L’Algérie connaît actuellement une dynamique économique marquée par des réformes profondes. Cela implique la nécessité de diversifier les sources de financement de l’investissement et de l’économie, en explorant des solutions alternatives, y compris des instruments innovants.
Par Akrem R.
A ce titre, la Bourse d’Alger est appelée à jouer un rôle clé, d’autant plus qu’elle enregistre une activité accrue ces derniers temps.
Pour renforcer ce rôle, dira d’emblée Yazid Benmouhoub, Directeur général de la Bourse d’Alger, des réformes structurelles ont été engagées, accompagnées de mesures importantes simplifiant les conditions d’introduction en bourse des entreprises et l’ouverture de nouveaux marchés.
«Nous avons commencé depuis un certain temps à simplifier les conditions d’introduction en Bourse. Ainsi, la législation de fin 2023 nous a permis de réviser le système de cotation et de créer de nouveaux compartiments. Nous avons notamment lancé un marché de la croissance, qui a permis l’introduction de la première start-up cotée en Bourse, à savoir « Mostachir »», a-t-il déclaré lors de son intervention samedi dernier sur les ondes de la radio nationale « Chaîne I».
Le DG de la Bourse d’Alger a fait savoir que de nouveaux segments ont été créés sur le marché obligataire, avec l’introduction de deux entreprises : Arab Leasing et Tosyali, cette dernière ayant récemment levé plus de 15 milliards de dinars.
Diversifier les produits financiers
Pour lui, le véritable enjeu aujourd’hui est de diversifier les produits financiers proposés par la Bourse d’Alger, tout en se rapprochant des acteurs économiques, des investisseurs et des collectivités locales, pour leur expliquer les avantages de l’introduction en Bourse.
L’intervenant a déploré, au passage, que de nombreux entrepreneurs ignorent encore les mécanismes de financement qu’offre le marché boursier. En général, l’entrepreneur algérien finance son projet par ses propres moyens ou recourt au système bancaire, qui couvre plus de 90 % des besoins de financement de l’économie.
Or, la Bourse peut être un complément au financement bancaire, voire une alternative, surtout pour les start-up et PME qui n’ont pas toujours les garanties exigées par les banques. Benmouhoub a expliqué que, contrairement aux banques, la Bourse ne requiert pas de garanties matérielles. Le seul engagement exigé est la «transparence financière». Pour illustrer ses propos, il a cité les entreprises introduites en Bourse et qui ont levé des montants significatifs.
À titre d’exemple : Mostachir : 98 millions de dinars ; BDL : 68 milliards de dinars ; Tosyali : 15 milliards de dinars et Cilas : 3 milliards de dinars. «Tout cela sans garanties réelles, car c’est le marché qui juge de la crédibilité de l’entreprise», note-t-il.
Des rendements supérieurs à ceux du secteur bancaire
En 2025, les performances des entreprises cotées parlent d’ellesmêmes : les rendements offerts ont oscillé entre 5,5 % et 7,2 % nets d’impôts, des taux bien supérieurs à ceux proposés par les produits d’épargne traditionnels.
Cette attractivité place la Bourse comme un instrument de placement compétitif pour les particuliers comme pour les institutionnels, affirme l’intervenant, en annonçant que la Bourse d’Alger œuvre actuellement à la création d’un nouveau produit financier innovant : les sukuk d’entreprise.
Le ministère des Finances travaille en ce moment à intégrer la notion de sukuk dans le Code de commerce, annonce l’intervenant, tout en précisant que cela ouvrira de nouvelles perspectives pour les entreprises qui souhaitent émettre des instruments financiers conformes aux principes de la finance islamique.
«Nous espérons que ce cadre juridique verra le jour très prochainement», affirme-t-il, expliquant que les sukuk sont des titres de dette, mais contrairement aux obligations classiques, ils ne sont pas liés à un taux d’intérêt fixe. Leur rendement dépend de la rentabilité réelle du projet financé.
«Ce mécanisme incarne l’essence de la finance islamique, basée sur le partage des profits… mais aussi des pertes. Toutefois, en Bourse, les entreprises introduites sont soumises à un mécanisme de ré- gulation, ce qui renforce la transparence, la solidité financière et la confiance des investisseurs», détaille Yazid Benmouhoub.
