Le secteur public marchand (SPM) comprend l’ensemble des fonds publics investis par l’État dans le secteur économique, à travers les entreprises publiques économiques (EPE), dans le but de tirer des dividendes.
Par Akrem R
L’évaluation effectuée par la Cour des comptes visant à déterminer la consistance du SPM et l’appréciation de ses indicateurs économiques et financiers ainsi que le dispositif de sa gestion et de sa supervision a mis en exergue que les objectifs assignés aux différents dispositifs de gestion et de supervision du SPM, mis en place par l’Etat à travers l’institution d’organes chargés d’exercer le droit de propriété ou de gérer le portefeuille d’actions et de placements, n’ont pas été pleinement atteints.
En effet, le SPM, dont la consistance et l’étendue ne sont pas déterminées d’une manière exhaustive et officielle, présente de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat à travers les assainissements financiers.
Aussi, à l’exception d’un nombre réduit de groupes à savoir SONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agroindustrie), le SPM se caractérise par une rentabilité très basse, une valeur ajoutée peu contributive à la formation du produit intérieur brut (PIB), surendettement des EPE et une faible rémunération des capitaux investis par l’Etat.
En somme, et selon le rapport de la Cours des comptes, les différents dispositifs de gestion et de supervision du SPM mis en place par l’Etat, n’ont pas atteint les objectifs qui leur ont été assignés, notamment le développement et la rentabilisation des EPE et la privatisation de celles qui ne sont pas considérées comme stratégiques pour l’économie nationale. « Les EPE et groupes publics, à l’exception d’un nombre très réduit, se caractérisent par un surendettement et une très faible rentabilité, voire, par des déficits, en dépit des importants soutiens financiers de l’Etat sous diverses formes», note le document.
Par ailleurs, les dissolutions d’EPE ont été beaucoup plus nombreuses que les privatisations totales de celles-ci. Cette situation résulte d’une absence de distinction nette entre l’Etat actionnaire et l’Etat régulateur et de l’absence d’une gestion et d’une prospective basées sur une consolidation intégrale et sectorielle des données économiques et financières du SPM.
1 3972 milliards de DA pour la modernisation des groupes publics
Ainsi, les assainissements financiers, à titre d’annulation des créances du Trésor, de rachat des dettes et de gel du découvert, se sont élevés, à titre d’exemple, pour la période allant de 2003 au premier trimestre 2019, à 1 903 milliards de DA, alors que les plans de modernisation et de développement des groupes publics, financés par des crédits bancaires à un taux bonifié, ont atteint au 31 mars 2020 un montant global 1 3972 milliards de DA.
L’analyse globale des états financiers des 44 groupes publics et EPE non affiliées qui composent le SPM (hors banques et compagnies publiques d’assurance), au titre des exercices 2017 et 2018, a permis de faire ressortir la rentabilité financière moyenne globale du SPM, sans Sonatrach et sans les 6 entreprises précitées, est très basse comparativement au taux des placements en vigueur à la même période sur le marché qui est supérieur à 6%.
Durant cette période, 14 sur les 44 groupes (soit presque 32%) ont enregistré des rentabilités financières et commerciales négatives parmi eux l’important groupe SONELGAZ et 15 autres groupes (soit 34%) ont enregistré, en 2018, un taux de rentabilité financière inférieur à la moyenne globale.
754 milliards de DA pour les salaires
Elles constituent la dépense d’exploitation la plus importante dans le SPM qui a employé, en 2017 et 2018, respectivement un effectif de 597 655 et 607 9064 pour un montant de 706 Mrds de DA et 754 Mrds de DA (sans les banques et les assurances et les EPE des EPIC et EPST). Elles ont absorbé, durant ces deux exercices, en moyenne respectivement 50 et 52% de la valeur ajoutée de l’ensemble des groupes sans le secteur de l’énergie. Pour certains groupes tels que SNVI, GRCN, GATMA, IMETAL et ACS, ce taux a même dépassé les seuils de 86% en 2017 et 100% en 2018. En revanche, pour d’autres groupes, les charges de personnel sont maitrisables.
En effet, le ratio, charges de personnel / valeur ajoutée (VA) a représenté, en 2018, à titre d’exemple, pour Sonatrach (8,25%), pour le holding MADAR (21,13%), pour GICA (31,38%) et pour GTA (33,65%).
S’agissant de la rémunération des capitaux investis par l’Etat, ledit rapport a fait ressortir que les dividendesliés à la gestion des portefeuilles au titre de l’année 2018 affectées au Trésor public sont de plus de 250 milliards de DA, dont plus de 194 Mrds recouvrés durant les années 2019 et 2020, soit un taux de rémunération global de 2,06%.
