L’Algérie depuis quelques temps explore toutes les pistes, et envisage toutes les options pour diversifier son économie et sortir de sa dépendance des Hydrocarbures. Le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Microentreprise, Nassim Diafat, a annoncé que des avantages attractifs seront accordés aux jeunes pour lancer leurs projets et activités dans les zones d’ombre, dans le cadre du dispositif mis en œuvre par l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat. Une initiative qui, certes louable, laisse, néanmoins, dubitatifs des économistes qui se demandent comment seront utilisés les moyens mis à disposition afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs comme dans le cas de l’Ansej. Ceux-ci ont en tête aussi, les fameux 1000 marchés de proximité lancés à grands renforts publicitaires. De plus, certains avancent que c’est là, éventuellement, le retour de l’Etat providence.
Par Réda Hadi
Le président de la République n’a pas caché son mécontentement quant à la gestion du développement des zones d’ombre. Celui-ci assure que tous les moyens seront mis à disposition. Les économistes, pour leur part, disent qu’il y a déjà un travail en amont à faire. Comment, en effet, développer des «zones d’ombre», qui par définition n’ont bénéficié d’aucun instrument de développement, à commencer par les infrastructures de communication, du foncier, etc. ? Comment demander à des jeunes de lancer leurs micro-entreprises dans des régions pratiquement vierges d’un point de vue économique ? Des questions sur lesquelles les économistes sont dubitatifs quant aux résultats escomptés par le projet présidentiel.
Par ailleurs, à travers cette initiative de plancher sur ces zones démunies, le gouvernement n’annonce-t-il pas le retour à l’Etat Providence ?, commentent les économistes.
« L’argent ne suffit pas »
Au-delà de la situation exceptionnelle due à la pandémie du coronavirus, des observateurs de la scène économique nationale, estiment que cette décision peut nous mener à la même conjoncture que celle de l’Ansej. Les «micro-entrepreneurs» vont se lancer tête baissée pour bénéficier de ces avantages et se retrouver, par la suite, endettés et dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes. Une autre question se pose également : pourquoi ne pas impliquer les banques publiques et leur faire jouer le rôle qui leur est dévolu, au lieu de recourir automatiquement aux deniers publics ?
Selon M. Diafat, il y a 1 857 zones d’ombre relevant de 749 communes. Une situation assez complexe, sachant les «vertus» de notre administration, réputée pour sa lenteur et son attitude hiératique… La tâche pourrait s’avérer, donc, difficile.
M. Diafat affirme par ailleurs, que dans ces zones généralement vierges, tout est à construire et les opportunités de création d’activités ne sont pas négligeables, et ce, dans tous les domaines, tels que les services, l’agriculture, l’artisanat.
En somme, si les opportunités existent, tout est, cependant, à faire. Le ministre délégué a affirmé, à ce sujet, que les autorités publiques sont, disposées à accompagner les jeunes entrepreneurs qui interviennent dans la réalisation des programmes de développement prévus au profit de ces zones spécifiques, à l’exemple de projets du raccordement aux réseaux d’électrification, de gaz naturel, à la construction de routes. Une disponibilité louable, mais sans précisions sur sa faisabilité, ce qui laisse sceptiques les économistes qui se demandent à combien peut s’élever un investissement dans le cas, par exemple, de raccordement au réseau électrique ou au gaz ?
Dans ces deux cas, l’investissement nécessaire reste tributaire de l’obtention d’un marché public. Marché public, qui soit dit en passant, ne peut être une solution durable, affirment ils, dans le sens où, à leurs yeux, une fois les travaux finis, la zone d’ombre n’aura finalement bénéficier que d’un budget sans autre moyen à même de promouvoir le sens de l’initiative entrepreneurial et managérial…
M. Bilel Aouali économiste, illustre cette appréhension en estimant que « cette politique de développement doit être menée de façon à ce qu’elle ne ressemble pas à une mesure anti-Covid, pour apaiser la tension sociale ».
Il précise aussi que l’Etat « avant d’engager de telles procédures, doit s’engager à résoudre les problèmes liés aux moyens de communication, du foncier entre autres. Ce n’est que suite à cela, et pour éviter les erreurs passées, que l’Etat devra prendre une participation dans la micro entreprise, et en fonction des résultats obtenus, pourra se faire rembourser ».
« Cette mesure permettra un meilleur contrôle, mais a un revers aussi », poursuit l’expert pour qui, l’appréhension d’une administration contraignante et castratrice persiste toujours, freinant les meilleures ardeurs.
La leçon Ansej…
Par conséquent, Bilel Aouali, préconise une participation des pouvoirs publics, « en bout de parcours, en fin d’année par exemple ». « Libre au porteur de projet de gérer à sa manière. Seul le résultat comptera ». De plus, selon cet économiste, la participation de l’Etat devrait stimuler l’opérateur pour trouver d’autres marchés, à part celui des pouvoirs publics.
Pour M. Haddad Mohamed, un autre expert, cette mesure ne peut être bénéfique qu’à court terme. En effet, ces micro-entreprises peuvent être assimilées à des offres de service temporaires du secteur tertiaire.
« Il ne faut pas retomber dans les erreurs de l’Ansej. On a vu où cela nous a mené. Une entreprise, aussi petite soit-elle, ne peut être rentable qu’en étant productive et qu’en produisant une plus value. Or, une fois créée et le marché terminé, la microentreprise tombe dans l’oubli et déclare faillite. Même scenario qu’avec l’Ansej… A court terme, cette mesure peut offrir des emplois, mais à moyen ou long terme, elle n’aura aucun effet sur la vie économique locale», nous affirme-t-il.
M. Haddad craint, par ailleurs, que l’initiative de réhabiliter les zones d’ombre ne s’avère qu’un « pansement pour un retour à l’Etat providence pour assurer la paix sociale». « A mon avis, il faut encourager ces futures microentreprises à se rassembler en cluster, où chacun de ses titulaires, avec son idée, permettra d’apporter une plus value»
Reste que pour les pouvoirs publics, c’est une voie de sortie de crise et une solution. Avec le concours des secteurs et des collectivités locales, les services du ministère délégué chargé de la Microentreprise, œuvrent actuellement à l’identification des besoins par localité et par zone, pour permettre l’orientation des porteurs de projets vers la création d’entrerpises, tenant compte des potentialités de chaque région, a souligné M. Diafat.
A ce propos, le ministre délégué a rappelé que cette opération s’inscrit dans le programme du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui s’était fixé comme objectif, l’élimination définitive des disparités de développement et de lutter contre la pauvreté dans les régions défavorisées.
Dans cette optique, M. Diafat a affirmé que les ressources et les richesses du pays seront réparties équitablement entre les wilayas sans discrimination entre les régions.
«Le gouvernement est résolu à tirer pleinement profit du potentiel humain que représente notre jeunesse, à travers l’adoption d’une nouvelle démarche purement économique, basée sur la croissance, qui constitue une rupture avec l’approche purement social adoptée par le passé, notamment dans la création des micro-entreprises», a-t-il souligné.
R. H.