La loi n° 19-13 du 11 décembre 2019, régissant les activités d’hydrocarbures, consacre un certain nombre de dispositions qui visent à réduire la pression fiscale aussi bien de l’opérateur historique (Sonatrach) que de ses associés. Comme la téléologie de la loi cible un horizon lointain, ses dispositions ne visent que les associés de Sonatrach (ci-après SH), indépendamment de leur nationalité. Mais tout le monde sait que pour une période encore indéterminée, les associés de SH seront les compagnies étrangères, car il n’existe encore en Algérie aucune compagnie nationale susceptible d’entrer en partenariat avec SH pour la recherche, l’exploration, l’exploitation et le transport des hydrocarbures.
Par Lyazid Khaber, directeur de la publication d’Eco Times, et Ali Mebroukine, professeur en droit des affaires
57 ans après sa création, SH n’a pas pu davantage faire émerger un ensemble complet de sous-traitants, couvrant le cycle du combustible fossile conventionnel, à l’exception du groupe RedMed, qui est intégré dans les chaînes de valeurs mondiales dans les activités liées à la logistique, au génie civil, à l’environnement et à la formation. Ceci posé, l’attractivité de la nouvelle loi ne sera pas mesurée uniquement à l’aune de la baisse des impôts et taxes au profit des associés étrangers de SH, si tant est que la principale prévention des investisseurs étrangers à l’endroit de l’Algérie fût d’ordre fiscal. L’attractivité de la loi sera, également, mise à l’épreuve de la capacité de SH à se doter d’une gouvernance transparente, efficace et d’autant plus dynamique que l’entreprise nationale algérienne est obligatoirement majoritaire dans toutes les opérations de partenariat nouées avec les associés étrangers.
La portée de l’attractivité fiscale de la loi 19-13
L’attractivité fiscale de la loi 19-13 se vérifie à travers la baisse des trois principales taxes instituées aussi bien sur l’activité amont que sur les activités aval, la redevance sur les quantités produites, l’impôt sur le revenu pétrolier et l’impôt sur le résultat.
Un mot, d’abord, sur la taxe superficiaire. Elle est organisée par les articles 165 et 166 de la loi 19-13. Le calcul de cette taxe est basé sur la superficie du périmètre contractuel et sur le prix unitaire, indexé sur le km². Il n’est pas le même suivant que l’on se trouve dans la phase de recherche ou dans la phase d’exploitation. La taxe est payée annuellement, pendant toute la durée de la concession ou du contrat pétrolier. Les contrats soumis à cette taxe sont les contrats de concession en amont, les contrats de partage de production, les contrats de services à risque (ce dernier qualificatif est employé dans la loi au singulier) et les contrats de participation. Il faut savoir que cette taxe n’est pas déductible pour le calcul de l’impôt sur le revenu des hydrocarbures ni pour l’impôt sur les revenus pétroliers.
En ce qui concerne la redevance hydrocarbures, les articles 167 à 176 prévoient qu’elle s’applique aux quantités d’hydrocarbures extraites, mais il convient de défalquer de la base imposable les quantités consommées pour les besoins de la production, les quantités perdues dans le cycle de production et celles qui ont été réinjectées dans les puits d’hydrocarbures.
