Eco Times : La sphère de l’informel dans tous les secteurs représenterait au moins 50 % de l’activité économique du pays. Pouvez-vous nous donner une échelle de valeurs quant aux pertes qu’il fait subir au Trésor public?
Kamel Kheffache : La sphère de l’informel, tous secteurs confondus, qui représente une moyenne de 50% de l’activité économique du pays, est devenue une véritable plaie pour l’économie algérienne. Ce phénomène coûte annuellement au Trésor public environ 3 milliards de dollars, principalement sous forme d’évasion fiscale. Il faut noter qu’en l’absence de statistiques fiables, la perte serait plus alarmante et plus grave.
Les causes sont multiples et la cause principale réside dans l’insuffisance des dispositifs de contrôle permettant d’atténuer l’ampleur des pratiques informelles.
En dépit des discours et des différentes mesures de lutte contre ce phénomène, celui-ci semble invincible. Est-ce dû à un manque de volonté politique, ou à la puissance des barons de l’informel, ou les deux à la fois ?
Face à cette situation, les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de mettre en place des mécanismes et des mesures de lutte contre ces phénomènes, mais en vain. A titre d’exemple, maintes fois, des mesures ont été prises pour instaurer le paiement des transactions commerciales par le biais des instruments bancaires, tels que le chèque, le virement ou effets de commerce (lettre de change…), pour une traçabilité, mais l’application sur le terrain fait défaut, en raison, notamment, du poids et de la puissance des barons de l’informel.
Qui dit marché de l’emploi de l’informel dit conséquences sur les cotisations sociales et incidences sur le système de sécurité sociale. Pouvez-vous nous illustrer (par des données et des chiffres si possible) l’ampleur de l’érosion sociale qui en est générée?
Le phénomène de l’informel impacte non seulement le Trésor public de manière indirect mais aussi la Caisse nationale des assurances sociales(CNAS). C’est aussi un grand mal pour les travailleurs, du fait qu’ils ne sont pas affiliés à la Caisse nationale des assurances sociales, pour bénéficier de la protection sociale et sanitaire.
Selon les données statistiques algériennes, ils sont plus de 6 millions de personnes qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale, contre seulement près de 5 millions qui bénéficient d’une couverture sociale, ce qui donne un taux de non-affiliation de l’ordre de 55% des travailleurs, qui seraient dans l’informel, et le problème d’identification des fraudeurs au système de sécurité sociale reste toujours posé pour évaluer le manque à gagner pour la CNAS.
En matière de change parallèle, qui fait partie aussi de l‘informel, qu’est-ce qui explique que cette situation persiste, en dépit de ses retombées sur l’économie nationale ?
Depuis des années, le dinar est échangé à un taux supérieur au taux officiel par des gens versés dans le marché informel des devises. Ce phénomène, qui est officiellement interdit mais toléré, a des répercussions sur l’économie nationale, notamment sur ajustements du taux de change officiel par la Banque d’Algérie pour dévaluer le dinar. Cette dévaluation a des effets dévastateurs sur les autres segments et agrégats économiques et sociaux. Depuis des années, les montants des transactions du marché informel des devises n’ont pas cessé d’augmenter et, comme tout marché informel, il est difficile d’avoir une appréciation précise des montants annuels transitant par les circuits non autorisés de la devise dans notre pays. Ils pourront se situer entre 5 à 8 milliards de dollars par an.
Quelles sont, selon vous, les meilleures stratégies à tenir, afin d’en venir à bout ?
L’économie informelle reste un phénomène mondial qui touche plusieurs pays et plusieurs régions dans le monde. Son poids par rapport à l’économie formelle est d’autant plus important qu’il concurrence sérieusement ce secteur. Pour réduire l’intensité de ce phénomène, les pouvoirs publics doivent, tout d’abord, réaliser un diagnostic approfondi pour déterminer les causes réelles qui ont induit à la contamination de tous les secteurs d’activité de notre économie, ensuite, tenter de mettre en place une stratégie inclusive, en concertation avec les parties prenantes, à travers un plan comportant des actions immédiates, à court et moyen termes, et des systèmes de contrôle, de suivi et de la mise en œuvre de la stratégie.
Entretien réalisé par Réda Hadi