Durant cette rentrée sociale, l’on ne doit pas oublier l’important déficit des caisses de retraite et une grande fraction des retraités qui connaissent des difficultés pour subvenir à leurs besoins. Selon les données internationales, pour l’Algérie, avec la non-application de réformes à moyen et à long terme, le déficit des caisses de retraite a été de 560 milliards de dinars en 2018, 680 en 2020, et aurait atteint 800 milliards de dinars en 2021, et se creusera avec une moyenne annuelle de 2,5% voire 3% tout au long de la prochaine décennie.
Professeur Abderrahmane MEBTOUL
Expert international
Pour alimenter la caisse allocation chômage, les pouvoirs publics peuvent prévoir transitoirement entre 0,5 et 1,5% des recettes de Sonatrach. Encore que l’Algérie possède quelques marges de manœuvres, avec une dette publique totale par rapport au PIB de 63,3% en 2021, contre 53,1% en 2020, et que la dette publique nette totale représente 60,5% en 2021, contre 50,4% en 2020 et une dette extérieure inférieure relativement faible 3,6% et 5,2% du PIB en 2021 et 2022, contre 2,3% en 2020, comme conséquence. Les tensions sociales sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021, mais mal ciblées et mal gérées.
L’Algérie selon le FMI continue de bénéficier d’une marge de mouvement positive, la dette extérieure restant modeste. Mais il faut être réaliste, vu le faible taux de croissance, l’augmentation du chômage et la baisse des réserves de change qui ont clôturé fin 2021 à 44 milliards de dollars contre 194 milliards fin 2013, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production et accentué l’inflation (un exemple l’augmentation de plus de 100% des voitures d’occasion et des pièces détachées) menace la pérennité des caisses de retraite.
Toute nation ne peut distribuer que ce qu’elle a préalablement produit, le populisme pouvant conduire à un processus inflationniste incontrôlable sans création de valeur et donc, à la dérive économique et sociale avec des incidences sécuritaires et donc attention aux effets de l’émission monétaire sans contreparties productives (planche à billets prévoyant pour 2021 environ 2100 milliards de dinars). D’où l’importance d’un nouveau modèle de croissance créant de la valeur, fonction d’une nouvelle gouvernance, dont les sous-segments sont une nouvelle politique de l’emploi, l’actuelle privilégiant les salaires-rente avec le nivellement par le bas, décourageant les énergies créatrices (audit réalisé sous ma direction pour la présidence de la République 2008, 5 volumes 680 pages sous le titre pression démographique et nouvelle politique de l’emploi dont les recommandations n’ont pas été appliquées).
Premièrement, en ce qui concerne l’emploi, la politique passée et actuelle a été de préférer la distribution de revenus (salaires versés sans contreparties productives) à l’emploi, c’est-à-dire contribuant implicitement à favoriser le chômage. Aussi, il s’agit de modifier les pratiques collectives et réduire les à-coups sur l’emploi en accroissant la flexibilité des revenus et des temps de travail par une formation permanente pour permettre l’adaptation aux nouvelles techniques et organisations.
Deuxièmement, ce n’est pas un changement d’assiette des prélèvements qui résoudra les problèmes, mais dans la maîtrise de la dépense aussi bien la dépense globale que la dépense remboursée, car dans cette sphère spécifique, celui qui consomme n’est pas nécessairement celui qui finance, et cela n’est pas neutre pour l’activité productive. L’ensemble des dépenses de la sécurité sociale ne doit pas croître, en volume, plus vite que la croissance du produit intérieur brut (PIB).
Troisièmement, cette rationalisation des dépenses ne saurait signifier restriction aveugle afin de permettre de couvrir les besoins des plus démunis, renvoyant à la rénovation du système fiscal, le niveau de l’impôt direct dans une société mesurant le degré d’adhésion de la population car le système d’impôt est au cœur même de l’équité. Mais l’impôt pouvant tuer l’impôt modifiant l’allocation des ressources réalisée, notamment l’offre de capital et de travail ainsi que la demande de biens et services. Un système fiscal efficace doit trouver le moyen de prélever des recettes en perturbant le moins possible les mécanismes qui conduisent à l’optimum économique et s’articuler autour des prélèvements faiblement progressifs sur des assiettes larges.
En attendant qu’une économie productive se mette en place, je propose quelques recommandations, permettant une meilleure efficacité économique et reposant sur plus de justice sociale qui ne saurait signifier égalitarisme, supposant une mutation de l’Etat providence:
Premièrement, la lutte contre la corruption, où l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2021 publié mardi 25 janvier 2022 par Transparenty International qui classe 180 pays et territoires selon le niveau de corruption perçu dans le secteur public, sur une échelle qui va de 0 (fortement corrompu) à 100 (faiblement corrompu, l’Algérie occupe la 117ème place sur 180 pays ayant reculé de 13 places avec un score de 33 sur 100 contre 36 sur 100 dans le classement de 2020 dans lequel elle a été classée et 104ème place et 106ème en 2019.
Deuxièmement, comme je l’ai proposé en 2008, entre 2/3% des recettes d’hydrocarbures doivent alimenter les caisses de retraite et la caisse allocation chômage annuellement, cette mesure ayant été prise en charge par le gouvernement. Troisièmement, toutes les personnes ayant 32 années de travail plein peuvent aspirer à la retraite, sauf s’ils sont volontaires, et cas exceptionnel pour des personnes malades ou ayant subi un accident de travail.
Quatrièmement, pour les métiers pénibles, et les femmes, il y a lieu de prévoir des clauses de spécificités.
Cinquièmement, s’impose un nouveau modèle social loin de l’assistanat, permettant la levée des contraintes de la mise en œuvre des affaires avec les réformes des institutions pour moins de bureaucratie, une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, la réforme du système socio-éducatif, la réforme du système financier lieu de distribution de la rente et du foncier .
En résumé, la situation économique actuelle est complexe surtout avec les tensions géostratégiques actuelles, combinées aux effets de l’épidémie du coronavirus et du réchauffement qui modifieront tant les relations internationales que le pouvoir économique mondial imposant à l’Algérie des stratégies d’adaptation, n’existant pas de situations statiques. Surmonter l’actuelle crise politique et économique est un défi à la portée de l’Algérie afin d’éviter les tensions sociales et devenir un acteur clef de la stabilité de la région méditerranéenne et africaine. Espérons que le dialogue, outil par excellence de la bonne gouvernance, l’emporte sur les passions, l’objective stratégie privilégier les intérêts supérieurs de l’Algérie. ademmebtoul@gmail.com