L’attractivité fiscale de la loi 19-13 se vérifie, également, à travers plusieurs déductions affectant les coûts de transfert des pipe-lines, les coûts de liquéfaction du gaz naturel et les coûts de séparation du gaz de pétrole liquéfié. La redevance sur les quantités produites est due, dans le cadre d’une concession amont par la SH, d’un contrat de partage de production, d’un contrat de services à risque ou d’un contrat de participation. Elle est déductible pour le calcul de l’impôt sur les hydrocarbures et celui sur le revenu global (10%). Ce taux est systématiquement appliqué en fonction de l’importance de la production et n’est pas lié à la taille du gisement d’hydrocarbures. On se rappelle que sous l’empire de la loi 05-07, modifiée et complétée, la redevance variait entre 5 et 20% en fonction de l’importance de la production et de la complexité géologique de la zone où étaient situés les gisements exploités. S’agissant de l’impôt sur le revenu des hydrocarbures, il est assis sur les recettes de production d’hydrocarbures générées sur le périmètre d’exploitation, lequel peut être couvert soit par une concession amont ou un contrat d’hydrocarbures. La base et la perception sont annuelles. Le calcul se fait par référence à la valeur de la production annuelle utilisée pour calculer le montant des redevances. Il s’agit, là, de la règle de principe ; celle-ci est, toutefois, assortie de certaines défalcations, puisqu’il convient de soustraire des redevances les déductions annuelles déjà autorisées par la loi, les acomptes provisionnels concernant l’exploration et le développement ainsi que les provisions, constituées pour faire face aux coûts d’abandon et de remise en état des sites réalisés en cours d’exploitation. Le taux varie entre 10 et 50 % selon la rentabilité du projet et selon un ratio R, qui constitue le rapport entre les revenus nets cumulés et les dépenses cumulées. A cet égard, il est loisible de constater que la fiscalité algérienne retrouve un certain équilibre au profit de l’opérateur national, lorsque le ratio R est > 3. Dans ce cas, le taux applicable sera de 50 %. Il permet à la fois de rémunérer correctement l’associé étranger et d’abonder les recettes du Trésor, par rapport à ce que celui-ci perçoit, lorsque R est < 1. Quant à l’impôt sur le revenu des hydrocarbures, il remplace la taxe sur les revenus pétroliers. Il ne s’agit plus, en effet, pour le législateur de se fonder sur la rentabilité des investissements d’une façon générale (rentabilité commerciale ou rentabilité de l’exploitation au regard de la marge brute d’autofinancement), mais sur le gain du dollar investi, c’est-à-dire, en fait, sur le retour sur investissement (le fameux Return of Investment). Ce calcul s’effectue selon la formule suivante : on défalque du gain de l’investissement le coût de l’investissement et on divise par le coût de l’investissement, ce qui donne le rapport suivant : (gain de l’investissement – coût de l’investissement) / coût de l’investissement. Ainsi, une compagnie étrangère, dont le montant initial des investissements atteint un milliard de dollars et qui a réalisé un gain de 1,5 milliard de dollars, sera imposée sur une base de 50 %. Les taux applicables sont réduits dans la mesure où ils varient entre 10 et 50 % au lieu des 20-70 % sous l’empire de la loi 05-07.
En ce qui concerne l’impôt sur le résultat, il est régi par les articles 188 à 192 de la loi. Il inclut les taux d’amortissement prévus par la loi algérienne ainsi que les frais de recherche supportés à l’issue de la période de recherche. Le taux de 30 % applicable est fixe. Quant à l’impôt sur le revenu, il s’applique à l’ensemble des contrats cités supra.
L’impôt sur la rémunération brute du partenaire étranger est régi par les articles 193 à 197 de la loi. C’est SH qui le paye au Trésor au nom de son associé, sous forme de douze(12) acomptes provisionnels. La taxe est de 30 % de la rémunération brute de l’associé étranger. Il convient de noter que la rémunération brute est en nature. Les quantités sont évaluées en numéraire sur la base des prix définis, c’est-à-dire conformément au contrat d’hydrocarbures. La rémunération brute du cocontractant étranger, dans le cadre d’un contrat de partage de production ou d’un contrat de services à risque, est déductible des sommes dues pour le calcul de l’impôt sur le revenu de SH.
La redevance forfaitaire sur la production anticipée est régie par les articles 198 à 201 de la loi. Le taux d’imposition est de 50 % ; elle est payée par SH directement au Trésor dans le cas d’une concession amont.
La répartition des impôts et taxes par type de contrat
S’agissant des contrats de production et des contrats de services à risque, ils sont soumis au même régime fiscal qui comporte cinq volets :
- La taxe superficiaire
- La redevance hydrocarbures
- L’impôt sur le revenu des hydrocarbures qui ne concerne que SH
- L’impôt sur le résultat auquel n’est assujettie que SH seulement
- L’impôt sur la rémunération du partenaire étranger.
En ce qui concerne les contrats de partage de production, il comporte quatre volets :
- Taxe superficiaire
- Redevance hydrocarbures
- Impôt sur le revenu des hydrocarbures
- Impôt sur le résultat pour chacune des parties.
Ce réaménagement fiscal appelle trois observations essentielles :
- Il est impossible de supputer les chances de succès de ce réaménagement, dans la mesure où tout dépendra des résultats que donnera la mise en œuvre effective des différents contrats institués par la loi, et, notamment, la production d’hydrocarbures réalisée grâce à la découverte de nouveaux gisements.
