Contexte énergétique national et subventions à l’énergie : L’Algérie doit faire un choix bien difficile !

La forte dépendance de l’Algérie à l’égard des recettes pétrolières, qui sont volatiles, imprévisibles et appelées à tarir, complique considérablement les politiques budgétaires nationales.

Par Kamel Aït Cherif

Expert international en économie d’énergie

Pour y faire face, l’Algérie doit faire un choix bien difficile : faut-il continuer à dépenser plus en subventions pour permettre aux citoyens d’avoir une énergie bon marché, ou faut-il diminuer, voire éliminer, les subventions à l’énergie et laisser le marché s’autoréguler ?

La chute des prix du pétrole à laquelle on assiste relance le débat sur la pertinence des subventions à l’énergie et sur la nécessité d’entreprendre sereinement des réformes avant d’y être contraint par la force des choses.

Problématique posée

Face à une croissance substantielle de la consommation nationale (interne) en produits énergétiques (gaz, électricité, carburants), du déclin de la production nationale en pétrole & gaz et de la régression des exportations des hydrocarbures, l’avenir énergétique de l’Algérie suscite des inquiétudes.

Ce modèle de consommation énergétique est insoutenable ; nous allons tout droit vers une incapacité à maintenir un rythme d’exportation d’hydrocarbures susceptible de financer notre développement économique.

Devant cette situation et compte tenu de la reconfiguration du contexte énergétique national et international, des questions d’importance sur les mutations énergétiques à venir se posent :

– Quel modèle de consommation énergétique pour l’Algérie ?

– Quelles incidences induiraient concrètement les subventions à l’énergie ?

– Que faire pour rationaliser la consommation interne d’énergie ?

– Comment réduire et/ou éliminer les subventions à l’énergie ?

Contexte énergétique national

Avec une population de 43 millions d’habitants, en 2019, la consommation énergétique de l’Algérie en interne a atteint plus de 60millions de tonnes équivalents (Tep) ; elle était de 17 millions (Tep) en 2005 pour 33 millions d’âmes. Elle a, ainsi, été multipliée par quatre (soit une facture énergétique d’environ 40 milliards de dollars). Elle devrait, selon les prévisions du secteur de l’énergie et si le rythme de consommation se poursuit, doubler à l’horizon 2030, voire tripler à l’horizon 2040.

La forte hausse des besoins énergétiques, au niveau national, se traduira forcément par une diminution des exportations, et, donc, par une diminution des recettes financières si, parallèlement, aucun effort allant dans le sens de l’économie d’énergie ne serait entrepris.

Avec un scénario laisser-faire, la production totale d’énergie risque d’être égale à la consommation interne d’énergie à l’horizon 2030 !!!

L’Algérie est le 4e consommateur d’énergie en Afrique avec l’équivalent d’un peu plus d’une tonne équivalent pétrole (1,15 Tep) par habitant et par an, derrière l’Afrique du Sud (2,8Tep), la Libye (2,18Tep) et le Gabon (1,25Tep).

L’intensité énergétique a atteint 0,35 tonne équivalent pétrole (ou la consommation énergétique par unité de PIB est de l’ordre de 0,176tep/1000 $ de PIB en 2014), soit deux fois plus que celles des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Cet indice ne fait que se dégrader depuis 2004. En termes plus clairs, nous gaspillons de plus en plus d’énergie ces dix dernières années.

Aussi, il y a lieu de signaler que la consommation moyenne d’énergie de l’Algérien est le triple de la moyenne mondiale.

L’économie nationale consomme le double d’énergie pour créer la même unité de valeur ajoutée (selon l’agence nationale APRUE).

Dans ce cas, faut-il continuer à le consommer et/ou à le rationaliser ? Ou bien, réfléchir à des solutions alternatives ou de substitutions dans un futur proche ?

Problématique des subventions à l’énergie : l’opportunité de la réforme !

Les subventions à l’énergie, en Algérie, absorbent 30% du budget de l’Etat et 11% de son PIB. Elles s’élèvent à environ 1 500 à 2 400 milliards de dinars (soit environ 10 à 20 milliards de dollars), selon la Banque Mondiale.

Certains pays exportateurs de pétrole commencent à comprendre qu’il leur faut mettre en œuvre des réformes visant à renforcer l’efficacité économique et la compétitivité, mais aussi et surtout, rationaliser et abandonner progressivement à moyen terme les subventions inefficaces accordées aux combustibles fossiles, qui encouragent la surconsommation. Plusieurs pays exportateurs de pétrole étudient actuellement de près la possibilité d’éliminer les subventions à l’énergie.

