La problématique de l’emploi dans notre pays tend, de plus en plus, à se soumettre aux impératifs de la nouvelle économie, orientée vers la diversification des activités, l’encouragement de la micro-entreprise et du statut de l’auto-entrepreneur, les start-up et l’innovation numérique. Cette nouvelle dynamique commence à tracer ses contours dans un contexte de compétitivité, de production locale encouragée et de rationalisation des importations.
Par Amar Naït Messaoud
Ce contexte permet à des concepts tels que marché du travail, force de travail, facteur de production, contrats à durée déterminée (ou indéterminée), gestion des ressources humaines, ergonomie, sociologie du travail…-, naguère quasi «ésotériques» dans le langage de l’administration algérienne et au sein des syndicats, commencent à faire leur apparition, et même à être enseignés dans des écoles et instituts spécialisés.
En tout cas, il ne peut en être autrement, dans le sillage des mutations que sont en train de subir toutes les structures économiques du pays : entreprises publiques, entreprises privées, bureaux d’études…etc.
L’un des facteurs qui ont immanquablement contribué à hâter le processus de mutation et à en dessiner de nouveaux horizons, est, sans aucun doute, le partenariat avec l’étranger.
Ce partenariat, outre ces formules traditionnelles d’entreprises étrangères cherchant un marché national où investir leurs capitaux, a pris encore beaucoup plus de relief avec les accords étatiques ou régionaux du genre Accord d’association avec l’Union Européenne, même ci ce dernier a fini par montrer ses limites dans l’équation supposée être bien assise de la relation gagnant-gagnant…
Cet accord, dont l’objectif ultime, était la création d’une zone de libre-échange, a amené les autorités algériennes à procéder aux démantèlements tarifaires progressifs pour des séries de produits importés de l’Europe, jusqu’à l’exonération totale.
Ce genre de partenariat est supposé, lorsque sa conception initiale a été faite, pouvoir générer une espèce de concurrence aux produits nationaux de façon à stimuler les entreprises algériennes à se mettre au diapason de ce défi par la modernisation de l’outil de production et, surtout, par la réduction des coûts de production. Il n’en a pas été complètement ainsi ; loin s’en fallait.
Plusieurs secteurs de production étaient déstructurés par une concurrence que des chefs d’entreprises algériennes avaient jugé, dès le départ, «déloyale».
En tout cas, les conséquences sur l’emploi étaient durs. Même si, globalement, le niveau de chômage a baissé par rapport à la fin des années soixante-dix, les potentialités en matière d’employabilité et de ressources humaines sont loin d’être prises en charge dans toute leur étendue.
Les secteurs du textile, du cuir et d’autres produits manufacturés ont été lourdement affectés par les avantages tarifaires accordés aux produits importés d’Europe. .
L’emploi avait souffert de la structure bancale de l’économie
En plus de ces aléas liés avec le partenariat étranger, l’emploi avait longtemps souffert d’autres faiblesses structurelles de l’économie algérienne qui était arrimée, de façon asphyxiante, à la rente pétro-gazière. Il se trouve que, même dans ce méga-secteur des hydrocarbures, la pétrochimie avait longtemps pâti de retard de développement et de croissance.
Preuve en était que l’Algérie importait des produits finis issus des hydrocarbures, qui plus est, dans des pays importateurs de la matière première. Il en était ainsi, par exemple, de certains produits fabriqués en plastique et des carburants.
Au cours des années 2010, l’Algérie importait jusqu’à pour une valeur de trois milliards de dollars de carburant (fuel, essence super et normale).
Le président de la République a promis, il y a quelques mois, que l’Algérie n’importerait plus de carburants en 2026 et qu’il fallait augmenter les capacités nationales en matière de raffinage. Imparablement, tout mouvement de progression ou d’inflexion des performances économiques influe directement sur l’emploi.
Avec ses aspects sociaux et politiques, l’emploi prend une dimension surdéterminée. Ajoutons à cela, les détails statistiques que le taux de chômage, à lui seul, n’est pas chargé de révéler. Il s’agit de la composante de la frange qui souffre de la situation de chômage. En effet, dans le taux de 11 à 12 % de chômage, admis généralement comme étant globalement juste, il y a une donnée qui révèle que, dans cette proportion, plus de 20 % sont des jeunes.
