La géopolitique mondiale entre dans une ère de recomposition brutale, dictée non plus seulement par les idéologies ou les alliances classiques, mais par un triptyque structurant : démographie, géographie et technologie. La succession de crises majeures – pandémie mondiale, tensions militaires, ruptures d’approvisionnement, et rivalités économiques – révèle un monde sous tension, où chaque État tente de repositionner ses leviers de puissance selon ces trois dimensions fondamentales.
Par Abderrahmane Hadef (*)
La géographie redevient un déterminant stratégique incontournable. Qu’il s’agisse du conflit armé en Europe de l’Est, de la guerre à Gaza, du chaos prolongé au Soudan ou de l’escalade inquiétante entre le Pakistan et l’Inde, les territoires stratégiques sont redevenus des points névralgiques d’affrontement.
Ports, corridors énergétiques, routes commerciales, ressources naturelles : les États qui les maîtrisent imposent leurs conditions. La mondialisation s’est fracturée, les chaînes d’approvisionnement se sont figées, et la sécurité des flux est redevenue un enjeu vital.
À titre d’exemple, 60 % du commerce mondial transite par des points de passage stratégiques situés hors des pays occidentaux, notamment en Asie et au Moyen Orient (Malacca, Suez, Bab el Mandeb, détroit d’Ormuz…). La démographie, quant à elle, est devenue un levier de puissance ou de vulnérabilité.
Le vieillissement des pays industrialisés, principalement les pays occidentaux, ralentit leur dynamisme économique et attise les tensions sociales : en 2024, plus de 21 % de la population européenne a plus de 65 ans, contre moins de 4 % en Afrique subsaharienne.
L’Europe et l’Amérique du Nord ne représentent ensemble qu’environ 14 % de la population mondiale, contre près de 60 % pour l’Asie. À l’horizon 2050, l’Afrique devrait compter plus de 2,5 milliards d’habitants, dont une majorité en âge de travailler, alors que la population de l’Europe devrait reculer à environ 700 millions d’habitants.
Les conflits migratoires, la bataille pour les compétences, et la dépendance croissante à la main-d’œuvre qualifiée structurent désormais les politiques étrangères et économiques.
Mais c’est la technologie qui s’affirme comme le champ de bataille le plus décisif. Derrière les sanctions économiques, les embargos et les alliances stratégiques, se cache une lutte pour le contrôle des infrastructures numériques, des données sensibles et des capacités d’innovation.
En 2023, la Chine concentrait plus de 35 % des brevets déposés dans le domaine de l’IA, contre 15 % pour les États-Unis et moins de 5 % pour l’Union européenne. Dans le domaine des semi-conducteurs, 90 % de la production mondiale avancée est concentrée en Asie, notamment à Taïwan et en Corée du Sud.
De la 5G à l’intelligence artificielle, en passant par le quantique et le spatial, celui qui maîtrise la technologie façonne les règles du jeu mondial.
La guerre commerciale initiée par les États-Unis sous Donald Trump a jeté les bases d’une rivalité systémique où la technologie est à la fois une arme, un marché et un outil d’influence.
Dans ce contexte mouvant, l’Algérie dispose d’atouts majeurs mais doit les transformer en leviers stratégiques.
Sa position géographique entre Europe, Méditerranée et Afrique en fait une passerelle naturelle entre continents.
Son poids démographique (plus de 45 millions d’habitants, dont près de 60 % ont moins de 30 ans) et son potentiel en ressources naturelles peuvent devenir des forces d’attraction dans un monde en quête de sécurité énergétique, alimentaire et de diversification des partenariats.
Mais c’est sur le terrain technologique que l’Algérie doit encore accélérer.
L’Agilité numérique, la souveraineté industrielle et l’investissement dans l’innovation sont des clés pour affirmer sa place dans cette nouvelle architecture mondiale – non comme spectatrice, mais comme puissance d’équilibre.
A. H.
(*) Senior Expert en développement économique, Numérique, Énergie et diplomatie économique.