Les prix de l’énergie et la consommation

L’augmentation de la consommation nationale d’énergie, en Algérie, est beaucoup plus encouragée par les prix bas de l’énergie que par la poussée démographique. L’augmentation des prix de l’énergie est inévitable !!!

Lorsque les prix mondiaux de l’énergie étaient bas, dans les années 1980 et 1990, les pays exportateurs trouvaient qu’il était facile de partager la manne pétrolière en offrant l’essence, le gasoil ou le gaz à leurs consommateurs nationaux. De plus, les ressources énergétiques abondantes et bon marché ont attiré les investissements et permis de créer les emplois si nécessaires. Tant que les prix de vente nationaux couvraient les coûts de production, la question des subventions à l’énergie ne se posait pas.

Les choses ont beaucoup changé depuis dix ans. Au niveau mondial, la hausse des prix de 29 dollars, en 2003, à environ 145 dollars, en 2008, a fait augmenter le coût des subventions aux produits pétroliers.

Les prix de l’énergie, qui sont fixés par décret exécutif, sont en moyenne de 21 à 23 DA le litre d’essence  et 780 DA les 1 000 m3 de gaz naturel pour le public (2015). Ce qui correspond à environ 40-50 dollars de baril d’essence et à une moyenne de 4 dollars le million de BTU. On voit, donc, que l’Algérien consomme un produit raffiné deux fois moins cher que le pétrole brut, à 100 dollars le baril, et un gaz 25 fois moins cher que le gaz algérien vendu en Europe. Il n’y a aucune corrélation entre les prix.

Augmentation des prix de l’énergie pour l’industrie : est-ce suffisant ?

Il y a lieu de signaler qu’en Algérie, les secteurs gros consommateurs d’énergie sont les secteurs du transport, des ménages & tertiaires. «Ce sont des secteurs énergivores par excellence», qui représentent 80% du bilan énergétique national :

– Le secteur des ménagers & tertiaires, qui représente 44% du bilan énergétique national, occupe la 1re place en termes de consommation d’énergie ;

– Le secteur des transports avec 36% de la consommation finale d’énergie, occupe la 2e place ;

– Ensuite, vient le secteur de l’industrie, qui occupe la 3e place, avec moins de 20%.

Les transports dépendent aujourd’hui à 95% du pétrole, dans un pays où une option fondamentale du modèle national de consommation énergétique (élaboré en 1983) recommande l’usage des formes d’énergies les plus disponibles et les moins entamées.

Quant aux ménages, 60% de l’énergie qu’ils consomment est de l’énergie électrique produite (selon Sonelgaz), quand on sait que plus de 98% de la production électrique se fait à partir du gaz naturel !

La révision des prix de l’énergie doit se focaliser sur les secteurs gros consommateurs d’énergie, qui ont un impact significatif sur la demande interne d’énergie.

La question qui reste posée est comment en finir avec une énergie bon marché, sans pénaliser les ménages et sans faire perdre à l’économie nationale l’un de ses rares avantages comparatifs.

Aussi, le problème posé par cette évolution de consommation d’énergie peut s’exprimer simplement ainsi : comment ralentir la consommation d’énergie sans sacrifier les bénéfices apportés en termes de développement économique et social ? La solution est à la fois simple est complexe. Les moyens disponibles sont nombreux, mais les moyens adaptés aux contextes spécifiques à l’Algérie méritent d’être bien pensés.

Par ailleurs, au vu de l’effondrement des revenus pétroliers, il y a un risque à l’avenir de provision pour les subventions à l’énergie dans le budget de l’Etat.

Comment réussir une réforme des subventions à l’énergie ? Expliquer la réforme et la mettre en œuvre !

Tous les experts s’accordent à dire que ces subventions constituent un fléau.

Elles créent des distorsions sur les marchés, grèvent dangereusement les budgets de l’Etat, poussent à la surconsommation d’énergie, favorisent la contrebande, génèrent des externalités dommageables à l’environnement, renforcent les inégalités sociales qu’elles sont supposées corriger.

L’idée selon laquelle une énergie bon marché n’a que des avantages pour ses utilisateurs est de plus en plus remise en cause : une énergie bon marché n’incite pas aux économies d’énergies ni à la fabrication de produits peu gourmands en énergie.

