Combien de fois n’avons-nous pas attiré l’attention des pouvoirs publics, que certains ne découvrent que maintenant, sur la dynamisation des institutions stratégiques qui doivent s’inscrivent dans le cadre d’une vision globale des réformes afin de favoriser le développement? (voir contributions A.Mebtoul www.google 2008). Cette présente contribution s’appesantit sur quatre institutions stratégiques, le Conseil national de l’énergie, la Cour des comptes, le Conseil de la concurrence et la Bourse d’Alger, en léthargie depuis de longues années. Les textes juridiques sont une condition nécessaire mais non suffisante : l’important est d’agir sur le blocage du fonctionnement de la société, fonction des rapports de force, au niveau interne, des différentes composantes politiques, économiques et sociales, elle-même liée aux nouvelles mutations mondiales
Par Abderrahmane Mebtoul (1)
Le Conseil national de l’énergie
Selon la législation actuelle le Conseil national de l’énergie (CNE), se réunit périodiquement sur convocation de son président, le président de la République, dont le secrétariat est assuré par le ministre de l’Energie et composé des ministres dits de souveraineté (Défense nationale, Affaires étrangères, Energie et Finances) et du gouverneur de la Banque d’Algérie . Le Conseil national de l’énergie est chargé :
-d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique énergétique nationale à long terme, notamment, de la mise en œuvre d’un plan à long terme destiné à garantir l’avenir énergétique du pays ;
-d’un modèle de consommation énergétique en fonction des ressources énergétiques nationales, des engagements extérieurs et des objectifs stratégiques à long terme du pays ;
– de la préservation des réserves stratégiques du pays en matière d’énergie ;
-des stratégies à long terme de renouvellement et de développement des réserves nationales en hydrocarbures et leur valorisation ;
– de l’introduction et du développement des énergies renouvelables ;
– des schémas d’alliances stratégiques avec les partenaires étrangers intervenant dans le secteur de l’énergie et des engagements commerciaux à long terme».
Donc au niveau des prérogatives définies par la Loi, ce n’est ni au Ministère de l’Energie, ni à Sonatrach et encore moins à Sonlegaz, de tracer la politique énergétique, ces entités étant des institutions d’exécution.
La Cour des comptes
Sous l’autorité du président de la République, à la différence de l’IGF, dépendante du ministre des Finances ou d’autres organes dépendants du ministre de la Justice, donc de l’Exécutif étant juge et partie, elle est chargée du contrôle, a posteriori, des finances de l’Etat, des collectivités territoriales, des services publics, ainsi que des capitaux marchands de l’Etat, contribuant au développement de la bonne gouvernance et de la transparence dans la gestion des finances publiques. La Cour des comptes établit un rapport annuel qu’elle adresse au président de la République, au président du Conseil de la Nation, au président de l’Assemblée populaire nationale et au Premier ministre. Institution supérieure du contrôle, à posteriori, des finances de l’Etat, à compétence administrative et juridictionnelle, la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN-Sénat) dans l’exécution des lois de finances, et pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d’importance nationale. Force est de reconnaitre qu’il ay urgence d’une uniformisation des institutions de contrôle avec, comme dans tous les pays où existent un Etat de droit, un rôle directeur à la Cour des comptes dont d’ailleurs l’actuel président est en fonction depuis 1995. Soit, plus de 26 ans, alors que la nouvelle Constitution prévoit deux mandats de cinq années non renouvelables. Ayant été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980, ayant démissionné fin 2003 pour des raisons personnelles et ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger pendant la présidence de feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la République sous feu Houari Boumediene, (en rappelant que le premier président de la Cour des Comptes a été le docteur Tabel Brahimi), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relation avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant qu’elle ne soit instrumentalisée à des fins politiques. Aussi, la problématique posée de l’efficacité de la Cour des comptes et d’une manière générale, toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité, est fonction d’une gouvernance globale rénovée. Par ailleurs, si l’on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé, posant la problématique d’ailleurs, de la transparence des comptes, y compris dans une grande société comme Sonatrach. Ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe et l’ensemble des cadres de Sonatrach et d’experts, sur cette société en 2008, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et Hassi Messaoud , tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert, faussant la visibilité.
Le Conseil de la concurrence
La dynamisation du Conseil de la concurrence renvoie à sept principes. Premièrement, les ententes entre entreprises qui visent à obtenir un niveau de prix supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle (article 6 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).
Deuxièmement, les abus de position dominante, c’est-à-dire, les situations où une entreprise et parfois plusieurs entreprises, sans avoir besoin de s’entendre, disposent d’une position sur le marché suffisamment puissante pour fixer leurs prix (ou leurs conditions commerciales) à un niveau supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle.
