièmement, les démembrements de l’État et des syndicats patronaux devront mieux consolider une gamme élargie de produits manufacturés « made in Algeria », les dispositifs de protection, de garantie, de promotion et d’assurance.
Il serait aussi judicieux de primer les entreprises qui exportent pour les encourager et les soutenir davantage.
- Vous aviez, en date du 24 décembre 2024, animé pour le compte de l’Association algérienne de management de projet (Apma), une conférence sur le rôle des infrastructures portuaires. Qu’en est-il au juste ?
Les Ports en tant qu’outil de géopolitique et géo-économique pour les grandes puissances ont pris une importance capitale.
Toutes les grandes puissances, mais aussi les pays émergents ont une politique de transport maritime et portuaire qui vise à jouer une plaque tournante dans ces flux maritimes et à en capter une part majeure à leurs profits.
Ajouté à cela, on aura de plus en plus des navires porte-containurisés transportant quelque 24 000 containers équivalent vingt pieds (EVP) et qui exigent des profondeurs (tirant-d’eau) plus importantes dans les ports, canaux et les estuaires.
La majorité des ports algériens ont été conçus et réalisés durant la période coloniale et leurs infrastructures n’ont pas connu de véritables mises à niveau conformes aux nouvelles exigences techniques en matière d’exploitation portuaire.
La logistique, le niveau de l’automatisation et l’informatisation des opérations, les superstructures, les tirants-d’eau et les superficies de leurs terre-pleins, l’absence de connexions directes aux voies autoroutières et ferroviaires sont autant de handicaps que trainent l’Algérie depuis des décennies.
En sus de cela, les coûts exorbitants générés par les lenteurs, les surestaries, les coûts de transaction et de transbordement, constituent une forte saignée en devises que ne cesse de subir le pays et qui ralentira toute perspective de relance économique, notamment celle basée sur les exportations hors hydrocarbures et une réindustrialisation du pays qui devrait atteindre 15% du PIB horizon 2050.
Notons par ailleurs, que TangerMed est devenu le premier port de Méditerranée orientale et représente une menace pour notre économie, notre croissance, voire notre souveraineté et cela est inacceptable. Nous comprenons tardivement que le fait de ne pas disposer d’un port en eaux profondes réduit notre stabilité économique et géopolitique.
C’est pour notamment ces raisons que le projet du port en eaux profondes de Hamdania, dans la wilaya de Cherchell, est incontournable. C’est un complexe portuaire, avec des sillons autoroutiers et ferroviaires et de surcroit transafricain ; un projet éminemment géostratégique qui a pris du retard, mais à engager en urgence.
Il s’agit d’ouvrir un corridor entre des volumes d’Europe, d’Asie et d’Afrique, construire des solutions logistiques et offrir d’immenses opportunités à l’économie algérienne pour les besoins nationaux, mais aussi pour une partie profonde du continent africain.
Voilà comment donner à ce projet de Port Centre de Cherchell une ouverture sur le futur afin que l’Algérie devienne prochainement un pays pivot de l’Afrique au cœur des échanges commerciaux intercontinentaux. A mon avis, aucune extension ou modernisation des ports actuels ne nous permettra d’atteindre cet objectif.
Notre plus grand défi de demain est de gagner des parts de marché, avoir un Port en eaux profondes des plus performants en est l’outil, avec les énergies du futur comme l’hydrogène, du méthanol voire du GNL.
Le Port Centre de Cherchell doit donc devenir le premier port vert de Méditerranée, qui replace l’Algérie sur l’échiquier des pays méditerranéens, lui assurant sa souveraineté, lui ouvrant des corridors économiques incomparables sur le continent africain.
- Vous êtes d’avis que l’Algérie est en retard en matière d’agriculture et d’irrigation modernes. Pourquoi et comment y remédier ?
En effet, des anciens projets agricoles ne voient le jour que récemment, les grandes cultures industrielles d’oléagineux et de leur trituration, et 1 million d’hectare d’oliveraies annoncés à cette date, alors qu’ils avaient été projetés déjà en 2000.
J’avais dans divers articles publiés, préconisé de fusionner les ministères de l’Agriculture et celui des Ressources en eaux pour une meilleure gestion et planification, car l’essentiel des eaux des barrages et souterraines sont destinées à l’agriculture.
De plus l’agriculture saharienne connait un important développement certes, mais les techniques modernes d’irrigation (racinaires) ou d’aspersion ainsi que la production locale des équipements, des plants et de semences adaptées accusent un important retard.
La mise à contribution des nombreux laboratoires et centres de recherche nationaux spécialisés, devraient permettre une mise à jour avec des transferts de technologie substantiels et des investissements consistants. J’ajoute que dans les grandes villes, l’agriculture verticale est quasi inexistante et devrait impérativement couvrir une grande partie des plantes potagères feuillues à la population et à la restauration hotellière.
Hors saisons, à l’instar de pays voisins, l’Algérie devrait être un exportateur important de maraichers notamment pour l’Union européenne (UE), si la logistique et les transports suivaient.
Par ailleurs, les walis concernés devraient mieux organiser la mise en valeur des terres semi arides des Hauts Plateaux et des zones sahariennes, en apportant l’eau (transferts et forages albiens) et l’électricité mais aussi les moyens logistiques, stockage et transport.
Z. Z.