Il a été dit et écrit énormément de choses autour de la situation actuelle autour du gaz algérien. D’après les données de S&P Global Platts pour 2020, l’Algérie n’a livré que 3,67 milliards de m3 via le GME alors que Medgaz a vu passer 5,39 m3, il est à noter que sur le volume ayant transité via le GME autour d’un milliard de m3 était destiné au Maroc sous forme de droit de passage et d’achat à un tarif très préférentiel du complément nécessaire au Maroc pour ses besoins.
Par Amor AISSAOUI*
En termes de capacités d’exportations de l’Algérie, elles se répartissent de la façon suivante :
GME : 13,5 Milliards de m3 par an
Medgaz : 8, puis 10,5 milliards de m3 dès décembre 2021 – Capacité pouvant être portée à 16 milliards par an, la limite étant le diamètre de la section maritime car la plus petite du tronçon.
Transmed : 30.2 milliards de m3 par an
Terminaux GNL : 30 milliards de m3 par an.
A cause de la pandémie, 2020 n’est pas une année de référence, mais il ressort de ces données réelles, que l’Algérie n’a eu à utiliser que 50 % du potentiel de ses moyens d’exportation même si on ne tenait pas compte du potentiel du GME ( 35,45 milliards de m3 exporté pour un potentiel de 70 milliards de m3 sans la capacité du GME).
D’un point de vue logistique, l’Algérie peut largement honorer ses contrats.
Si on prend les chiffres d’avant la pandémie, c’est-à-dire ceux de 2019, l’Algérie a produit 86,2 milliards de m3 de gaz et en a exporté 41 milliards de m3.
Concernant nos livraisons vers la péninsule ibérique ( Espagne et Portugal), nous y avons 3 clients sous contrats long terme pour un volume contractuel annuel de 9,1 milliards de m3 pour la totalité des 3 contrats.
Le Medgaz devrait couvrir ces volumes dès que sa capacité sera portée à 10,5 milliards de m3, le déficit de livraison ne devrait durer que pendant un mois, et 2 ou 3 livraisons de GNL de 15 000 m3 (soit 600 fois plus en volume gazeux) devrait largement couvrir le déficit, d’autant plus que l’Algérie dispose via Hyproc d’une flotte de méthaniers largement suffisante pour cela.
Maintenant nos rapports avec le Maroc
Ce pays percevait un droit de passage et avait un contrat d’approvisionnement complémentaire pour faire tourner ses quelques turbines à gaz produisant environ 17% de ses besoins en électricité.
Soit une livraison totale de l’ordre d’un milliard de m3 payée entre 5 et 10 % de sa valeur (en fonction des cours actuels sur le marché Spot). Ce milliard de m3 représentant 97% des besoins en gaz actuel du Maroc, c’est tout sauf négligeable.
On accuse aujourd’hui l’Algérie de vouloir rompre le contrat du GME, factuellement cela est faux, car depuis 2017 et 2018, le Maroc avait déjà commencé à expliquer qu’il ne savait pas s’il allait renouveler ou pas le contrat du GME, persuadé qu’il était d’avoir fait de grandes découvertes sur le site de Tendara. Pour preuve cette article reprenant une publication de S&P Platts à ce sujet. (1)
Sauf que dans l’intervalle, l’Algérie et l’Espagne avaient convenu de faire la jonction du GME et du Medgaz et d’augmenter la capacité de ce dernier.
Aujourd’hui, l’Algérie peut se passer du GME, et par conséquent, vendre au Maroc, aux conditions qu’elle souhaite, le volume de gaz dont le royaume a besoin. Et même, à un prix supérieur au prix du marché Spot ! Et c’est en cela que la situation relève d’une défaite, à la fois économique, politique et diplomatique pour le Maroc.
Car, en définitive, quelle est la situation énergétique du Maroc ?
Ce pays est dépendant du gaz algérien pour 17 % de sa production d’électricité.
Il importe aussi pour 20 % de son électricité d’Espagne et d’Algérie.
Sa production électrique repose, pour le reste, sur des centrales à charbon pour l’essentiel, car le projet de Noor à Ouarzazate s’est avéré être une défaite technique, technologique, commerciale et financière.
Les prix du marché SPOT du gaz ont explosé depuis cet été, et l’Algérie, au lieu de brader son gaz au Maroc, peut, soit le liquéfier pour le proposer sur le marché SPOT et augmenter ses revenus, soit le vendre au Maroc à ces mêmes prix, voire, plus cher, dans la mesure où le Maroc n’a pas d’autre alternative immédiate.
Les prix du charbon ont triplé en un an, et les principaux fournisseurs du Maroc sont la Russie et l’Afrique du Sud.
Les prix du gaz ont quadruplé sur la même période.
Les relations du Maroc avec l’Espagne, la Russie , l’Afrique du Sud et l’Algérie sont tout sauf bonnes, alors que le royaume est dépendant de ces 4 pays pour la production et la livraison de plus de 90% de ses besoins en électricité.
Maintenant les légendes urbaines distillées par les officiels marocains
Réimporter du gaz depuis l’Espagne en inversant le flux du GME avec 2 options : la première en rachetant directement du gaz algérien, et la seconde, en livrant en Espagne du GNL pour le ramener, une fois gazéifié, au Maroc.