- Une évaluation périodique du dispositif fiscal est souhaitable dans un sens qui serait encore plus favorable à l’associé étranger, s’il est démontré qu’il existe une relation de cause à effet entre la diminution de l’imposition, au titre des différents contrats, et les risques pris par la compagnie étrangère, en termes d’apports de capitaux et de savoir-faire.
- Le législateur algérien s’est efforcé de tenir la balance égale entre les intérêts des compagnies étrangères que la loi 05-07, modifiée et complétée, n’avait que partiellement pris en compte, et la nécessité de garantir le pouvoir d’achat international du pays en continuant d’alimenter le Trésor par des ressources significatives mais en baisse prévisible à moyen terme, et ce, quel que soit le degré d’implication des compagnies étrangères sur les champs d’hydrocarbures.
L’impérieuse nécessité de revoir la gouvernance de Sonatrach
Ce n’est pas le lieu de reprendre la litanie des critiques sévères, mais le plus souvent fondées, qui ont été adressées par des experts éminents au sujet de la gouvernance de Sonatrach. En raison de son statut très particulier par rapport à celui d’autres entreprises publiques stratégiques, le management de SH a été, dès la création de l’entreprise en 1963, soumis à de règles non écrites qui lui ont été imposées par le décideur. Il s’est agi pour elle, par exemple, de prendre en charge des activités situées hors de ses champs de compétence, ou de financer par exemple, des infrastructures publiques et des équipements collectifs relevant d’autres secteurs que celui de l’énergie. Le premier contributeur au budget général de l’Etat n’a eu de cesse que d’abonder le Trésor public pour financer les dépenses d’investissement et une grande partie des dépenses de fonctionnement. La fiscalité pétrolière a, en réalité, toujours pallié les insuffisances criantes du rendement de la fiscalité ordinaire, mais cela ne pourra plus être le cas à partir de 2022.
La SH lestée, jusqu’à la loi 05-07, de prérogatives de puissance publique (avant de les reprendre sous l’empire de l’ordonnance n° 2006-10 du 29 juillet 2006) n’a pas pu ou n’a pas voulu jouer le rôle d’opérateur économique à part entière, à l’instar de ses associés étrangers. Ce faisant, elle n’a pas fait son profit de l’apport managérial et technologique escompté des compagnies étrangères. Elle s’est, pour l’essentiel, satisfaite de son rôle de «Sleeping Partner», contrôlant à la façon d’une autorité hiérarchique de fait, l’exécution des contrats d’hydrocarbures, au lieu de participer concrètement à la recherche, à l’exploration et à l’exploitation des ressources fossiles. Il n’est pas jusqu’au secteur aval qui n’ait été laissé en déshérence depuis plus de 15 ans, contraignant ainsi notre pays à importer des produits dérivés du pétrole, comme le gasoil, l’essence sans plomb et d’autres lubrifiants, pour un montant annuel moyen qui se situait jusqu’à 2018, entre 2,5 et 2,8 milliards de dollars. Les discours triomphalistes, tenus depuis le début des années 2000 par les responsables successifs du secteur de l’énergie sur le rayonnement de SH en Algérie et à l’étranger, n’ont pas pu dissimuler le fait que 88 % des découvertes de pétrole et de gaz sont réalisées par les compagnies étrangères dans le cadre des contrats de partage de production, notamment. Déjà, à partir de 2008, en raison des insuffisances de la loi 05-07, qui sera remaniée à deux reprises (en 2006, puis en 2013), d’un climat des affaires peu favorable- alors que, paradoxalement, le montant des réserves de change de l’Algérie avait atteint son acmé en 2008-, et de contraintes bureaucratiques inexplicables, les compagnies étrangères ne répondent qu’à un très faible nombre d’appels d’offres lancés par l’autorité de régulation, l’ALNAFT. Mais, curieusement, le décideur ne réagit pas, cependant que le management opérationnel de SH ne prend aucune initiative sérieuse pour investir dans la rénovation des techniques d’exploitation, et n’entreprend aucune stratégie destinée à améliorer les taux de récupération. De plus, il n’y a pas eu de développement avec mise en production rapide des nouveaux gisements découverts, ni de suivi de l’état des puits en production, ce qui eût été parfaitement possible, selon le ministre actuel de l’Energie. SH restant le seul opérateur effectif, le renouvellement des réserves par l’effort d’exploration consenti par les ingénieurs et techniciens de l’entreprise nationale a été notoirement insuffisant. Certes, plus de 90 % des puits sont de taille modeste, il n’empêche que ces gisements recèlent des réserves incontestables mais le management opérationnel, comme dit plus haut, pour des raisons que seul un audit exhaustif pourrait mettre au jour, n’y a pas consenti.
