Les programmes de développement rural, mis en œuvre au cours des vingt dernières années, ont permis la revitalisation des espaces montagneux et steppiques qui avaient subi le grand exode au cours des années 1990. Dans la plupart des villages et hameaux ayant bénéficié des projets de développement local, répartis sur tous les secteurs d’activité (infrastructures, mobilisation de l’eau, santé, éducation, assainissement, élevage, arboriculture, apiculture, aviculture…), on a enregistré des mouvements de retour des populations étalés sur plusieurs années, en proportion de la progression des projets.
Par Amar Naït Messaoud
Les projets de développement rural ont touché les zones reculées où l’agriculture professionnelle avec ses critères d’exploitations modernes- n’a pas sa place. Là, la propriété est morcelée et souvent indivise, le terrain est souvent en pente et érodé, les infrastructures d’irrigation n’existent pas et, où même les raccordements à l’électricité, à l’eau potable et au gaz naturel, ne sont pas nécessairement installés.
Il a fallu attendre le programme des zones d’ombre, lancé par le président de la République à partir de 2020, pour rattraper ces retards et déficit en matière d’énergie, d’eau, d’éclairage public et d’autres éléments faisant partie du cadre de vie.
La majorité des projets de proximité de développements rural intégré ont été pilotés par l’administration des forêts. C’est la structure la plus proche des foyers ruraux de la montagne et des zones isolées. Les agents de développement relevant de cette administration avaient, au début du lancement des programmes, agi selon leur connaissance du terrain et des populations rurales.
Par la suite, ils ont bénéficié de formations à grande échelle étalées sur plusieurs années. Pour assurer avec un maximum d’efficacité l’intervention des agents de développement en milieu rural dans le cadre des projets destinées aux populations des campagnes, les pouvoirs publics avaient alors déployé des efforts méritoires en matière de préparation du personnel intervenant.
En effet, la complexité de la campagne algérienne, aussi bien dans sa variante du milieu physique (zone de montagne, steppe, conflits de propriété…) que dans son aspect de mentalité spécifique, requiert des outils méthodologiques tels qu’ils sont mis en œuvre à travers le monde. Ces outils intègrent les données de terrain sur le plan environnemental et les données sociologiques des ménages ruraux.
L’approche participative dans la planification de projets
Dans plusieurs projets de développement, ces outils ont été avantageusement expérimentés en Algérie. Des cycles de formation ont été déjà assurés par le ministère de l’Agriculture et du développement rural par le truchement de l’Institut national de la vulgarisation agricole.
D’autres cycles de formation ont été confiés à des institutions étrangères, à l’image de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier (IAMM) partenaire du ministère algérien de l’agriculture, qui a pris en charge plusieurs thématiques relevant de cet axe.
Des cadres ayant piloté les deux grands Projets d’emploi rural (PER1 et 2), cofinancés par la Banque mondiale au début des années 2000, avaient bénéficier d’un capital de formation important relatif aux thématiques de la gestion des projets, de l’approche participative et de l’évaluation environnementale.
Mieux encore, ces formations ont bénéficié d’une évaluation (évaluation au niveau du background accumulé par les cadres et évaluation de l’impact des connaissances acquises sur les résultats du projet, y compris sur le niveau de satisfaction des foyers ruraux bénéficiaires des actions du projet).
La formations aux méthodes d’approches participatives a constitué pour le personnel encadré un outil innovant en matière d’intervention en milieu rural, aussi bien au niveau du territoire, en tant qu’espace physique, qu’au niveau des communautés rurales en tant que groupements humains soumis aux aléas de l’histoire économique et aux données sociologiques des régions considérées.
Arbre à solutions, arbre à problèmes et cadre logique
Les cadres qui ont eu à se confronter à ces nouveaux outils méthodologiques ont bien apprécié ce saut qualitatif consistant à concevoir le développement à partir de la base.
Le diagnostic socio-participatif et les enquêtes de terrain ont permis une meilleure appréhension des enjeux économiques, sociaux et environnementaux qui se posent aux communautés rurales.
Le contact étroit avec les populations et le dialogue confiant instauré lors des enquêtes préliminaires ont permis d’étoffer et de dépasser les traditionnels travaux de statistiques que comportent toutes les études d’aménagement rural.
