Durabilité du foncier irrigué en zones steppiques d’Algérie : Le risque de l’effondrement hydraulique

L’article analyse la durabilité de l’exploitation du foncier irrigué dans une commune steppique d’Algérie, Rechaïga, où la dynamique de développement de l’agriculture irriguée semble ralentir depuis quelques années, après une phase de forte expansion.

Synthèse Akrem R

La phase d’expansion, qui a duré deux décennies, a impliqué aussi bien des agriculteurs locaux que des agriculteurs itinérants venant des autres régions du pays. 

Dans une étude «Durabilité du foncier irrigué en zones steppiques d’Algérie, le risque de l’effondrement hydraulique», trois chercheurs, à savoir, Alaeddine Derderi, Ali Daoudi et Jean-Philippe Colin, ont examiné l’évolution de la dynamique foncière et productive, en fonction de l’évolution de la surexploitation des nappes dans la commune steppique de Rechaïga (wilaya de Tiaret). 

L’agriculture irriguée, qui a connu son pic de croissance durant les années 1990, a commencé à donner des signes d’infléchissement dès le début des années 2000.

L’extension du foncier irrigué dans cette commune et sa valorisation par des cultures maraîchères intensives ont été principalement favorisées par l’arrivée, dès la fin des années 1980, d’agriculteurs itinérants originaires des wilayas du nord du pays.

Ces producteurs sont itinérants au sens où ils déplacent la production après quelques saisons, d’un site à un autre dans une même région ou d’une région à une autre, et ne recherchent pas un ancrage foncier local pérennisé. Ils accèdent à la terre via le marché foncier locatif et déplacent leurs cultures là où l’eau et la terre sont bon marché.

Les régions semi-arides et arides d’Algérie ont connu une extension inédite de l’agriculture irriguée ces dernières décennies, promue principalement par l’État dans le cadre d’une politique volontariste de mise en valeur agricole. L’accès aux terres du domaine privé de l’État et à l’eau souterraine, également bien domanial, a été largement facilité par cette politique. Aujourd’hui, quelques-unes de ces régions occupent des places de leaders pour certains produits agricoles.

L’exploitation des eaux souterraines y a atteint des niveaux inédits. La majorité de ces régions étant encore dans la phase de croissance, les alertes sur la surexploitation des eaux souterraines et le risque d’effondrement de toute cette dynamique agricole restent peu perceptibles par les décideurs.

Une attention particulière est accordée au fonctionnement du marché foncier locatif et à son caractère inclusif ou non. Deux résultats clés se dégagent de l’analyse. Le rabattement des nappes témoigne de la non-durabilité d’une agriculture maraîchère irriguée intensive en steppe, ou du moins dans les parties de la steppe présentant les mêmes conditions hydriques que la zone d’étude.

La phase d’expansion de la dynamique maraîchère a été inclusive et a bénéficié aux agriculteurs, tant locaux qu’itinérants, alors que la phase de déclin semble difficile pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’adapter, notamment les exploitants locaux; les itinérants, quant à eux, ont pour logique de répondre à la dégradation des conditions de production locales par la recherche de nouveaux sites de production. Beaucoup de ces agriculteurs abandonnent le métier à défaut d’options techniques alternatives accessibles.

En effet, la profondeur temporelle du développement de l’agriculture irriguée intensive dans la commune étudiée permet ici de mieux apprécier la durabilité du foncier irrigué au regard de la dynamique foncière et productive, en fonction de l’évolution de la surexploitation des nappes. 

«Notre étude fait apparaître un début d’effondrement des modèles maraîchers à Rechaïga, lié à la surexploitation des eaux souterraines. Les observations réalisées dans cette commune témoignent d’un rabattement prononcé des niveaux des nappes dans les périmètres où la dynamique maraîchère impulsée par les agriculteurs itinérants est relativement ancienne. Il apparaît clairement que ce type de modèle productif agricole, grand consommateur d’eau, n’est pas approprié dans un contexte steppique où la ressource hydrique est rare», indiquent les trois chercheurs.

Et de préciser : « Le cycle de développement de ces cultures maraîchères irriguées ne dure en moyenne que 20 ans avant l’émergence de signes de surexploitation. Il comporte trois phases : 1) la phase de lancement, pendant laquelle des exploitants pionniers « itinérants » investissent dans la réalisation de forages, testent les cultures irriguées intensives et les développent progressivement; 2) la phase d’extension des cultures irriguées et de forte mobilisation des ressources hydriques; ces phases sont inclusives pour tous les agriculteurs, itinérants comme locaux; 3) la phase de crise hydraulique et de déclin relatif de l’agriculture irriguée. Cette phase conduit à des formes d’exclusion des petits agriculteurs du fait de l’épuisement des nappes et du manque de moyens financiers pour accéder aux ressources souterraines (plus profondes) encore disponibles localement ou dans d’autres périmètres de la commune».

Deux messages clés se dégagent donc de l’analyse. D’une part, le rabattement des nappes témoigne de la non-durabilité d’une agriculture maraîchère intensive irriguée en steppe, ou du moins dans les parties de la steppe de mêmes conditions hydriques.

D’autre part, la phase d’expansion de la dynamique maraîchère a été inclusive et a bénéficié à toutes les catégories d’agriculteurs, tant locaux qu’itinérants, alors que la phase de déclin semble difficile pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’adapter, notamment les exploitants locaux (les itinérants quant à eux ont pour logique de répondre à la dégradation des conditions de production par la recherche de nouveaux sites de production). Beaucoup de ces agriculteurs abandonnent le métier à défaut d’options techniques alternatives accessibles.

L’effondrement total de la GWE ou la relance de cette dernière par sa réorganisation profonde sont les deux scénarios possibles du futur de la GWE à Rechaïga, et dans les autres communes steppiques qui connaissent une dynamique agricole similaire.

La gestion collective concertée de la ressource hydrique est une piste recommandée dans les contextes de surexploitation des eaux souterraines pour une gouvernance durable de cette ressource. 

Dans le cas de Rechaïga, l’adaptation des agriculteurs aux premiers signes de l’effondrement reste individuelle. Elle a évolué progressivement au fur et à mesure du rabattement du niveau de la nappe.

Au début de la crise hydraulique, les agriculteurs ont cherché à sécuriser leur accès à l’eau par l’approfondissement et la multiplication des forages au niveau de leur parcelle.

Actuellement, l’adaptation se traduit, pour les producteurs qui maintiennent une production maraîchère, par le choix du déplacement vers les périmètres de la commune les moins affectés par le rabattement (via la prise en location), par le retour à l’élevage ovin et l’introduction de la céréaliculture irriguée comme l’une des composantes principales du système de culture.

Dans les périmètres touchés par la crise hydraulique, le contrôle de la mobilisation de l’eau vient de l’interdiction de nouveaux forages par les autorités locales, interdiction dont le respect se trouve renforcé par la dénonciation des forages illicites par les agriculteurs en place.

La réflexion sur les conditions de l’émergence d’une action collective et sur la nature de cette action (nouvelles règles de la gestion de la nappe, négociation avec le pouvoir public, modèles agricoles alternatifs) dans le contexte des zones steppiques algériennes constitue alors une piste de recherche intéressante.

A.R.

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