Toutefois, sur les 250 Mrds, 150 Mrds proviennent de Sonatrach et 81,8 Mrds de DA des banques et compagnies d’assurance. Les capitaux propres investis dans les groupes et EPE hors Sonatrach et hors banques et assurances, s’élevant à 3 168 Mrds de DA, n’ont procuré donc, en 2018, à l’Etat que 18 Mrds de DA, soit un taux de rémunération de 0,57%. Ces dividendes ne proviennent que de 16 groupes dont les quatre (4) plus importants sont : SERPORT (1,6 Mrd de DA), GICA (1,5 Mrd de DA), MADAR (12 Mrds de DA) et COSIDER (1 Mrd de DA) soit 16,1 Mrds de DA ou 89,44% du total des 16 groupes. Le cumul des dividendes recouvrés par le Trésor depuis 2007 jusqu’au 30 septembre 2020, soit 14 ans, est de 1 665 Mrds de DA, dont 1 020 Mrds de DA ont été versés par Sonatrach (soit 61,28%) et 645 Mrds de DA par les autres EPE (soit 38,72%). La moyenne annuelle versée au Trésor est, donc, de 118 Mrds de DA ce qui est inférieur aux dividendes affectés à ce dernier en 2018.
Difficultés dans la mise en œuvre des plans de développement des EPE
Dans le cadre de la nouvelle orientation économique et en préparation de la mise en place du dispositif des groupes publics, les pouvoirs publics ont engagé un vaste et ambitieux programme visant la modernisation des EPE et leur réhabilitation grâce à des plans de développement (PLD) à financer par des crédits bancaires bonifiés.
Le volet formation, équipements, investissements et lancement de nouveaux projets a atteint à lui seul, au 31 mars 2020, un montant de 1 397 milliards de DA, consommés à hauteur de 855 Mrds de DA, soit un taux de 61%. Toutefois, ce programme, hérité par les groupes publics, a connu des difficultés dans sa réalisation.
En effet, selon plusieurs responsables, vu la situation dans laquelle étaient certaines entreprises publiques, celles-ci n’étaient pas prêtes à appréhender un tel programme. Aussi, les estimations financières et techniques des besoins de certaines EPE ont été préparées dans la précipitation, sans études préalables ni recours à l’expertise externe nationale ou étrangère. Ce fait a conduit les entreprises en question à se retrouver avec des surinvestissements ou bien avec des équipements de haute technologie sans disposer de la qualification pour les faire fonctionner d’où la sous exploitation de leurs capacités. « Cette situation, accentuée par les difficultés d’accès à la formation pour acquérir la qualification nécessaire pour absence de centres, d’instituts ou de spécialités universitaires qui assurent la prestation de formation requise, s’est répercutée négativement sur le retour de l’investissement prévu et a mis les entreprises en question dans l’incapacité, à rembourser les crédits obtenus», précise la Cours des comptes dans son rapport.
Ainsi, les entreprises ont investi sans améliorer leurs méthodes et systèmes de gestion et de formation qui sont primordiaux pour l’amélioration de leur gouvernance et management. En effet, les consommations des crédits alloués à la formation se sont élevées à 6,196 Mrds de DA ce qui ne représente que 27% des crédits octroyés à ce chapitre des PLD.
Recommandations
Il est recommandé aux pouvoirs publics de mettre en place une instance nationale de gestion des participations de l’Etat (en remplacement du CPE), à l’effet d’exercer la qualité d’actionnaire pour le compte de l’Etat, dotée des pouvoirs et de moyens nécessaires pour notamment : « assurer la gestion et le suivi des participations de l’Etat, directes ou indirectes, majoritaires ou minoritaires et la représentation de l’Etat au sein des organes délibérants des entreprises bénéficiaires des participations de l’Etat ; analyser et consolider la situation économique et financière du portefeuille de l’Etat et mener toutes études prospectives en vue de favoriser la performance des EPE et l’autonomie de leur croissance ; examiner les stratégies et les plans de développement et de financement des EPE en collaboration avec les ministères sectoriels et y formuler un avis ; mettre en œuvre les politiques et stratégies de l’Etat actionnaire et établir un rapport annuel sur la performance globale du secteur public marchand (SPM)».
Ainsi de définir clairement les relations entre les ministères sectoriels et les groupes industriels et les EPE non affiliées de manière à assurer une autonomie de décision opérationnelle pour les dirigeants des groupes et des EPE et de promouvoir une politique de partenariat avec le secteur privé national et étranger en vue d’assurer une meilleure gouvernance de l’entreprise et permettre, par ailleurs, à l’Etat de se consacrer aux EPE qu’il considère comme stratégiques.
A. R.