Depuis 2018, l’Algérie s’est engagée dans une réforme budgétaire qui s’est matérialisée par l’adoption de la loi organique des lois de finances (LOLF), laquelle a bénéficié d’un début d’application en 2023. Le nouveau dispositif semble avoir bien tracé son chemin avec un cadrage budgétaire trisannuel. La LOLF est l’aboutissement d’une longue réflexion menée depuis plus d’une décennie au niveau de l’administration des finances. Elle fait partie d’un ensemble de réformes projetées pour le secteur des finances.
Par Amar Naït Messaoud
Ces réformes avaient commencé par l’adoption des normes IAS-IFRS (International Accounting Standard et International Financial Reporting Standards) en replacement du classique plan comptable national (PCN) afin d’harmoniser les normes comptables algériennes avec les normes universelles et tendre vers l’objectif d’assurer
plus de transparence, de comparabilité et de cohérence aux informations financières des entreprises.
S’agissant précisément du budget de l’État, connu pour ses deux colonnes : recettes (impôts et taxes) et dépenses (fonctionnement des structures de l’État, investissement dans les équipements publics, transferts sociaux), son mode d’élaboration est l’un des maillons les plus importants des réformes économiques qui attendait depuis longtemps un vent de modernisation.
La forme classique de sa présentation sous forme de deux colonnes, recettes et dépenses, et les allocations décidées sous forme d’autorisation de programmes et de crédits de payements, sont des méthodes de travail en vigueur depuis des décennies.
Jusqu’à présent, la typologie d’allocation de ressources répond à la logique de la répartition du budget global en budget de fonctionnement des administrations (masse salariale, carburants, matériel bureautique, consommation en électricité, gaz et eau), et budget d’équipement (construction d’écoles, universités, hôpitaux, centres culturels et sportifs, routes, barrages hydrauliques, ports,…).
Depuis le début des années 2000, on avait assisté à la multiplication de fonds domiciliés dans des comptes d’affectation spéciale (CAS) destinés à alimenter des soutiens de l’État en direction de certains métiers et activités (développement rural, artisanat, aide des catégories sociales précises,…).
Leur nombre n’avait cessé de croître, à telle enseigne que des députés et des rapports de la Cour des comptes ont fini par interpeller le gouvernement en l’invitant à soumettre aux lois de finances annuelles ce qui paraissait jusque-là constituer une forme de budget « parallèle » à celui de la loi de finances.
Au gouvernement, il a été demandé de réduire le nombre de ces fonds, d’autant plus qu’un grand nombre d’entre eux ont brillé par leur lent rythme de consommation. Certains de ces fonds ont fini par être regroupés par profil, en y créant des « sous-programmes » appelés ‘’lignes’’.
La loi organique des lois de finances, contrairement au schéma classique en vigueur jusqu’en 2023, abandonnera la typologie de répartition budget de fonctionnement/budget d’équipement, en se redéployant sur la formule d’un budget unique orienté sur la détermination d’objectifs à atteindre par secteur d’activité.
Ce fut un projet entrevu, la première fois, pour l’année 2015. Il a été retardé pour des raisons, en partie, liées aux formations et aux différentes préparations qu’il avait requises.
Nécessité fait loi
Pour asseoir la nouvelle méthodologie d’élaboration du budget de l’État, il a fallu passer par une loi organique, laquelle a fixé les conditions de son élaboration et de son exécution. Cette loi organique se donne pour objectif d’asseoir la modernisation du système budgétaire algérien en intégrant tous les éléments techniques y afférents.
La mise en place de ce nouveau système avait requis un certain nombre de conditions, notamment la formation des cadres, l’installation des systèmes informatiques et d’indicateurs qui concernent la diffusion des informations.
La modernisation de l’élaboration du budget de l’État est dictée par plusieurs facteurs liés à l’ouverture de l’économie nationale sur le marché, aux volumes importants des dépenses publiques engagées dans le chapitre de fonctionnement, mais surtout d’investissements publics en matière d’infrastructures de base (travaux publics, transport, santé, hydraulique, enseignement supérieur, éducation nationale,…).
À ces deux grands volets s’ajoute le budget des transferts sociaux (subvention des prix à la consommation, soutien à la production de certaines catégories de produits, soutien aux crédits immobiliers, subventions accordées ç certaines catégories sociales,…).
En outre, la modernisation du budget de l’État touche également sa partie « recettes » en induisant des réformes dans le domaine de la fiscalité et du recouvrement des taxes et impôts.
Cet ensemble de réforme interviennent dans un contexte de mondialisation de l’information financière et statistique qui tend de plus en plus à uniformiser les grands canevas de la comptabilité publique.
L’adoption d’un nouveau système budgétaire est aussi l’occasion de prendre en charge les nouvelles nomenclatures budgétaires et comptables, sachant que l’évolution des méthodes de travail, des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC, numérisation) et des volumes de transaction ont imposé de nouveaux lexiques qui se traduisent en nomenclatures budgétaires et comptables.
Il est attendu de cette nouvelle typologie budgétaire un meilleur rendement dans la gestion des ressources de l’État, la rationalisation de la dépense publique et un surcroît de traçabilité par une meilleure circulation de l’information.
Les lois de finances par lesquelles était conduite la politique budgétaire auparavant peinaient à cerner les vrais besoins en matière de dépense publique.
Pis, elles étaient complètement chamboulées par certaines décisions hâtives, non prévues dans la mouture définitive signée le 31 décembre de chaque année, à tel point que même la loi de finances complémentaire, destinée à corriger la marge d’« imprévisibilité » de la loi initiale, souffre des mêmes travers.
Les réalités sociales et économiques avaient souvent conduit les planificateurs à revoir leurs copies en matière de prévision budgétaire.
Rationalisation des dépenses et optimisation des recettes Les des griefs majeurs que les experts avaient fait à l’ancienne typologie du budget de l’État étaient cette quasi absence de responsabilisation des gestionnaires de l’administration publique, ordonnateurs du budget de l’État, quant aux résultats de l’action induite par la dépense publique.
En effet, au niveau des wilayas, la primauté d’évaluation était à la vitesse de consommations de crédits. Les directeurs d’exécutifs et les maires étaient notés, quasi exclusivement sur ce critère.
En dehors de cette froide arithmétique, et pour ce qui est des chiffres de réalisation, l’on souciait de leurs impacts sociaux et économiques des ouvrages.
C’est, entre autres objectifs, pour remédier un tant soit peu à cette « hérésie » dans laquelle s’est perdue la dépense publique que le nouveau système budgétaire s’impose.
La loi organique des lois de finances permet de réaliser une meilleure détermination des besoins par un diagnostic et des études maturées.
Ainsi, la réévaluation des projets, avec leur lot de rehaussement des dépenses et de prorogation de délai, est réduite à sa plus simple expression, autrement dit, une exception dûment justifiée.
Une telle pratique induira nécessairement une plus grande rationalisation des dépenses des deniers publics et un meilleur ciblage des objectifs socioéconomiques.
De même, le cadrage budgétaire triennal de la LOLF permet de procéder à une meilleure planification des actions et des programmes sur la base de la détermination des besoins sur le terrain.
La grande nouveauté introduite par cette loi, c’est bien le dispositif du suivi-évaluation des projets et obligation de résultats pour les gestionnaires ordonnateurs du budget de l’État.
A. N. M.