Idriss Yalaoui, président du conseil d’administration de Tonic Industrie, consultant senior en management des entreprises:
Apres plusieurs mois de perturbations et de turbulences acerbes, l’entreprise publique Tonic Industrie est arrivée à surmonter les difficultés, à sortir de la crise et à relancer ses activités. Pour revenir sur les aléas ayant perturbé le fonctionnement de ce géant national du papier, M. Idriss Yalaoui, président du conseil d’administration de Tonic Industrie, a bien voulu répondre à nos questions et à expliquer la démarche engagée par le top management, mais également donner un aperçu sur les perspectives de développement qui se dessinent. Une stratégie de sortie de crise est déjà mise en branle, et les résultats positifs sont au rendez-vous. Voilà un élément encourageant qui pousse de l’avant les dirigeants de ce colosse public, et qui donne des ailes à l’entreprise dont l’ambition est à la hauteur des besoins du marché national en matière de papier. En effet, la qualité du management de l’entreprise a pu donner les résultats escomptés, selon le premier responsable qui se félicite des progrès enregistrés, tout en soulignant que d’autres efforts sont nécessaires pour soutenir le développement de Tonic Industrie et lui rendre les lettres de noblesse qui sont les siennes. Entretien.
Eco Times : En votre qualité de président du conseil d’administration de Tonic Industrie, pouvez-vous nous décrire la situation actuelle de l’entreprise ?
Idriss Yalaoui :Depuis le début de l’année en cours, l’équipe dirigeante, soutenue par ses actionnaires, a repris le dessus en mettant en œuvre une stratégie de sortie de crise approuvée par son conseil d’administration.
Un point de situation est rendu nécessaire pour rassurer ses partenaires et les salariés engagés derrière la mise en œuvre du plan de redressement.
Un début d’année très positif, durant le mois de janvier, qui a permis d’atteindre un bon niveau de production, notamment en ce qui concerne le produit d’hygiène très prisé par notre nombreuse clientèle.
A la deuxième quinzaine du mois de février, un arrêt de travail spontané sans préavis a paralysé l’entreprise sous divers prétextes non fondés, un arrêt de travail poussé par le syndicat qui commençait à être dépassé par les événements de redressement engagé par l’entreprise, et qui a eu recours à des perturbations pour exprimer une résistance au changement salutaire affichée dans la stratégie de sortie de crise.
Le conseil d’administration consulté, la direction générale a décidé de ne pas céder et de mettre en place une stratégie appropriée pour la reprise du travail, étant donné que la justice n’a pas tranché sur le bien-fondé de la grève pour «incompétence».
Une campagne de sensibilisation a été menée durant deux mois, elle s’est traduite par l’essoufflement des manifestants qui ont compris l’erreur du mouvement et qui se sont vus refuser tout paiement de salaires aux grévistes, tant que le travailleur n’est pas à son poste de travail et en activité effective (La seule présence passive n’est pas admise).
Depuis le mois d’avril, une grande partie des unités de production a repris ses activités au bonheur de la clientèle qui commençait à s’impatienter.
Aujourd’hui, et depuis début juin, toute l’entreprise a atteint son régime de croisière. Par conséquent, la clientèle a repris confiance et les exportations sont en préparation pour un volume important, qui arrive à point nommé en ces moments difficiles en ressources financières en devises étrangères pour notre pays.
Nous escomptons atteindre le top niveau de la production pour faire face au besoin de financement de l’exploitation, et réaliser nos objectifs d’exportation hors hydrocarbure estimés à plus de deux (2) millions de dollars US, vers les pays du Maghreb, la France et la Turquie.
Peut-on connaître le secret de ce progrès ?
Tout d’abord, et en toute modestie, il faut souligner que les progrès et les réussites sont toujours liées à la qualité du management et à la bonne conduite d’une stratégie adaptée à la situation, et surtout au soutien externe de l’environnement politique .
Les réussites sont toujours précaires ; aucune n’est définitive si l’on ne lui assure pas la maintenance requise.
Je pense que plusieurs facteurs principaux ont été réunis :
Un duo au sommet de la direction générale composé d’un président aguerri et plein d’expérience, et d’un jeune directeur général polytechnicien de formation et doté d’une volonté inébranlable de réussir, qui se sont dits que «nous n’avons rien à perdre ni à craindre de l’opposition interne très virulente. Nous avons tout à gagner si nous réussissons le challenge». Une formule qui a marché et qui devrait faire un cas d’école pour toutes les entreprises qui font face à la résistance au changement. C’est ce qu’on appelle «allier l’expérience et le bon sens à la compétence et aux nouvelles techniques de management moderne».
Une résistance au changement et le refus de nouvelles règles de management par la force de l’inertie et des mauvaises habitudes rentières
1. Un conseil d’administration de très haut niveau d’expertise, doté d’une grande connaissance de l’entreprise et de son environnement choisi pour ses qualités professionnelles intrinsèques (doctorat et expertise) sans appât de jetons de présence.