Il est aussi douteux de dire que l’énergie bon marché soutient le développement économique. Il a été démontré que l’intensité énergétique (soit la consommation d’énergie par unité produite) augmente avec les subventions à l’énergie.

Néanmoins, pour réussir, les réformes de ce type doivent s’accompagner de politiques microéconomiques et macroéconomiques, faute de quoi les hausses de prix de l’énergie peuvent facilement conduire à une inflation élevée ou à d’autres pertes économiques et coûts sociaux.

La promotion de l’efficience énergétique, en Algérie, devait s’imposer comme un but stratégique à atteindre.

Le plus grand gisement serait celui de l’économie d’énergie, qui impose la définition d’un nouveau modèle économique et énergétique !

Comment faire pour éviter de pénaliser les citoyens à bas revenus en cas de hausses des prix de l’énergie ?

En augmentant progressivement les prix nationaux de l’énergie, notamment ceux des carburants, l’Algérie pourrait rationaliser la consommation interne d’énergie, limiter le gaspillage et augmenter les recettes tirées des exportations lucratives d’hydrocarbures.

Le gouvernement pourrait, alors, redistribuer la majorité des recettes correspondant à l’augmentation du prix sous forme d’un dividende pétrolier, ce qui ferait accepter cette augmentation par la population.

Certains pays producteurs, ont déjà adopté des mesures visant à réduire et/ou à éliminer les subventions dans leurs pays.

Echelonner les augmentations des prix de l’énergie. Il peut être préférable d’introduire progressivement les augmentations de prix des produits énergétiques et de les échelonner selon leur nature. Un relèvement trop brutal des prix énergétiques peut donner lieu à une opposition intense aux réformes, surtout en l’absence de communication suffisante et de mesures d’atténuation.

Une stratégie progressive de hausse de prix de l’énergie permettra aux ménages et aux entreprises de s’adapter, et au gouvernement de mettre en place des filets de sécurité sociale.

La réforme des subventions à l’énergie peut doper la croissance et réduire la pauvreté et l’inégalité. Réallouer les ressources libérées par les subventions vers des dépenses publiques plus productives pourrait aider à doper la croissance à long terme. En outre, la réduction des subventions à l’énergie, accompagnée d’un filet de protection sociale bien conçu et d’un relèvement des dépenses favorables aux citoyens à bas revenu, pourrait donner à des améliorations significatives du bien-être des citoyens à faible revenu à moyen & long termes.

La réforme des subventions peut aussi contribuer à la baisse du déficit budgétaire, ce qui stimulerait les investissements productifs et renforcerait la croissance économique.

Les subventions à l’énergie coûtent cher au budget de l’Etat !

Par conséquent, il y a lieu de revoir à la hausse les tarifs de l’électricité et du gaz en fonction du seuil de consommation d’énergie. Mais, pour les carburants, une augmentation progressive des prix du gasoil et des essences, à moyen & long termes est nécessaire.

 Conclusion : l’heure est à l’action !

L’expérience a montré que les réformes structurelles étaient plus aisées et moins coûteuses à mettre en œuvre, lorsque les autorités disposent d’une marge de manœuvre budgétaire qui leur permet de choisir le rythme qui convient aux besoins du pays.

C’est pourquoi les réformes des subventions à l’énergie peuvent-être mises en œuvre de manière proactive plutôt que lorsque les pressions se font sentir.

Si l’Algérie se prépare à la mondialisation, l’optimisation des ressources d’énergie et à la rationalisation de la consommation énergétique, c’est le moment ou jamais de commencer à rompre avec le gaspillage d’énergie qui a trop duré. Il n’y a plus de période propice que celles des crises pétrolières pour décider, mais il y a lieu de préparer d’abord les esprits et de sensibiliser les citoyens à la culture économique, car chaque geste éco-citoyens, c’est des économies d’énergies.

En clair, des gestes «éco-citoyens» nous permettraient d’économiser l’équivalent de 6 à 8 millions de tonnes équivalent pétrole(Tep).

K. A. C.

N.B : «L’avenir d’un pays ne se bâtit pas seulement sur une économie de consommation, mais aussi sur une économie de production» !

Note importante :

«Notre pays est dépendant de plus de 60% de son budget des hydrocarbures, qui représentent plus de 30% du PIB et plus de 98% des recettes d’exportation !»

Remarque fondamentale :

Il y a lieu de rappeler que «l’eau-l’énergie-l’environnement» sont, en fait, les trois piliers de tout développement économique & social et du progrès de façon générale !

Quitter la version mobile