Le timing semble prometteur : quelque 5 mois après l’entrée en vigueur du cahier des charges fixant les conditions et les modalités d’exercice de l’activité de construction de véhicules, en août 2020, conditions venues en contrepartie de l’engagement des pouvoirs publics d’assainir ce segment de l’industrie nationale, des constructeurs étrangers manifestent déjà leur intérêt.
Par Hakim O.
C’est du moins l’affirmation du ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, qui, le mercredi 8 janvier dernier, a fait état, lors d’une conférence de presse tenue à Alger, de «négociations en cours avec deux grands constructeurs automobiles ». Il n’en communiquera pas l’identité, mais en revanche, il en révélera les « nationalités », à savoir européenne et asiatique. Plus important s’il en est, que l’identité des marques de ces deux opérateurs, le ministre assurera qu’ « il s’agit de gros projets d’industrie mécanique qui généreront des écosystèmes dans lesquels évolueront plusieurs de leurs équipementiers et sous-traitants. »
Un cahier des charges draconien
«Le gouvernement prépare la relance de cette industrie sur des bases solides qui rompent avec les pratiques du passé. Nous avons fixé les repères qui redonnent à la notion de valeur ajoutée toutes ses lettres de noblesse », a-t-il expliqué.
Il faut croire, en effet, si l’on s’en tient à l’intransigeance et aux exigences rigoureuses du nouveau cahier des charges encadrant cette industrie, qu’il s’agirait de constructeurs, d’autant plus majeurs, qu’ils devront satisfaire à des conditions d’exercice des plus draconiennes, désormais.
Le nouveau cahier des charges, en effet, concernant l’investisseur étranger est on ne peut plus clair puisqu’il exige qu’il soit “un acteur mondial de premier rang dans le domaine de la construction de véhicules” se devant d’apporter son savoir-faire technologique, un minimum de 30% en fonds propres du montant global de l’investissement pour son financement et présenter l’étude technique du projet effectuée par des bureaux d’études spécialisés sous contrat directement avec la maison-mère et financée par cette dernière, et ce, en plus des garanties et des cautions.
Au préalable, la condition d’inclure une chaîne d’emboutissage, de soudure et de peinture au départ de l’activité comme préalable à l’obtention de la décision d’évaluation technique, est imposée à tous les postulants, locaux comme étrangers.
Concernant les véhicules, ces derniers “doivent répondre aux normes de sécurité et de protection de l’environnement”. Autre nouveauté, “aucun projet ne peut intégrer dans sa ligne de production des modèles de marques différentes sur le même site”.
Tirant les leçons de la scandaleuse conjoncture passée, le texte stipule désormais, que “les composants, pièces et parties importés destinés au premier montage ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de revente en l’état” outre que « l’investisseur est comptable devant le gouvernement s’il n’observe pas ces dispositions. Ainsi, en cas de détournement de l’avantage consenti, l’opérateur sera sévèrement sanctionné, allant jusqu’au retrait définitif de l’agrément.
Ce sont là, entre autres, des dispositions qui se veulent le moindre des remparts contre la reproduction de la scandaleuse situation qui avait prévalu dans le domaine de l’industrie automobile avant février 2019.
Une conjoncture, dont l’ampleur de la gabegie, de l’escroquerie économique et de la corruption, n’avait d’égale que l’immense perte financière causée au Trésor publique, mais aussi et peut-être surtout, la décadence morale qu’elle avait occasionnée au pays.
Le traumatisme des importations déguisées…
Des pertes financières qui se comptent en milliards de dollars, avoisineraient les 50 milliards US en 20 ans, selon le patron d’Elsecom Motors, Abderrahmane Achaïbou tel qu’il l’a révélé en février 2020. Quant à un autre opérateur activant dans le domaine, Omar Rebrab, en l’occurrence, elles seraient évaluées à près de 129 milliards de dinars, selon le patron de HMA, Omar Rebrab, une somme qui ne concernerait que trois affaires jugées à l’époque par la Justice, avait-il affirmé, durant la même période.
