Placée au centre de la nouvelle carte énergétique qui se redessine dans l’espace euro-méditerranéen et affichant en même temps des ambitions avérées pour aller à la conquête du marché africain, l’Algérie est perçue comme un pivot d’un nouvel espace économique qui se met en place prônant la verticalité Europe-Méditerranée-Afrique.
Par Mohamed Naïli
C’est du moins le rôle qu’attribuent de plus en plus des centres de décision et cercles de réflexion à l’Algérie dans cette reconfiguration de la coopération régionale en marche. S’inscrivant dans cette logique, Jean-Louis Guigou, fondateur de l’IPEMED (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), dans une récente réflexion, publiée cette semaine, estime que « dans les négociations avec les Européens, l’Algérie pourrait en effet proposer d’aller plus loin que le troc de court terme, gaz contre blé. Surtout, parce que l’Algérie détient deux atouts majeurs qu’elle pourrait valoriser à moyen terme : d’une part, elle peut devenir la « pile électrique » de l’Europe, et d’autre part, ouvrir en profondeur le continent africain aux productions européennes, grâce au projet de la route Transsaharienne qui reliera les ports méditerranéens au Sahel et à l’Afrique profonde pour déboucher au port de Lagos, au Nigeria ».
Convaincu de ce rôle pour l’amorce d’une nouvelle approche de coopération régionale qui prendrait une dimension verticale, englobant l’Union européenne, l’espace méditerranéen et le Sahel jusqu’au Nigéria, l’ancien ministre français sous Mitterrand, nourrit la conviction que la France et l’Algérie sont en mesure de faire au niveau régional ce qu’a fait le coupe franco-allemand pour l’avènement de l’Union européenne. « Dès 2010, IPEMED est arrivé à la conclusion que la France et l’Algérie sont à la Méditerranée ce que la France et l’Allemagne sont à l’Europe. On ne peut rien faire en Méditerranée sans le retour de la confiance entre la France et l’Algérie », écrit-il avant de rappeler qu’en 1952, la France et l’Allemagne se sont liées pour créer la CECA (la communauté économique du charbon et de l’acier), qui donnera naissance en 1957 à la CEE (communauté économique européenne).
Un intérêt grandissant pour la Transsaharienne
Pour mieux appuyer sa réflexion, Jean-Louis Guigou met en avant les atouts dont dispose l’Algérie pour jouer ce rôle de pivot central dans la région qui, en plus du gaz et du pétrole pouvant permettre à l’UE de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie, il y a aussi les énergies renouvelables, dont l’Algérie dispose d’importantes potentialités pour servir de « pile électrique » de l’Europe. Dans le marché des produits agricoles, l’Algérie pourrait également être une plateforme régionale pour l’approvisionnement des pays africains en produits provenant de l’Europe.
L’autre atout, et non moins stratégique, dont jouit l’Algérie, pour le fondateur de l’IPEMED, est d’ordre logistique, avec la mise en œuvre de la route Transsaharienne. « Ce serait d’autant plus pertinent qu’en matière de logistique et de transport, l’Algérie travaille discrètement depuis des années avec cinq autres pays africains à l’un des plus grands projets d’aménagement du territoire au monde : un corridor, une véritable dorsale associant autoroutes, gazoducs, internet et chemins de fer, reliant les ports méditerranéens (Algérie-Tunisie) au port de Lagos. Le projet routier totalise quelque 10 000 km débouchant sur un port en eaux profondes, à Cherchell », souligne-t-il à ce propos.
Pour la concrétisation de cette nouvelle architecture de la coopération euro-africaine, M. Guigou conçoit sa vision à travers la réalisation d’ « infrastructures stratégiques complémentaires » à même de « créer un axe de développement permettant d’unir définitivement l’Afrique du Nord à l’Afrique subsaharienne, de créer des emplois pour la jeunesse du Sahel en créant des Zones Économiques Spéciales (ZES) et en accélérant l’intégration régionale de l’Afrique de l’Ouest ».
Aux yeux du fondateur de l’IPEMED, « l’Algérie et la France, en initiant un triple accord sur l’énergie, les productions agricoles et la valorisation de la Transsaharienne, pourraient, comme l’ont fait les Allemands et les Français avec la CECA, révolutionner la coopération régionale » en créant un nouveau marché euro-africain vaste et diversifié.
M. N.