Face aux nouvelles réalités économiques, faites d’un marché de travail en pleine mutation, recherchant une adaptabilité à partir du facteur déterminant de la formation, l’équation de l’emploi, sous ses aspects les plus symboliquement « lourds »- à savoir sur les plans politique et social-, se complexifie et offre un sujet d’étude et de débats aux experts et instantes gouvernementales.
Des ressources humaines à valoriser
L’on sait que certaines grandes entreprises privées tentent de s’inscrire dans les normes universelles de travail, aussi bien par l’organisation interne, le mode fonctionnement et le système de rémunération, que par et les autres prestations connexes : santé, récréation et loisirs, stages de mise à niveau, formation continue…).
Face à la compétition, il ne sera pas surprenant que des entreprises publiques en fassent de même de façon généralisée, car certaines ce sont déjà engagée dans cette voie par des contrats de performance avec leurs tutelles.
La gouvernance de l’entreprise, nouveau concept en vogue dans les économies développées et émergentes, est, ainsi, en train de faire petit à petit son chemin au sein de certaines entreprises algériennes. Il s’ensuit que l’étape actuelle que vit le monde du travail et de l’entreprise en Algérie est une phase charnière. Elle s’ouvre sur les réalités du monde où la notion de la gestion des ressources humaines est déjà entrée dans les pratiques depuis la fin des années quatre-vingt du siècle dernier.
Même dans le cadre des délocalisations de certaines entreprises européennes vers des cieux moins contraignants sur le plan salarial, la donne de la gestion des ressources humaines est toujours présente, même s’il faut, pour cela, adapter ce concept au nouveau contexte géographique et humain dicté par la nécessité de la délocalisation.
L’on constate que, au niveau de tous les secteurs de l’économie nationale, la notion de l’emploi évolue de façon fulgurante au cours des dix dernières années.
Elle suit, d’une façon logique, le cours et le rythme des changements économiques, de la transformation de l’entreprise et de l’accélération des échanges à l’échelle mondiale.
À vrai dire, la définition ancienne de l’emploi, comme étant un poste figé, un salaire stable, un plan de carrière garanti à l’avance et un revenu correspondant obligatoirement au coût de la vie, est quelque peu rognée, voire totalement remise en cause. Il ne s’agit, sans doute, ni de s’en réjouir ni de s’en alarmer outre mesure.
Le rôle social de l’État plus pertinent et plus transparent
La gestion rentière de l’économie nationale- qui nous a fait vivre l’illusion de richesse– avait effectivement assuré, un certain moment, le plein emploi et une distribution inconsidérée de l’argent du pétrole via les salaires d’un personnel pléthorique et le soutien généralisé des prix.
Mais, à quel prix ? Le prix par lequel l’économie nationale et le pays tout entier risquent de dommageables perturbations, y compris dans les aspects les plus stratégiques telle que la sécurité alimentaire. Le prix qui risque de valoir également au pays le recul de l’emploi et du pouvoir d’achat ; celui, également, des grandes incertitudes qui pèsent sur l’appareil économique national.
Aujourd’hui, on admet difficilement le nouveau lexique dans lequel est enchaîné le terme d’ « emploi »: concours d’admission, niveau de compétence, nouvelles qualifications, formation continue, contrats à durée indéterminée, flexibilité du travail,…
Ce sont là des concepts qui rompent radicalement avec les automatismes et la linéarité qui prévalaient il y a quelques années sur les lieux du travail, et qui faisaient d’un écolier du primaire et d’un collégien, un jeune universitaire diplômé, « récompensé » immédiatement par l’octroi d’un poste dans l’administration étatique ou dans une entreprise publique.
Le nouveau contexte qui s’ouvre avec la diversification des activités économiques installe une nouvelle conception de la gestion des ressources humaines, un nouveau rapport au travail et à l’activité syndicale et un cadre plus rationnel et plus pertinent pour l’intervention de l’État visant à faire valoir toujours la dimension sociale censée porter aide et assistance aux couches de la population les plus défavorisées (faible pouvoir d’achat, handicapés, personnes en détresse sociale ou sanitaire,…).
Ainsi, dans la nouvelle économie, basée sur la production, l’entreprise, la sécurité alimentaire et hydrique, l’ambition de la diversification des exportations, le rôle social de l’État est appelé à devenir plus pertinent et plus transparent.
A. N. M.