En fait, ce dont le commun des Algériens avait l’intuition depuis toujours, le ministre de l’Industrie M. Aït Ali, alors fraîchement installé à son poste en février 2020, l’avait diagnostiqué lors d’une émission télévisuelle (émission d’A3 « El-Hiwar El-Iktissadi »), sous le regard ébahi du téléspectateur. Entre autres de ses conclusions, Ferhat Aït Ali avait assené : «Toute cette industrie, y compris ceux qui assemblent les engins, tout ce qui est CKD, de la téléphonie jusqu’aux véhicules, ne faisaient qu’importer tous les composants du produit final qui arrivent déjà assemblés. Des fois même emballés». Et le ministre de accuser: «ceux-là, si on ne leur importe pas à longueur d’année l’intégralité de leur chiffre d’affaires, ils fermeront ».
Symptomatique d’un climat d’affaires structurellement exécrable, les profiteurs ne se comptaient pas uniquement dans le rang des opérateurs qui activaient dans les « importations déguisées », mais aussi dans celui des investisseurs et des producteurs. Ainsi, le ministre de l’Industrie avait dans la même émission télé, pointé du doigt le constructeur français, Renault dont il a affirmé que «les rapports d’organismes officiels confirment que tout ce qui est annoncé comme taux d’intégration est faux.» «Un bénéfice de 1,5 milliard de dollars ou d’euros en exonération fiscale est dégagé chaque année et il n’est pas normal qu’avec toutes ses exonérations les concernés présentent des bilans avec des bénéfices de 1% par an».
Exemple ou contre-exemple marocain ?
La remise à plat du dossier de l’industrie automobile en Algérie, en vue de le reprendre sur des « bases solides », selon les termes du ministre de l’industrie, semble, donc, amorcée. Il s’agirait, en priorité et comme moindre réforme, d’y éradiquer tout népotisme et affairisme, comme dans toute autre activité économique, par ailleurs. Ce qui semble être largement pris en compte, au regard de la prise de conscience telle qu’affichée à cet égard, par les pouvoirs publics issus de l’élection du 12 décembre 2019. Encore faudra-t-il que, non seulement les textes législatifs soient suivis d’actes conformes, (sachant que tous les arsenaux législatifs existant depuis des décennies ont toujours péchés par un défaut d’application), mais aussi, que la détermination des pouvoirs publics d’amorcer une véritable industrie automobile…ne se fasse pas à n’importe quel prix. En ce sens que, par exemple, idéaliser le modèle marocain en la matière, qui certes affiche d’appréciables performances à cet égard, ne saurait aller jusqu’à en imiter totalement la démarche. Il faut savoir, en effet, qu’en contrepartie de ses exploits dans le domaine de l’industrie auto, il a fallu au Royaume céder une « participation majoritaire des capitaux étrangers dans ses usines, soit près de 80% à la Somaca (Société marocaine de construction automobile) et 52,4% à RTM (Renault Tanger Méditerranée) » selon notre confrère Liberté.
Qu’en est-il, après cette large concession, de la capacité de décision des pouvoirs publics marocains et de la sauvegarde des intérêts du royaume, notamment en termes de l’emploi de la main-d’œuvre locale, du degré du transfert du savoir-faire technologique et celui des bénéfices de ces entreprises, etc. ? Logiquement, elle ne peut être qu’une capacité amoindrie, d’autant que les autorités de cepays n’en sont pas à cette concession de souveraineté près, loin s’en faut… Certes, peut-être la fameuse règle algérienne des 49/51, dissuade-t-elle l’investissement étranger (encore qu’il est question de son abolition…), mais est-ce pour autant, qu’il faille ne pas explorer quelques avantages comparatifs avec nos voisins qui permettraient que nous continuions à avoir la main sur la destinée de notre industrie nationale. Ou ce qu’il en reste.
H. O.