Troisièmement, les abus de dépendance économique: ce type d’abus est le fait d’entreprises en position dominante dans leurs relations avec des opérateurs économiques qui n’ont d’autre choix que de traiter avec elles.
Quatrièmement, la pratique de prix abusivement bas ayant pour effet d’éliminer ses concurrents pour ensuite relever ses prix au-dessus d’un niveau raisonnable.
Cinquièmement, tout acte ou tout contrat conférant à une entreprise une exclusivité.
Sixièmement, interdiction des opérations de concentration qui aboutissent à la création d’une position dominante. La loi en vigueur régissant le Conseil de la concurrence, stipule que les agents économiques doivent notifier à ce Conseil leurs opérations de concentration lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à la concurrence et qu’elles atteignent un seuil de plus de 40% des ventes ou achats à effectuer sur un marché.
Septièmement, la loi consacre une exception à ce principe, en accordant la faculté au Gouvernement d’autoriser, lorsque l’intérêt général le justifie, les concentrations économiques rejetées par le Conseil de la concurrence à chaque fois que des conditions économiques objectives le justifient.
La bourse d’Alger
La bourse d’Alger est en léthargie car les plus grandes sociétés algériennes comme Sonatrach et Sonelgaz et plusieurs grands groupes privés, ne sont pas cotées en bourse. L’important pour une bourse fiable est le nombre d’acteurs fiables au niveau de ce marché, pour l’instant limité. Imaginez-vous un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 50.000/100.000 spectateurs sans équipe pour disputer la partie! Les autorités algériennes se sont donc contentés de construire le stade mais sans joueurs. Comment dynamiser la Bourse d’Alger? Je recense cinq axes directeurs.
Premièrement, la levée des contraintes d’environnement dont les entraves bureaucratiques impliquant la refonte de l’Etat dans de nouvelles missions, devient urgent. Il ne peut y avoir de Bourse sans la concurrence, évitant les instabilités juridiques et donc, un Etat de droit. Cela n’est pas facile comme le démontrent, d’ailleurs, les scandales financiers au niveau mondial supposant de la transparence. Deuxièmement, une bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové, et j’insisterai sur ce facteur fondamental, car le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente des hydrocarbures et donc, un enjeu énorme du pouvoir. Troisièmement, il ne peut y avoir de Bourse sans la résolution de titres de propriété qui doivent circuler librement, segmentés en actions ou obligations, renvoyant, d‘ailleurs, à l’urgence de l’intégration de la sphère informelle par la délivrance de titres de propriété.
Quatrièmement, il ne peut y avoir de bourse sans des comptabilités claires et transparentes, calquées sur les normes internationales par la généralisation des audits et de la comptabilité analytique, afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires. Cela pose la problématique de l’adaptation du système socio-éducatif, l’engineering financier, n’existant pas.
Cinquièmement, transitoirement comme amorce, nous proposons une privatisation partielle de quelques champions nationaux pour amorcer le mouvement et la création de fonds de private P/P, pour sélectionner quelques entreprises privées en vue de leur introduction ultérieure en bourse. Cela permettrait de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité, amorçant le cercle vertueux, et attirer des opérateurs privés. Ces fonds agiraient comme incubateurs de sociétés éligibles à la Bourse.