2. De l’audace et de l’engagement du noyau dur de l’équipe dirigeante choisie parmi le potentiel caché existant et convaincu du bien-fondé de la lutte engagée.
3. D’un grand soutien sans réserve du holding chimie, tutelle de l’entreprise.
4. Du soutien du ministère de l’industrie qui a encouragé et favorisé les rencontres, et renforcé les liens avec les instances syndicales nationales qui ont bien réagi en appelant à la sagesse et que nous saluons.
5. L’autre facteur qui n’est pas des moindres est le confortement des principes et des mesures qui ont conduit au progrès, en plus de l’amélioration des conditions de travail et le rétablissement des règles de fonctionnement, qui ont été à l’arrêt pendant plus de 10 années où tout a été piétiné, sous la menace permanente de grève d’un groupe de travailleurs mal conseillés et à l’affût du moindre motif pour déclencher une grève.
6. Le choix approprié des responsables des unités de production et des cadres dirigeants loin de la cooptation de circonstance et des allégeances diverses.
7. Enfin, la rigueur dans le contrôle des présences et le respect du règlement intérieur tout en veillant à la justice sociale et au respect de la réglementation.
Maintenant que les activités ont repris, avez-vous évalué les conséquences des perturbations subies ?
Sincèrement, il est difficile de faire une évaluation objective des pertes et du manque à gagner du fait de la crise sanitaire qui a aggravé la situation, sauf que nous avons la conviction qu’un rattrapage est possible grâce à la réactivité et l’engagement déclaré de la majorité des salariés, qui regrettent les malheureux événements passés pour récupérer les salaires perdus durant la grève (trois mois de salaires pour certains).
La récupération est très rapide, compte tenu de la grande ressource que recèle l’entreprise et d’une expérience technique inégalée de la ressource humaine disponible.
Les matières premières en majorité constituées de déchets de vieux papier et de carton sont disponibles, les équipements sont au point pour atteindre les plus hautes performances de travail en équipes ; le marché est très porteur, c’est pour cela que nous sommes optimistes pour l’avenir.
En ce qui concerne les travailleurs attachés à leur travail, il faut tirer tous les enseignements de ce bras de force qui a été engagé, et qui a vu la perte de revenu de la majorité des salariés sans aucune possibilité de récupération pour le moment.
Respecter les règles de travail et s’attacher encore plus à son emploi seront la meilleure solution de sauver sa carrière professionnelle.
Il ne faut pas oublier de souligner que malgré les difficultés, l’entreprise a observé les règles de prévention et de protection des salariés contre le coronavirus en dotant les travailleurs de masques, de gants et en désinfectant le milieu de travail.
Concernant les effectifs pléthoriques que vous avez évoqués à plusieurs occasions, comment comptez-vous les gérer ?
C’est vrai qu’il y a un effectif pléthorique, qui ne peut en aucun cas, être utilisé dans l’entreprise et que nous supportons depuis plusieurs années avec son volume aggravé de la masse salariale qui a dépassé les capacités de financement de l’entreprise.
Cette situation ne nous effraie pas trop, du fait que nous avons des solutions pour la prendre en charge.
L’entreprise dispose de deux protocoles d’accord signés avec le partenaire social qui permet les départs volontaires indemnisés et le chômage technique temporaire, où il faut reconnaître la collaboration constructive du syndicat sur ce sujet.
Les deux formules seront mises en œuvre le moment voulu pour alléger la charge salariale et aérer les conditions et le climat de travail.
Un dernier mot…
J’ai accepté cet entretien parce que j’ai un grand espoir dans le discours politique que nous entendons depuis l’élection du nouveau président de la République au sujet de l’entreprise et du monde du travail, en améliorant graduellement le pouvoir d’achat et les revenus, et en se penchant sur les besoins du secteur économique et du système bancaire pour aider les entreprises à se relancer.
On aura un passage à vide, car il est impossible d’effacer la non-gestion de plusieurs années par un simple trait de stylo ou une simple décision administrative. Il faut de la persévérance et l’utilisation de toutes les ressources innovatrices et des potentialités intellectuelles là où elles se trouvent.
Les ressources importantes de la diaspora ne sont pas assez connues, un recensement plus franc et objectif est nécessaire pour sortir des règles de cooptation que nous avons connues. Des prémices d’une prise en charge sont perceptibles dans les discours du président de la République, il faut faire un appel public à manifestation d’intérêt de toute personne ressource résidant à l’étranger et engager une véritable sélection technique loin de tout favoritisme.
Concernant les seniors, nous sommes le seul pays au monde qui pousse ses compétences à la sortie après l’âge de la retraite, l’apport des seniors a été démontré par les pays les plus développés, et c’est ce qu’on appelle le retour d’expérience. Le ministère du Travail devrait se pencher sur cette question que j’intitule «l’apport du senior pour lancer le junior».
Je souhaite beaucoup de sérénité et de succès au programme de notre gouvernement, qui doit s’armer de patience et de persévérance pour traverser et affronter tous les obstacles qui se dressent sur son chemin par la force de l’inertie.
M. A.