Cours particuliers:  Un bizness à la vie dure

Chaque week-end, des élèves s’affairent à rejoindre les salles de « classe », en faisant le stop sur les routes. La mission n’est pas de tout repos. Durant la matinée de vendredi, le silence de la ville ne sera rompu que par l’appel à la prière. Le transport public n’est pas du tout assuré pour ces jeunes élèves, déjà prostrés par toute une semaine de cours et de bachotage. Depuis presque deux décennies, le même spectacle revient, celui de contingents d’écolier s’échinant à rejoindre les cours dits de « soutien ».

Par Amar Naït Messaoud

L’adresse du prof a été dénichée, dès la rentrée de septembre, sur une annonce affichée sur le portail du lycée ou du collège, ou bien encore sur la page facebook du prof lui-même, qui y a mentionné aussi inévitablement son numéro de téléphone.

Dans un lycée que nous avions visité en septembre dernier, la liste des élèves à admettre chez un prof de « soutien » est tenue par un agent de sécurité. Le prof vient vérifier la montée en cadence du nombre jusqu’au seuil qu’il a fixé dans sa tête, correspondant au nombre de mètres carrés qu’il peut offrir dans le garage loué ou, dans le meilleur des cas, dans un appartement.

Le prix est fixé à l’avance. On navigue entre 6000 et 10 000 dinars par mois, selon la matière, le niveau (4e AM ou terminale) et, bien entendu, la « bienveillance » de l’enseignant.

C’est rentré dans les mœurs. Les élèves que nous avions rencontrés sur les lieux s’étonnent de notre…étonnement. Autrement dit, on ne voit pas comment l’on peut se passer de cours de soutien pour les élèves qui préparent un examen. Dans les villes, grandes ou moyennes, et dans les communes rurales, les cours de soutien sont devenus une règle à laquelle sont soumis les élèves et leurs parents. D’ailleurs, pour ceux d’entre les parents qui possèdent un véhicule, le week-end est carrément « gâché » par ce réveil matinal des vendredis et samedi pour transporter leur progéniture sur les lieux où sont donnés les cours.

On préfère les appeler, de façon neutre, les « lieux », car, sur le terrain, les surprises ne sont pas une denrée rare. Garages non finis, avec des bancs en madriers posés sur des briques, magasins désaffectés, halls de villa ou d’appartement, centres d’enseignement de langues qui cachent une autre activité, celle des cours particuliers ; toutes les bâtisses et pseudo-bâtisses peuvent servir d’abri à des élèves désemparés, n’ayant comme souci que l’obtention du brevet ou du baccalauréat.

Les « fourches caudines » des cours de soutien

Ce qui a fini par prendre le nom de « Cours », tout…court, était le « cours de soutien », auquel on préférait le pluriel, les cours de soutien. Un vrai phénomène de l’école algérienne ; plutôt, un phénomène de société qui mobilise et malmène les ménages, les parents et, bien entendu, les premiers concernés, les élèves. La nécessité d’un accompagnement, qu’il est malaisé de qualifier de «pédagogique », pour les examens du baccalauréat et du brevet d’enseignement moyen, se faisait sentir crescendo, d’une façon inversement proportionnelle au rendement scolaire, à l’assiduité du suivi des cours en classe et à la performance générale de l’école publique. Le phénomène a fini par toucher même les classes du primaire, où la surcharge des classes et la surcharge du cartable (donc, du programme) sont connues de tout le monde, à commencer par les responsable de l’Éducation nationale. Les enseignants qui se « chargent» d’une telle mission- assurer des cours informels, payants, dans des conditions pour le moins discutables (garages, cagibis ou dans de modestes appartements), ne sont pas venus d’une autre « planète ». Ce sont les mêmes enseignants que les élèves ont eu au cours des jours de la semaine dans les classes réglementaires. Ce sont ceux-là qui- dans un système/engrenage dont il est difficile de dénouer l’écheveau- que les élèves retrouvent dans ces endroits inadaptés afin de « compléter » leurs connaissances qui leur donneraient plus de chance de décrocher les examens (Bac ou Brevet). « Compléter » est un terme un tantinet décalé dans ce genre de situation, puisque, à bien y réfléchir, ces connaissances sont censées être acquises, suivies et contrôlées dans la classe de l’école publique. Tous les programmes officiels de cette dernière en parlent et y insistent. Certains parents d’élèves, bien qu’enchaînés dans cet engrenage onéreux, en arrivent à accuser des enseignants de « rétention d’informations » au niveau des classes réglementaires afin de les « monnayer » par l’instauration de cours de soutien. Une forme de perversion fort dommageable qui, à y bien regarder, en arrive à instituer une école à deux vitesses, celle où des parents peuvent se payer les « meilleurs profs, malgré les conditions contestables dans lesquels les cours sont dispensés, et les autres, qui se rabattent sur les « moins-disants » ou s’en privent carrément. 

Efforts inaboutis

Une telle dérive a commencé au début des années 2000. Au fil des ans, elle est devenue une pratique régulière, manquant juste d’être inscrite au registre de commerce. L’ancienne ministre de l’Éducation, Mme Noria Benghebrit, avait dénoncé cette pratique, qui, sur le plan strictement réglementaire, la dépasse. Elle avait exclu l’option de recourir aux solutions policières pour arrêter le phénomène. Elle soutenait que, si de telles méthodes d’enseignement extrascolaires connaissent un engouement et un faste particuliers, c’est que le système éducatif national était quelque part défaillant. Il s’agit, avançait-elle, avec les efforts de tout le monde, de rehausser le niveau d’enseignement dans l’école publique, de valoriser la scolarité, d’initier des cours de soutien au sein même de l’école et d’y instaurer la discipline pour obtenir des résultats et des performances qui décourageraient le recours aux cours particuliers. En d’autres termes, il s’agit, selon les vœux et l’ambition de l’ancienne ministre, de retirer la « clientèle » de ces cours de manière intelligente. Ces efforts ne semblent pas avoir été animés, par la suite, de l’esprit de continuité, puisque le phénomène des cours particuliers est plus prégnant que jamais et a toujours les faveurs des élèves et de leurs parents.

  1. A. N. M.
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