Les accords internationaux sont ce qu’ils sont. Et la révision de certaines dispositions ne peut se faire qu’en commun accord entre les parties concernées. Faute de quoi, il y aura toujours des conséquences. L’Algérie qui, il y a quinze (15) ans ratifiait l’accord d’association avec l’Union européenne, se trouve à présent comme prise de court, par l’arrivée de l’échéance de mise en œuvre de l’accord de libre-échange, qui devra entrer en vigueur le 1er septembre prochain. Que faire ?
Par Nabila Agguini
Une chose est sûre : les quinze dernières années n’ont servi presque à rien, dans le cadre de la préparation de la mise en œuvre de cet accord. Aujourd’hui, à quelques heures seulement de son entrée en vigueur, l’Algérie est loin d’être prête. Car, pour le commun des analystes et des opérateurs économiques nationaux, annuler les barrières douanières avec l’UE est synonyme de «destruction» de la production nationale, qui devra s’attendre à une concurrence «effroyable» de la part des produits européens de meilleure qualité.
Il y a quelques jours seulement, le président Tebboune ordonnait au ministre du Commerce d’évaluer en urgence cet accord d’association, mettant ainsi le bémol de «faire valoir nos intérêts pour des relations plus équilibrées».
Un nouveau report est-il possible ?
Toutefois, si le message envoyé par Alger ne souffre d’aucune ambiguïté, quant à la mise en pratique des clauses de cet accord rejeté, ne serait-ce qu’en partie, la partie européenne n’a pas encore exprimé sa position. Et l’Algérie a-t-elle saisi les autorités européennes pour une éventuelle révision de l’accord ? Jusque-là rien n’a filtré sur l’existence d’une telle démarche. Pour rappel, alors que le processus de démantèlement «total mais progressif» des tarifs douaniers devait initialement s’achever à l’horizon 2017, l’Algérie avait pris les devants, en 2010, pour demander le report de cette échéance. Ce qui a été obtenu en 2012, suite à un accord entre les deux parties consistant à repousser la date de l’établissement de la zone de libre-échange à 2020.
La question qu’on se pose à présent, est celle de savoir si réellement l’Algérie est en mesure d’arracher un nouveau report, à quelques jours seulement de l’arrivée de l’échéance arrêtée ? Noureddine Boukrouh, ancien ministre du Commerce (2003-2004), que nous avons interrogé, dira d’emblée : «Il faut, tout d’abord, rappeler que personne n’a imposé à l’Algérie de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. C’est elle qui a supplié l’Europe de bien vouloir l’accueillir dans son giron pour accéder à des aides de diverse nature.» Avant d’ajouter au sujet de l’éventualité d’une révision qu’«il faut aussi savoir que ce n’est pas parce que nous sommes mauvais joueurs qu’on va pouvoir se retirer de l’accord «comme ça», sur un coup de tête. Il s’agit d’un traité international qui prévoit des recours et des mécanismes en cas de désaccord, mais pas le droit d’imposer la volonté de l’un à l’autre. Nul ne peut exciper de son incompétence pour se retirer d’un engagement.»
Ceci dit, la tâche n’est pas aisée, à en croire les spécialistes. Sur ce, l’avocat Mohamed Brahimi est catégorique. Dans une tribune publiée sur son blog personnel, ce juriste attitré rappelle que «tout d’abord, l’accord d’association ayant été ratifié par l’Algérie acquiert force exécutoire quant aux obligations qui y sont définies. Il constitue, donc, une convention internationale qui est supérieure à la loi interne, conformément à l’article 150 de la Constitution. En application de cet accord, l’Algérie est tenu de respecter ses engagements sous peine de se voir appliquer des mesures de rétorsion ou de compensation prévues par cet accord. L’Algérie peut bien sûr dénoncer cet accord, mais ce serait, là, un signal négatif vis-à-vis des autres partenaires de l’Algérie, et qui plus est, aurait un effet dévastateur sur l’image et la crédibilité du pays.»
Cela dit, l’Algérie va-t-elle prendre le risque encouru par un éventuel refus d’appliquer cet accord, ou plutôt accepter le fait accompli et essayer de tirer profit des clauses qui lui sont avantageuses ? Car, si des voix, souvent intéressées à trouver dans le giron des opérateurs économiques qui ont une mainmise sur certains circuits du marché national; il demeure que les spécialistes pensent que la diabolisation de cet accord n’est pas fondée.
Un accord diabolisé…
C’est l’avis de Mohamed Brahimi, qui estime que «les analystes, qui ont abordé la question, évacuent de bonne ou de mauvaise foi le fait que l’application de l’accord de libre-échange avec l’UE profitera en premier lieu au citoyen algérien, puisque le démantèlement tarifaire des biens et des services prévu par cet accord, induira automatiquement la baisse drastique des prix des produits concernés par ce démantèlement, notamment les produits agricoles transformés et autres marchandises. Le consommateur algérien aura ainsi à sa disposition des biens, des marchandises et des prestations en quantité et en qualité, provenant de l’Union européenne et à moindre coût par rapport aux produits locaux. De ce point de vue, un tel accord ne peut être que positif pour le simple citoyen.»
De son côté, Noureddine Boukrouh pense que «cet accord ne comporte aucune disposition particulière à l’Algérie. Toutes ses clauses portent sur des standards en vigueur dans les pays membres de l’UE ou associés à elle. Un accord international contient des clauses ouvrant droit à des avantages et imposant des devoirs réciproques. L’opinion publique algérienne ne s’est intéressée qu’à la question de la baisse des taux de douane, ramenés au niveau des taux pratiqués au sein de l’Union européenne et de l’OMC, soit pratiquement dans l’ensemble du monde.»
Pour lui, «c’est de notre faute si cette baisse de droits de douane ne nous a pas autant profité qu’elle a profité aux partenaires européens, car eux sont des exportateurs, et nous de simples importateurs. Nous n’avons rien à exporter vers l’Europe en dehors des hydrocarbures et des « harragas », et c’était dans l’ordre des choses que notre balance commerciale soit déficitaire chronique avec les pays de l’Union européenne, comme elle l’est, hors hydrocarbures, avec le reste du monde à qui nous ne sommes liés par aucun accord.»
«Nous plaindre de cet accord, c’est faire montre d’un caractère de mauvais joueur, car nous ne pouvons pas soutenir qu’il a été conçu à notre détriment et en faveur d’un quelconque pays de l’Europe.», conclut-il.
N. A.