A quelles conditions l’aggiornamento de la gouvernance de SH est-il possible ?
A au moins cinq conditions que l’on déclinera ci-après :
- Comment diminuer les coûts de production et les coûts d’exploitation qui ont littéralement explosé au cours de ces dernières années, alors que déjà en 2015, un ancien ministre de l’Energie avait instruit le p-dg de SH de l’époque de faire de la réduction des coûts l’alpha et l’oméga de la stratégie financière de l’entreprise ?
- Comment faire face au départ régulier des ressources humaines hautement qualifiées que l’entreprise a échoué à fidéliser, nonobstant les avantages et privilèges qu’elle leur octroie, par comparaison avec d’autres entreprises publiques et même privées ? Est-il possible de concilier, et si oui jusqu’à quel point, la maîtrise des coûts d’exploitation et la revalorisation substantielle des salaires, indemnités et primes des cadres pour les encourager à rester au sein de l’entreprise jusqu’à leur départ à la retraite ? Dans la même veine, pour quelles raisons les diplômés de la Faculté des hydrocarbures et de la chimie de l’UMBB (Boumerdès) et de l’Institut algérien du pétrole (certes, sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur depuis juillet 2020) ne sont pas plus nombreux à candidater pour un poste à la SH ?
- SH ne peut prendre en charge que les seules activités qui s’inscrivent dans son cœur de métier. Si le Top Management et le Middle Management de l’entreprise se dispersent ou accomplissent des missions étrangères à l’objet social de SH, celle-ci ne pourra pas remplir son office d’opérateur de première cordée, que lui confère son statut d’associé majoritaire dans toutes les opérations de partenariat prévues par la loi.
- SH dispose, aujourd’hui, de 154 filiales et participations dont 15 en pleine propriété. Ce nombre est-il adapté à la nature de ses activités actuelles et futures ? N’y a-t-il pas lieu de conserver seulement les filiales métiers, et probablement quelques autres, qui se rattachent jusqu’à un certain point à l’objet social de l’entreprise ?
- SH pourra-t-elle, grâce à une gouvernance rénovée, investir 59 milliards de dollars, d’ici 2030, dont 45,8 milliards dans l’activité Exploration/Production, et 8,6 milliards dans l’activité Raffinage/Pétrochimie ? Ce qui ne fait pas de doute est qu’en maintenant la gouvernance de l’entreprise en l’état, le taux d’intégration visé à l’horizon 2030, à savoir 55 %, ne sera jamais atteint.
- La fiscalité de SH devra, dans tous les scénarios retenus, tendre à la baisse car l’entreprise n’a pas vocation à abonder le Trésor public de recettes fiscales mais à se développer en interne et à l’international, tout en contribuant, en association avec les filiales dédiées de Sonelgaz, à promouvoir un nouveau modèle de production et de consommation dans lequel les énergies renouvelables devront représenter au moins 40 % du mix énergétique à l’horizon 2040. Le renouvellement des réserves, celui des capacités de production, la formation du personnel, le développement d’une expertise de stature internationale ne peuvent, en effet, s’accommoder d’une pression fiscale trop forte. Tous les experts algériens le disent. La réussite de l’internationalisation du groupe SH est, également, à ce prix.
En guise de conclusion
Ce que personne ne peut contester est que l’actuel p-dg de SH, Tewfik Hakkar, ne porte aucune responsabilité dans les nombreux errements de la gouvernance de SH qui sont régulièrement dénoncés, parfois par certains de ceux qui ont dirigé directement ou indirectement le groupe, donc, par des personnes qui ont une part de responsabilité dans la mauvaise gestion de l’entreprise. Au contraire, depuis sa désignation à la tête de SH, en février 2020, Tewfik Hakkar, manager de haute stature et enfant de SH, s’efforce de redresser le groupe dans un contexte national, et surtout international, de plus en plus contraint. Il faut l’aider à réussir sa mission et non le déstabiliser par des critiques injustes et stériles.
L. K./A. M.