Après le choc de la pandémie, les pays du Maghreb – Maroc, Algérie, Tunisie – doivent faire face à des conséquences économiques et sociales dévastatrices. Dans cette tempête annoncée, aucun secteur d’activité n’est épargné.
Fragiles avant la pandémie de Covid-19, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie doivent maintenant affronter un choc économique et social qui s’annonce d’ores et déjà dévastateur.
«Ces trois pays étaient déjà confrontés à des transitions difficiles et à une baisse significative de leurs revenus due essentiellement au ralentissement de l’économie mondiale mais aussi, pour l’Algérie, à la baisse de ses revenus pétroliers», explique François Touazi, expert des économies du Maghreb et du Golfe persique.
Dès l’apparition du virus et les alertes de l’OMS, les pays du Maghreb ont pourtant très vite réagi et pris des mesures draconiennes, pour contenir la pandémie, notamment en termes de confinement, d’aide aux entreprises et aux plus vulnérables.
Le Maroc, un modèle dans la crise sanitaire
Dans cette crise sanitaire mondiale, le Maroc a voulu s’imposer comme un modèle. Les autorités ont imposé le port obligatoire du masque dans l’espace public dès le 7 avril. Mais surtout, le royaume a reconverti en urgence son industrie textile pour produire des masques. Aujourd’hui, le Maroc en fabrique 8 millions d’unités par jour, dont une partie est exportée vers l’Europe.
Dans l’urgence, le Maroc a mis en place des mesures économiques d’envergure, notamment un fonds spécial Covid-19 doté de près de 3 milliards d’euros, financé par l’Etat marocain, la cassette royale, des dons publics et privés.
Le but de ce fonds vise à aider les populations fragilisées par la crise, y compris le secteur informel qui emploie 80% des travailleurs marocains. Les factures d’eau et d’électricité ont été suspendues et des crédits à la consommation reportés. Des distributions alimentaires ont aussi commencé dans toutes les régions du pays pour les plus démunis.
Mais vu l’ampleur de la crise, le Maroc a dû se résoudre à appeler à la rescousse les institutions financières internationales. Pour la première fois, Rabat a sollicité une ligne de précaution et de liquidités du FMI à hauteur de 3 milliards de dollars.
«Le coût de la crise sera très élevé pour le royaume, avec une croissance faible», estime François Touazi.
La facture est déjà de 3 milliards de dollars pour le premier trimestre 2020. Le Maroc avait su pendant longtemps attirer des investissements étrangers, notamment dans l’aéronautique, l’automobile, et l’offshoring. Ces nouveaux secteurs de croissance et de diversification seront forcément impactés par la crise.
Ainsi, le groupe Renault a annoncé, le 19 mars 2020, qu’il suspendait la production de ses deux usines marocaines de Tanger et de Casablanca. Les deux sites, qui ont repris leur activité respectivement le 28 mai et le 5 avril, emploient quelque 11 000 salariés. Au total, le Maroc est aujourd’hui le deuxième producteur automobile en Afrique, et l’industrie automobile représente 5% du PIB marocain.
Pour assombrir le tableau, le royaume est, en ce moment, confronté à une sécheresse sévère qui affecte directement son agriculture, sans parler du secteur touristique qui risque d’être en berne pour de longs mois tant que l’épidémie ne sera pas éteinte en Europe, qui reste l’un des principaux foyers du Covid-19 au monde.
L’Algérie plombée par la chute des cours du pétrole
A l’instar des autres pays exportateurs de pétrole, l’Algérie a été frappée de plein fouet par la baisse du prix du baril, qui a perdu 60% de sa valeur depuis janvier. Or, les hydrocarbures restent le moteur de l’économie algérienne. La pandémie du Covid-19 est venue asséner un nouveau coup dur à l’activité du pays.
Pour faire face à la crise, les autorités ont procédé à des coupes budgétaires extrêmement importantes, notamment de 50% dans le budget de fonctionnement de l’Etat, et des baisses considérables des importations, de l’ordre d’une dizaine de milliards de dollars.
Tout cela sur fond de corruption endémique, qui nuit à l’émergence d’un secteur privé dynamique, tandis que le système financier reste très fragile. Traumatisée par les années 1980 où l’Algérie était en quasi cessation de paiement, les autorités refusent, depuis, tout endettement qui porterait atteinte à sa souveraineté nationale.