Il est à noter que la loi de finances 2025 permet désormais au Trésor public d’émettre des sukuk souverains. «C’est une avancée majeure», explique-t-il, car elle permettra à l’État de mobiliser des financements pour des projets structurants, notamment dans les infrastructures économiques.
«Ces émissions enrichiront l’éventail des instruments disponibles sur la Bourse d’Alger, et créeront des opportunités d’investissement et de financement, en attendant que le Code de commerce soit modifié pour autoriser aussi les sukuk d’entreprise», a-t-il ajouté.
À tout cela s’ajoute l’ambition de la Bourse de s’impliquer dans le financement de la transition énergétique. «Nous voulons également que la Bourse devienne un acteur central du financement de la transition énergétique. À ce titre, nous appelons les entreprises opérant dans le domaine des énergies renouvelables à envisager l’émission d’obligations vertes (Green bonds) sur le marché boursier algérien. Ce type de produit est recherché aussi bien par les investisseurs locaux qu’étrangers», affirme-t-il.
L’économie de la connaissance est également un secteur prioritaire pour l’État. C’est pourquoi «nous avons créé, fin 2023, un compartiment spécial sur le marché de la croissance (Growth Market), destiné aux start-up et aux PME», dira-t-il, en rappelant que la première entreprise à avoir intégré ce compartiment est Mostachir, une start-up qui incarne le potentiel de ce nouveau segment. Elle pourrait bien servir de modèle aux autres jeunes entreprises.
Et d’ajouter : « Nous souhaitons soutenir la mise en place d’un écosystème financier adapté aux start-up, en facilitant leur accès au financement via la Bourse. Des avantages fiscaux sont prévus pour les fonds d’investissement spécialisés dans les jeunes entreprises, qu’il s’agisse de fonds propres ou de fonds de capital-risque. »
Sur ce point, le DG de la Bourse a rappelé que la première place d’Algérie a financé une start-up à hauteur de 890 millions de dinars, mais aussi des projets plus lourds comme le Crédit Populaire d’Algérie (CPA) pour 112 milliards de dinars. La Bourse peut ainsi servir de levier financier pour les petites, moyennes et grandes entreprises.
Nouvelles introductions attendues
Par ailleurs, le DG de la Bourse a annoncé qu’une autre start-up, «Erad», est actuellement en phase de préparation pour son introduction, prévue dès la prochaine rentrée sociale.
Fondée en 2007 et spécialisée dans les services web et numériques, «Erad» cherche à financer un projet d’envergure visant à mettre en place un centre de données moderne, qui renforcera son rôle sur le marché algérien en pleine expansion numérique, selon le communiqué.
La société dispose d’une base de clientèle dépassant les 5 000 clients. Benmouhoub a rappelé que, la semaine dernière encore, «nous avons rencontré une autre jeune entreprise intéressée par le processus, à qui nous avons fourni toutes les informations nécessaires. Nous sommes entièrement disposés à accompagner toutes les entreprises souhaitant s’introduire en Bourse.»
Fonds de capital-risque : un tournant pour le marché financier
Questionné sur la création de fonds à capital-risque, dont le **premier visa a été accordé** par l’Autorité de surveillance de la Bourse (*COSOB*) à un fonds de ce genre, Yazid Benmouhoub a indiqué que cette initiative marque **un tournant pour le marché financier algérien**.
«C’est une nouvelle très récente : jeudi dernier, l’Autorité de surveillance de la Bourse a délivré pour la première fois un visa à un fonds de capital-risque. C’est un pas important pour le développement du marché financier national», dira-t-il, en rappelant que le rôle de ces fonds est d’investir dans des entreprises non cotées.
«Ces fonds disposent d’une expertise dans la gestion des risques, évaluent les opportunités et financent des sociétés à fort potentiel, bien qu’exposées à des risques élevés. Et qui dit risque élevé, dit souvent rendement potentiellement élevé. Nous saluons cette avancée, car ces fonds permettront d’accompagner les entreprises vers la cotation en Bourse, en renforçant leur structure financière et leur gouvernance», a-t-il conclu.
A. R.