Résumé : réhabiliter les institutions stratégiques, une question de sécurité nationale
Le fondement de tout processus de développement, comme l’ont démontré tous les prix Nobel de sciences économiques, repose sur des institutions crédibles et c’est une Loi universelle. La dynamisation des cinq institutions, le Conseil national de l’Energie, la Cour des Comptes, le Conseil Economique et Social, qui doit retrouver la vocation que lui avait donnée feu Mohamed Salah Mentouri, et non être un lieu de séminaires, rôle de l’Université ou un bureau d’études annexe du gouvernement, la Bourse d’Alger et du Conseil de la concurrence, conditionnera le développement de l’Algérie comme adaptation, tant aux facteurs internes qu’au mouvement du nouveau monde, devant contribuer à un développement durable au profit exclusif de l’Algérie. En fait, leur dynamisation trouve son essence dans des enjeux importants de pouvoir concernant l’approfondissement ou pas des réformes structurelles, tant dans les domaines politique, économique, culturel que social. Car, force est de reconnaitre, qu’en ce mois de novembre 2021, Sonatrach c‘est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach, (plus de 98%, directement et indirectement, des recettes en devises avec les dérivées), et que l’Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée, du fait que les réformes structurelles de fond tardent à se concrétiser sur le terrain. Evitons cette vision bureaucratique du passé, sans vision stratégique en ce monde turbulent, instable, mondialisée, à l’approche de la quatrième révolution économique mondiale, avec l’inévitable transition numérisée et énergétique, reposant sur le juridisme, faire et refaire des lois, alors qu’il s‘agit de s’attaquer au blocage du fonctionnement de la société, comme en témoignent les . changements périodiques de cadres juridiques perpétuels qui ont un coût sans impacts. La confusion des rôles où l’activisme remplaçant une démarche maîtrisée, traduit le désarroi. Cela ne peut qu’avoir un impact négatif sur le développement du pays et donner une image négative au niveau national, avec la démobilisation des citoyens et des managers, et au niveau international, comme le montre la baisse des IDE. Tout cela renvoie à un autre débat, qui est la transition d’une économie de rente avec la dominance d’une économie informelle spéculative, à une économie de production de biens et services, basée sur la bonne gouvernance et la connaissance, supposant de profonds réaménagements au sein de la structure du pouvoir. Aussi, sous réserve d’une mutation systémique, d’un Etat de droit, l’Algérie peut surmonter la crise multidimensionnelle à laquelle elle est actuellement confrontée. L’Algérie a deux choix : faire des efforts pour réformer ses institutions, vers plus de libertés, de démocratie de transparence et réhabiliter les vertus du travail, ou régresser en optant pour le statu quo économique et politique qui serait suicidaire. Face aux tensions géostratégiques et celles budgétaires et sociales internes, s’impose un large Front national se fondant sur les différentes sensibilités. Pour cela, s’impose la moralité des responsables qui doivent donner l’exemple s’ils veulent mobiliser leur population. Un phénomène analysé avec minutie par le grand sociologue maghrébin, Ibn Khaldoun, dès le XIVe siècle qui a montré que l’immoralité des dirigeants, avec comme impact la corruption gangrenant toute la société, a pour effet la décadence que nul patriote ne souhaite. En bref, espérons pour l’Algérie un sursaut national (1).
A. M.
NB-Professeur Abderrahmane MEBTOUL Docteur d’Etat en sciences économiques (1974), auteur de 20 ouvrages et plus de 700 contributions nationales et internationales , a été directeur d’études Ministère Energie –Sonatrach 1974/1979/1990/1995-2000/2007-2013/2015, ayant dirigé trois audits sur Sonatrach , bilan Sonatrach 1974/1976- le dossier es carburants 2008- le dossier du gaz de schiste 2015- – Directeur général des études économiques et haut magistrat à la Cour des comptes (premier conseiller) de 1980/1983- expert au conseil économique et social de 1996-2008
(1)-Le Pr Abderrahmane Mebtoul a dirigé le premier Audit sur Sonatrach entre 1974/1976- le bilan de l’industrialisation 1977/1978- le premier audit pour le comité central du FLN sur le secteur privé entre 1979/1980- – dirigé les audits sur les surestaries et les surcoûts au niveau BTPH en relation avec le Ministère de l’intérieur, les 31 Walis et le Ministère de l’habitat de l’époque 1982 réalisé au sein de la Cour des Comptes, a dirigé l’Audit , l’audit l’emploi et les salaires pour le compte de la présidence de la République (2008) , l’audit face aux mutations mondiales les axes de la relance socio-économique de l’Algérie horizon 2020/2030 ( premier ministère février 2014), dirigé l’audit assisté des cadres de Sonatrach, d’experts indépendants et du Bureau d ‘Etudes Ernest Young « le prix des carburants dans un cadre concurrentiel « Ministère Energie 8 volumes 780 pages –Alger 2008. Dirigé l’-Audit « pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques « Premier ministère Alger janvier 2015 – Pr Abderrahmane Mebtoul « l’Algérie a un répit de seulement trois ans pour changer de cap » quotidien international financier français latribune.fr 19 /09 2017- American Herald Tribune 28/12 2016- « Bilan et perspectives de l’économie algérienne horizon 2020/2030- ((dossier de 45 pages) sous le titre toute déstabilisation de l’Algérie aurait des répercussions géostratégiques sur tout l’espace méditerranéen et africain » -Voir sur les contraintes de financement de l’économie algérienne du Pr A. Mebtoul au niveau international en anglais site Mena Forum(Bruxelles-Londres) « How to Energize the Algiers Bourse ? »
(1) Pr des universités, expert international- docteur d’Etat 1974- –ancien haut magistrat directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983