La réforme globale de l’économie nationale et de son redressement, tel que voulue par les autorités nées de l’élection du 12 décembre 2019, s’intéresse depuis quelques jours déjà à l’entreprise publique.
Par Hakim Outoudert
La première annonce dans ce sens a été faite, le jeudi 10 décembre dernier, par le ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali Braham. Confirmant la perspective d’ouverture du capital d’entreprises publiques, le ministre avait précisé que l’opération concernera uniquement les entreprises «nécessitant une recapitalisation cyclique, et devrait s’établir à travers la Bourse».
« Il s’agit, d’abord, de faire une étude globale du secteur public pour désigner ce qui est privatisable et pour fixer les conditions d’accès aux capitaux», a-t-il souligné, estimant que la meilleure option d’ouverture de capital serait à travers la Bourse pour permettre aux épargnants algériens de refinancer le tissu industriel national réduisant ainsi le recours au Trésor public.
Quelques jours après, soit, le dimanche 13 décembre dernier, c’était au tour du ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, de compléter en quelque sorte, les déclarations de son collègue de l’industrie, en déclarant que l’accompagnement financier de l’Etat aux entreprises publiques sera conditionné par la modernisation de leur mode de gestion et qu’un cahier de charges définissant les conditions d’accès de ces entreprises au soutien financier étatique sera bientôt mis en place.
Les pour et les contre
Question complexe et politiquement sensible, la réforme du tissu industriel public, entamée en fait depuis au moins 20 ans via, notamment, des mesures de privatisation totale ou partielle, a suscité moult controverses, quand ce n’est pas de la déception, quant aux résultats mitigés, auxquels ont aboutis les diverses politiques de réformes du secteur industriel public.
Au-delà des positions idéologiques entre «étatistes» et «libéraux», s’affrontant autour du statut de l’entreprise publique, des faits objectifs et têtus sont là pour arbitrer le pugilat entre les protagonistes.
A l’actif des partisans d’une réforme libérale du tissu industriel public, les données quant aux contreperformances purement économiques de l’entreprise publique sont établies et avérées depuis des lustres. Caractère «budgétivore» de ces sociétés nécessitant une recapitalisation cyclique, surendettement, déficits chroniques, mode de gouvernance inefficace, incompétence managériale… autant d’«archaïsmes» que soulèvent les partisans d’une modernisation de l’économie nationale pour justifier une réforme radicale, sinon profonde du secteur public industriel, comprendre, sa privatisation globale ou partielle.
A contrario, les adeptes de la préservation du statut public des entreprises d’Etat ne sont pas dépourvus d’arguments, eux non plus, pour justifier leur position.
Ils ont pour eux, en effet, l’expérience malheureuse, d’abord, des multiples opérations de privatisation des entreprises publiques, mises en branle depuis plus de 20 déjà, dont celles fameuses, de l’ex-ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements sous Bouteflika, au début des années 2000. Ses contradicteurs en sont à ce jour, à demander que la «lumière soit faite» sur le bilan de sa politique de privatisation, dans la mesure où ils l’accusent de tous les maux, dont celui d’avoir carrément «bradé», le patrimoine industriel public.
Ainsi, par exemple, en guise d’illustration de l’«échec» de la politique de privatisation de façon globale, le cas type du complexe sidérurgique d’El-Hadjar Sider. Selon Nouredine Bouderba, expert des questions économiques et sociales, dans l’une de ses interventions médiatiques avait affirmé que sa privatisation «n’a non seulement pas respecté le cahier des charges, mais n’a pas réussi à développer les capacités du complexe, ni à couvrir les besoins du marché. Bien au contraire.» Et l’expert d’expliquer : «C’est en 2001 que l’indien Ispat, devenu aujourd’hui Mittal Steel, prend 70% du capital du complexe sidérurgique d’El-Hadjar. Les conditions étaient claires : maintenir les effectifs, investir 175 millions de dollars, valoriser le complexe et porter la production de 800 000 à 1,5 million de tonnes par an. Douze années plus tard, le bilan est révoltant. Les effectifs du complexe ont été divisés par deux, la production a du mal à atteindre les 600 000 tonnes par an et seuls 56 millions de dollars ont été effectivement investis dans l’acquisition d’un nouveau laminoir».
Le poids du politique
Concernant la gouvernance des entreprises publiques, décriée par les partisans de la modernisation du secteur public, les défenseurs du statut étatiques de ces entités, stigmatisent les cas d’interférences politico-bureaucratiques dans la gestion de ces entreprises expliquant en partie, selon eux, les entraves à leur bonne gouvernance.
Des cas concrets de parasitages qui ont été révélés par d’anciens patrons d’entreprises publiques à un confrère de la presse quotidienne, Liberté, en l’occurrence, il ya quelques mois de cela. A l’instar de cet ex-dirigeant d’entreprise, tel que cité par ce titre, qui affirme qu’un «ancien ministre de l’Industrie s’est donné toute latitude de licencier un ex-p-dg de Saïdal, entreprise pourtant cotée en Bourse, pour la simple raison que ce gestionnaire avait osé remettre en cause l’opportunité de certaines décisions de la tutelle concernant son entreprise».
Autre cas d’ingérence révélé un autre cadre d’entreprise publique, ce même ancien ministre qui aurait, selon lui, «fait recruter environ 300 personnes dans une entreprise publique, alors que cette entité avait du mal à boucler son budget».
A propos des pesanteurs politiques minant la gestion des entreprises publiques, il convient de rappeler, entre autres, pour illustration, ces cas où certaines d’entre ont eu pour instructions de placer de l’argent chez El-Khalifa Bank, et auparavant, la chasse aux sorcières, qu’avaient subie des managers d’entreprises publiques durant les années 1990, et dont la preuve est désormais établie que l’écrasante majorité d’entre eux l’ont été injustement, pour des considérations et enjeux politiciens, voire maffieux…
Il est clair, par conséquent, que toute réforme de l’entreprise publique, qu’elle se fasse à travers la privatisation ou pas, serait vouée fatalement à l’échec, si l’on continue à ignorer ces véritables problèmes d’ordre structurels et éminemment politiques et bureaucratiques. Affranchir les entités économiques d’Etat des interférences politico-bureaucratiques souvent à visées prédatrices, les pourvoir des moyens et instruments adéquats pour une véritable autonomie de gestion, libérer leurs dirigeants et managers de l’épée de Damoclès que constitue la pénalisation de l’acte de gestion… Voilà la véritable panacée à leur marasme.
H. O.
Slowing down the privatization process of state-owned enterprises will jeopardize the economy as a whole. I don’t think the government has much time ahead to start selling shares of state-owned mastodons that are not adequately run. The governance that will ensue will be able to pick the management team to return these companies to profit from near-bankruptcy and increase their share in the GDP portfolio.