Depuis son annonce jeudi dernier, la note de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF) concernant le dégel des domiciliations bancaires pour les opérations commerciales entre Alger et Madrid suscite soulagement et enthousiasme dans les milieux économiques espagnols, ce qui renseigne sur l’importance que représente le marché algérien pour l’économie de ce pays du sud de l’Europe.
Par Mohamed Naïli
Depuis jeudi en effet, les médias espagnols ne cessent de répercuter avis d’opérateurs économiques, analystes mais aussi de revenir sur les raisons ayant provoqué la colère d’Alger jusqu’à fermer ainsi le marché national aux produits espagnols.
Dans son édition de vendredi, le quotidien El Mundo par exemple, sous le titre informatif « l’Algérie débloque ses opérations bancaires avec l’Espagne », revient sur le soulagement des opérateurs économiques de la péninsule ibérique après 50 jours d’étouffement. Tandis que le quotidien El Pais, lui, dans son édition d’hier affirme que « les hommes d’affaires espagnols espèrent la réactivation du commerce bilatéral », tout en rappelant que « le gel des flux bancaires a été l’une des représailles qu’Alger a prises en réponse à la décision de l’Exécutif de Pedro Sanchez sur la question du Sahara occidental ».
Les raisons du grand soulagement exprimé par les milieux d’affaires espagnols sont ainsi à chercher dans le potentiel des échanges entre les deux pays mais surtout dans le rôle que joue le marché algérien dans le maintien de l’équilibre de la balance commerciale de ce pays sud-européen ayant, est-il utile de le souligner, des fondements économiques loin d’être aussi solides que d’autres membres de l’UE, comme la l’Allemagne ou la France.
Ces deux dernières décennies, les deux pays ont développé un partenariat économique et commercial dense, car, globalement, l’Espagne est le 3ème client de l’Algérie, après l’Italie et la France, et a toujours été dans le top 5 de ses fournisseurs, aux côté de la Chine, la France, l’Italie et l’Allemagne. En valeur, les échanges entre les deux pays atteignent en moyenne les 7 milliards de dollars annuellement, avec près de 3 milliards d’importations algériennes en produits espagnols et un peu plus de 4 milliards d’exportations de l’Algérie vers le marché espagnol.
Si, depuis 2014, l’effondrement des cours du brut sur les marchés mondiaux a incité l’Algérie à adopter une nouvelle stratégie en restreignant le recours aux importations en biens de consommation et non prioritaires, il faut jeter un regard à la période antérieure pour mesurer l’importance du marché algérien pour l’économie espagnole. C’est ce que confirme le président du Cercle algéro-espagnol du commerce et de l’industrie, Djamaleddine Bouabdellah, en soulignant que « les transactions d’importation algériennes sont moins nombreuses depuis 2015 en raison du déséquilibre financier subi suite à la chute des prix du pétrole. Cette tendance se poursuivra jusqu’en 2020 selon les prévisions. Les biens de consommation ont été interdits d’importation en 2017 et 2018 (…) En ce qui concerne les importations espagnoles en provenance d’Algérie, la tendance est linéaire en volume quantitatif et en valeur, les chiffres ont été divisés par presque trois entre 2014 et 2016 et ont ensuite enregistré une augmentation en 2017 ».
Les approvisionnements en gaz sécurisés
Ainsi, si en 2013, avant le rétrécissement des recettes pétrolières de l’Algérie, sur un volume global d’exportations ayant atteint 64,97 milliards de dollars, les exportations vers le marché espagnol ont atteint 10,33 milliards de dollars, tandis que les importations depuis ce pays ont été de l’ordre de 5,07 milliards de dollars. En revanche, en 2015, les exportations vers l’Espagne ont été de 6,56 milliards de dollars (37,78 milliards de dollars d’exportations globales) et les importations depuis l’Espagne ont baissé à 3,93 milliards de dollars. Cette tendance se poursuivra en 2016, puis en 2017 pour baisser jusqu’à 4,14 milliards de dollars pour les exportations et 3,13 milliards d’importations à partir du marché espagnol.
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, malgré les restrictions et leur impact sur le commerce mondial, les échanges algéro-espagnols se sont maintenus en dépit d’un climat contraignant. En effet, selon les statistiques des services de douanes, les échanges bilatéraux ont atteint en 2021 une valeur de près de 7 milliards de dollars, dont 4,9 milliards de dollars d’exportations algériennes, principalement en produits énergétiques, et 2,1 milliards d’importations en biens d’origine espagnole.
Au-delà des échanges commerciaux, il est utile de souligner que l’Espagne est le seul pays européen qui a réussi à se mettre à l’abri des perturbations qui menacent l’approvisionnement du marché européen en gaz à la faveur de son partenariat avec l’Algérie, au moment où tous les pays membres de l’UE tentent de trouver des alternatives au gaz russe dont ils sont fortement dépendants. Selon l’Office espagnol Strategic Reserves of Petroleum Products Corporation (Cores), Madrid a tiré son épingle du jeu dans ledomaine gazier car « l’Algérie est le premier fournisseur de l’Espagne en gaz avec 41,4% des importations espagnoles entre le 1er 2021 et fin janvier 2022, les Etats-Unis sont le deuxième fournisseur de gaz de l’Espagne, loin derrière l’Algérie, avec une part de 16,9% du total des importations espagnoles, la Russie est le troisième fournisseur avec 8,7% suivie par le Qatar (6,3%) ».
Autant d’éléments et d’enjeux qui justifient donc la colère de l’opposition et des milieux d’affaires espagnols contre la démarche de Pedro Sanchez et son gouvernement ayant provoqué l’impasse sur laquelle ont buté les relations économiques entre les deux pays.
M. N.