L’Espagne fait déjà face à un déficit de gaz et ne va certainement pas immobiliser ses capacités de traitement de GNL au profit d’un Etat qui, cet été seulement, a organisé un envahissement de ses enclaves. Quant à l’inversion du flux du GME, même si sur le papier elle est possible, mais à quel prix ? Qui paye ? et Combien de temps cela va-t-il prendre ? Quant à son utilité pour ne traiter qu’un volume inférieur à 7 % de la capacité du pipe ?? A toutes ces questions personne ne répond et c’est donc que les réponses n’existent pas.
Mettre en services les pseudos découvertes sur les différents champs explorés par des compagnies ( ou plutôt coquilles vides), britanniques au Maroc.
Les annonces de découvertes ont toutes été faites avec le seul objectif, lever des fonds sur les marchés par ces pseudos compagnies gazières et pour rassurer l’opinion publique du Maroc. Dans une récente publication reprise par l’IRIS, on y parle même de découvertes permettant au Maroc d’exporter du gaz en Europe à partir du Royaume.
L’importation de GNL maintenant. De combien de terminaux de gazéification le Maroc dispose-t-il ? Aucun, en fait il n’en auront pas avant de longs mois, même en optant pour des FSRU ( terminaux flottant bâtis autour de Méthaniers ).
Pour toutes ces raisons, l’Algérie peut imposer au Maroc un contrat SPOT à 110 ou 120 % du prix du marché avec un payement d’avance et cela restera, de toute façon, la seule et la meilleure option pour le Maroc de ne pas subir un grave déficit en électricité au moment où l’économie mondiale reprend, d’autant plus que les entreprises étrangères présentes au Maroc y sont uniquement pour profiter des conditions avantageuses offertes par les zones franches marocaines pour leur permettre de produire et ré exporter à faible coût : si le coût énergétique explose et que la disponibilité de l’énergie devient problématique, ces dernières risquent de revoir leurs plans.
Les prix des carburants et du gaz bouteilles ont déjà très fortement augmenté au Maroc ( la bouteille de Propane de 34 kgs valant 45 euros ) et si en plus, le coût de l’électricité et les délestages augmentent aussi, que ce soit pour les entreprises et/ou la population, alors le Maroc devra faire face à une augmentation de sa dette publique ( déjà à près de 100% de son PIB), car il devra subventionner l’énergie au risque de voir, soit une fuite des entreprises ou un grandissement de la contestation sociale qui fait aussi et surtout face à des augmentations énormes des produits alimentaires de première nécessité.
Concernant le serpent de mer du fameux gazoduc Nigeria Maroc
Sur ce sujet les divagations chérifiennes atteignent des sommets ! Dans le désordre :
- Il existe déjà un pipe ouest africain partant du Nigéria, et alimentant 3 pays, le Bénin, le Togo et la Ghana. Ce pipe long de 678 km, dont les études ont démarré en 1991 a vu son entrée en service en 2011 et n’a été alimenté qu’au tiers de sa capacité en 10 ans d’exploitation avec des arrêts à répétition, le dernier en date, étant le 11 novembre dernier ( Source : WAPCo société exploitant le pipe).
- Sa capacité de transport actuelle est de 2 Milliards de m3 par an qui peut être étendue à 6 milliards par an, bien loin des 30 Milliards escomptés par les marocains.
- Réussir à mettre autour d’une table 14 pays africains pour les mettre d’accord pour convenir des règles et droits de passages de ce pipeline, n’est pas gagné du tout, d’autant plus que certains pays sont, soit producteurs, soit en passe de le devenir, alors que d’autres ne souhaitent que bénéficier d’une manne énergétique gratuite. Tout cecim bien évidemment, au détriment du principal intéressé, à savoir, le Nigéria.
- Le financement et les délais de réalisation d’une telle infrastructure sont juste délirants : 20 à 30 ans et de 20 à 40 Milliards de dollars. Qui payera ? Le Maroc avec une dette publique de près de 100% de son PIB ? Le Nigéria ? Ils ont déjà eu du mal à lever le milliard de dollars qui leur manquait pour finaliser le projet de pipe AKK devant amener leur gaz au Nord de leur pays dans la région de Kano.
- Pour la petite histoire Kano n’est qu’à 3000 kms de Hassi Rmel et des capacités d’exportations existantes de l’Algérie qui peuvent, sans travaux supplémentaires, déjà, absorber un volume de 30 Milliards de m3 par an.
Pour résumer, Le Trans Saharien ne nécessite que la réalisation d’un pipe terrestre de 3000 km, ne traversant que 3 pays ( Nigeria, Niger et Algérie), sa construction est techniquement et financièrement possible avec des ressources 100% africaines.
Le projet marocain nécessite la construction d’un pipe de 5500 km offshore traversant une ribambelle de pays pour un coût et un délai incertain, de même qu’aucun des pays traversé ne maitrise la pose de pipeline en offshore, ni n’a la capacité financière de mener à terme un tel projet.
Il est illusoire de croire que les Nigérians vont distribuer des royalties à toute l’Afrique de l’Ouest pour faire plaisir au monarque marocain.
Et si on suit la logique marocaine jusqu’au bout la carte de leur projet dans sa globalité laisse pantois n’importe quel observateur avisé :
* Amor AISSAOUI est Directeur Général et fondateur d’une société de services pétroliers. Ancien Directeur des opérations sur des Projets d’exploration d’envergure en Afrique Subsaharienne pendant plus de 15 ans pour des clients faisant partie des Majors du secteur.