En effet, au-delà des chiffres du chômage, des infrastructures et des équipements existants, du cheptel et des autres données quantifiables, le dialogue socio-participatif a permis de dégager d’autres réalités moins visibles par les chiffres.
L’histoire des traditions économiques, des conduites culturales, des spéculations agricoles, des pratiques artisanales et des productions du terroir, des aléas climatiques et du processus d’érosion n’a pu être approchée que par ce courant d’échange d’information entre l’équipe du projet et les populations rurales.
Pour les steppiques ou des montagnes de Tell intérieur, par exemple, les limites objectives des ressources naturelles ont pu être mises en exergue.
En effet, en tant que majoritairement régions pastorales, l’offre fourragère pour l’élevage ovin extensif constitue l’enjeu essentiel de l’économie locale des zones considérées.
Il se trouve que cette offre fourragère a atteint ses limites du fait de plusieurs facteurs que le travail d’enquête-ménage et de réunions en groupes de discussion (focus-groups) a essayé de cerner et de circonscrire.
Cela a conduit les deux parties (équipe technique multidisciplinaire et population) à identifier les problèmes qui sont à l’origine des contraintes de vie dans ces régions isolées et d’imaginer, ensemble, les solutions.
L’enchaînement logique des problèmes (causes et effets, effets se constituant en d’autres causes) a conduit les participants à élaborer un arbre à problèmes dont le sommet de la pyramide nous amène à la situation vécue par la population, à savoir le faible niveau de vie, le chômage et les retards de développement. Aux problèmes évoqués dans le schéma, les groupes de discussion essayant d’apporter des réponses.
A ce niveau de réflexion et de travail, deux points majeurs sont à mettre en exergue dans le processus de formulation de solutions. Premièrement, le forum de discussion constitue un terrain où se confrontent les idées et les vœux confus des populations- avec parfois des solutions approximatives, mal cernées ou mal maturées -, et les idées portées par les cadres de l’équipe multidisciplinaire basées sur leur background et leur technicité.
Il importe aux techniciens de modérer l’expression des solutions, de montrer les limites ou les inconvénients de certaines propositions, d’aider à orienter la recherche de solutions valides et les inscrire dans un tableau de bord des intervention appelé «Cadre logique».
Secundo, dans cette recherche de solutions valides, l’équipe du projet doit faire preuve d’intelligence et de tact pour exploiter les données du dialogue de façon à faire pencher les interlocuteurs sur leurs propres capacités, leur savoir-faire ancestral, pour en dégager éventuellement des propositions de solutions.
Dans ce domaine, parfois les équipes de projet ne manquent d’être surprise et interpellées par le fonds culturel et pratique enfoui dans la mémoire populaire et qui peut bien servir à monter des projets de développement rural pour peu que soit capitalisé et fertilisé ce genre de savoir.
Pour élaborer une stratégie de développement rural à l’échelle de la localité, toutes les alternatives ont été explorées par l’équipe du projet conjointement avec les populations.
Valorisation du savoir-faire communautaire
L’arbre à solutions a été ainsi dressé collégialement en tenant compte des limites et des contraintes imposées par les traditions administratives et d’hypercentralisation des structures de l’État. De même, l’implication des élus, du monde associatif et des notables a joué un rôle non négligeable dans la conduite des regroupements et des discussions.
L’intervention d’une composante féminine de l’équipe du projet a grandement facilité l’approche de l’intimité du foyer de façon à recueillir d’autres données importantes pour la connaissance du milieu rural et pour la formulation du projet. L’importance de ce mode d’intervention pour l’initiation des projets de développement n’est plus à démontrer.
Cependant, comme toute méthode nouvelle et se voulant novatrice, elle se heurte à certaines résistances culturelles, sociales et administratives.
Déjà, en recevant les formations dans le cadre des programmes passés, des agents de développement et des cadres n’avaient pas manqué de faire cette observation : cette formation doit être généralisée aux échelons supérieurs, là où les décisions administrativement sont élaborées.
Cette observation nous renvoie au fait que la communication rurale telle qu’elle est envisagée par la méthode d’approche participative préfigure une forme de démocratisation à la base, processus qui donne toute son importance à l’avis de la population et à la collégialité de la prise de décision.
Ce sont aussi le savoir-faire et la culture des communautés qui sont appelés à être valorisés pour assurer la durabilité des projets et la continuité du processus de développement.
A. N. M.