Résultat : les marges de manœuvre financière d’Alger pour sortir de la crise sont étroites. Avec l’érosion de ses réserves de changes, Alger se prépare à une aggravation de son déficit budgétaire, qui devait se situer entre 15 et 20%, à une forte dévaluation du dinar, qui va relancer l’inflation. Selon des prévisions du FMI, l’Algérie devrait connaître une récession en 2020 (-5,2%).
Tunisie : la pire récession depuis l’indépendance
Compte tenu de son économie plus modeste, la Tunisie n’a pas hésité à faire appel aux grands bailleurs internationaux. Le Fonds monétaire international a donné son feu vert à un prêt d’urgence de 745 millions de dollars à la Tunisie. Le pays pourrait connaître la pire récession depuis son indépendance en 1956. Son économie devrait se contracter de 4,3% en 2020.
L’Union européenne a mis la main à la poche en accordant à Tunis une enveloppe de 250 millions d’euros, sous forme d’un don, pour l’aider à lutter contre le Covid-19 et atténuer les conséquences économiques et sociales. Cela sera-t-il suffisant ?
«Le modèle économique tunisien fondé sur une industrie à faible coût et une main-d’œuvre à bas salaire s’est essoufflé», constate François Touazi :
Le pays n’a pas su créer de nouveaux secteurs à valeur ajoutée. Le taux de chômage pourrait approcher les 20%. Il est aujourd’hui de 15%. Le secteur du tourisme, fer de lance l’économie tunisienne, est aussi dans la tourmente. Bon an mal an, il fait vivre 400 000 familles. La saison 2020 est d’ores et déjà très compromise avec la fermeture des frontières avec Europe et l’activité du transport aérien quasiment à l’arrêt.
Cet arrêt du flux de visiteurs étrangers ne pourra pas être compensé par le tourisme local. Quant aux voisins algériens, ils risquent de ne pas être très nombreux à venir, compte tenu de la crise dans leur propre pays. Avec la crise du coronavirus, 90% des hôtels en Tunisie ont fermé leurs portes.
Avec ses faibles moyens, la Tunisie tente de limiter la casse sociale. Estimant que deux millions des 11,5 millions de Tunisiens ont besoin d’assistance pendant le confinement, le gouvernement a versé à des milliers de foyers des aides exceptionnelles de 200 dinars (80 euros), dans l’espoir également de calmer la grogne sociale.
En Tunisie, comme en Algérie ou au Maroc, le Covid-19 a considérablement exacerbé des inégalités sociales déjà criantes. Leurs gouvernements sont confrontés à un dilemme : imposer des cures d’austérité alors que la situation sociale est explosive, tout en cherchant des pistes pour relancer l’économie avec des moyens financiers limités.
Quels atouts pour les pays du Maghreb ?
Dans les grandes manœuvres industrielles et commerciales post-Covid-19, les pays du Maghreb peuvent-ils bénéficier de la relocalisation d’activités installées jusqu’alors en Chine et en Asie ?
«Il y a une carte à jouer pour eux», estime El-Mouhoub Mouhoud, économiste et vice-président de l’université Paris-Dauphine :
Les pays industrialisés, et notamment européens, vont avoir tendance à relocaliser les chaînes de valeurs industrielles mais aussi délocaliser des emplois de services aux entreprises, des services à haute valeur ajoutée, dans leur voisinage pour compenser les surcoûts de leur retrait de Chine et d’Asie.
Il faut savoir que dans l’industrie manufacturière des pays de l’OCDE, en moyenne près de 40% des emplois sont liés aux services (marketing, R&D, transports, logistiques, informatique, etc.). «Et dans ce domaine, la proximité linguistique et culturelle est absolument nécessaire, ce qui rend les pays du Maghreb attractifs», poursuit El-Mouhoub Mouhoud.
L’industrie pharmaceutique au Maghreb pourrait ainsi bénéficier d’une diversification des pays européens, qui cherchent à diminuer leur dépendance vis-à-vis de l’Inde et de la Chine.
«Le problème, relativise El-Mouhoub Mouhoud, réside dans la fragmentation de ces pays. L’absence ce marché régional maghrébin est une limite à un rattrapage économique et technologique digne de ce nom. Les coûts de transactions entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont environ 4 fois supérieurs à ceux entre ces pays et l’Union européenne». Et puis, pour sortir de l’ornière économique, les pays du Maghreb ont des défis multiples à résoudre. «Nous sommes à la croisée des chemins, conclut El-Mouhoub Mouhoud.
R. I.