La chute des prix du pétrole et la pandémie qui ont frappé de plein fouet l’Algérie, a accentué les disfonctionnements de notre système monétaire et économique. Les pouvoirs publics, pressés de sortir de l’impasse socio-économique, veulent, selon des analystes, utiliser la finance islamique pour attirer l’argent du marché informel. Cette option tout envisageable qu’elle soit, n’est pas, pour autant aussi simple à mettre en place, d’autant plus que des économistes avertissent qu’il faudra prendre davantage de mesures pour surmonter tous les défis auxquels le pays sera confronté dans les prochains mois.
Par Réda Hadi
Depuis le début de ce mois, la Banque nationale algérienne a commencé à offrir neuf services financiers islamiques qui ont reçu un certificat d’imams attestant qu’ils sont compatibles avec la loi islamique. A savoir que seules deux autres banques privées, les filiales de la Banque Baraka et de la Banque Al Salam, basée à Bahreïn, offrent des services financiers islamiques en Algérie.
Reste que si cette option semble avoir les faveurs du gouvernement, elle n’en demeure pas moins embryonnaire dans notre pays.
L’Algérie espère tirer profit des revenus importants du marché informel, estimés entre 30 et 35 milliards de dollars, selon Abderrahmane Benkhalfa, ex-ministre des Finances et ancien responsable de l’association bancaire du pays, interrogé par des confrères,« il est non seulement nécessaire d’extraire ces ressources, mais aussi de les injecter dans les banques pour renforcer l’économie», tout en avertissant que la finance islamique n’est pas une solution miracle. Seule une petite partie de l’argent liquide de l’économie informelle circule en raison des croyances religieuses des gens. La solution, selon Benkhalfa, est de prendre des mesures pour moderniser le système bancaire traditionnel – pour le rendre plus réactif – et de le développer parallèlement à la finance islamique.
La conviction du gouvernement se trouve renforcer aussi, par l’expérience de certains pays européens, particulièrement l’Angleterre, qui a ouvert sa première banque islamique en 2016. Un intérêt accru pour ce système monétaire, au point où la City de Londres conforte sa position de première place occidentale pour la finance islamique, un marché qui pèse pas moins de 2000 milliards de dollars dans le monde. Selon un rapport publié par le lobby de l’industrie financière britannique TheCityUK, plus de vingt banques au Royaume-Uni offrent des services en finance islamique.
Un système encore embryonnaire
A ce stade du développement de la finance islamique, une niche encore en phase embryonnaire en Algérie, de nombreux enjeux se posent dont la crédibilité et la soutenabilité à long-terme du modèle islamique. Qu’est-ce qui rendent les banques et les produits qu’elles offrent si différents? Ces différences, sont-elles viables dans le long-terme?
Par ailleurs, les facteurs-clés du succès des autres pays qui ont déjà mis en place ce type de finance, présagent-ils d’un avenir radieux? Quels défis la finance islamique devra-t-elle relever pour se constituer en concurrent sérieux de la finance conventionnelle en Algérie?
C’est à toutes ces questions auxquelles devra répondre la finance islamique pour espérer mériter sa place en Algérie.
Pour un cadre de la BNA, la finance islamique favorise la fourniture de services dans le respect des lois religieuses et de nombreux pays musulmans l’ont adoptée ces dernières années. Ce type de banques est basé sur le partage des profits et des pertes et le paiement d’intérêts est interdit, car il est qualifié d’usure. Les investissements dans des entreprises liées au tabac, à l’alcool, au porc ou aux jeux de hasard, sont également interdits.
L’économiste Abderrahmane Mebtoul s’est montré, pourtant, plus prudent et a indiqué qu’elle n’est viable que si l’inflation peut être contrôlée et si les ménages ont confiance dans la gestion de l’économie par le gouvernement. Selon lui, plusieurs études ont montré que les produits financiers islamiques ont tendance à être plus chers que ceux fournis par le secteur bancaire traditionnel.
Un réveil récent et une progression inégale
Si les principes et les pratiques liés aux règles de l’Islam ont été utilisés pendant des siècles par les commerçants des pays musulmans, leur transposition au secteur bancaire et leur institutionnalisation, elles, ne se sont opérées que très récemment.
Mais, c’est au premier choc pétrolier que l’on doit le véritable essor de ce système bancaire. L’explosion du prix du pétrole a immédiatement impacté les sociétés des pays du Golfe, où l’Islam joue évidemment un rôle clé. La question se pose assez naturellement : les règles sociales étant régies par l’Islam dans cette région du monde, qu’en est-il de la gestion financière ? L’importante quantité de liquidités disponibles a encouragé l’émergence d’institutions bancaires islamiques.
Ainsi furent créées en 1975 la Banque islamique de développement, qui sert de banque de développement au monde arabe, et la Dubai Islamic Bank. Puis, en 1977, la Kuwait Finance House. Elles figurent, encore aujourd’hui, parmi le top 15 des banques islamiques classées selon le total de leurs actifs.
L’exemple à suivre ?
D’ici la fin de l’année, les banques publiques algériennes devraient proposer plusieurs produits financiers islamiques, dont la « murabaha », l’ « ijara » et la « musharakah ». La murabaha, ou financement du prix de revient, est l’un des produits les plus populaires, et sert à financer des crédits pour l’achat de voitures ou de maisons. Elle consiste pour la banque à acheter pour le compte d’un client, un bien ou un autre produit qu’elle lui revend ensuite avec un certain bénéfice en lieu et place d’un taux d’intérêt. L’Ijara est un moyen d’acheter une maison par le biais d’un bail et de la propriété ultérieure, plutôt que par le biais d’une hypothèque. La musharakah est considérée comme un moyen pour un acheteur d’éviter de contracter un emprunt portant intérêt, bien que certains érudits islamiques disent qu’elle est trop proche de la perception d’un intérêt. Les autorités algériennes envisagent également d’émettre des forfaits islamiques.
L’Algérie espère, selon nos sources, que de nouveaux produits financiers adaptés aux règles islamiques, attireront de nouveaux investisseurs sur son marché, suite au succès qu’ont connu les produits financiers islamiques au cours de la dernière décennie dans d’autres pays, notamment dans le Golfe et en Malaisie. Les voisins de l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, ont également lancé la finance islamique. Dans le cas de la Tunisie, elles ont été lancées dans le secteur privé en 1980, bien que ce secteur soit encore très modeste aujourd’hui. Au Maroc, ils ont été introduits à partir de 2017, bien qu’ils n’aient pas encore réalisé de bénéfices.
Mieux vaut tard que jamais
Pour Jilani Ben Lagha (Expert Finance Islamique et consultant à AMEF Consulting), un petit benchmark (analyse des produits et pratiques d’entreprises concurrentes), montre que l’Algérie est restée au dernier rang parmi les pays arabes et musulmans à officialiser l’introduction de la Finance Islamique. Pour lui, dans les faits, l’Algérie n’a pas été le seul pays à avoir pris son temps, la majorité des gouvernants des pays arabes nous ont habitué, chaque fois qu’il s’agissait de la Finance Islamique, à longtemps hésiter, à beaucoup atermoyer et à tergiverser. Car, en effet et pour ne pas parler que du cas algérien, les statistiques montrent que dans la plupart des pays arabes, la finance islamique est souvent passée par des périodes plus ou moins longues de «clandestinité» avant d’être officialisée par un cadre juridique compatible avec ses spécificités.
R. H.