L’Algérie ne peut plus compter pour son développement sur la rente pétrolière et gazière. Cette amère réalité est actée depuis 2014, en conséquence de la baisse, puis de la stabilisation des cours du pétrole brut autour de 45-50 dollars le baril. En réalité, c’est depuis 2008 que les responsables du secteur de l’énergie auraient dû s’inquiéter des difficultés rencontrées par l’entreprise Sonatrach (ci-après SH) et ses associés étrangers pour réaliser des découvertes significatives.
Par Lyazid Khaber, directeur de la publication EcoTimes, et Ali Mebroukine, professeur en droit des affaires
C’était à ce moment-là que des dispositions appropriées auraient pu être prises pour remobiliser l’entreprise nationale et revoir la loi n° 05-07 du 28 avril 2005, et l’ordonnance n° 2006-10 du 29 juillet 2006, deux textes que loi n°13-01 du 20 févier 2013 a amendés sans pour autant provoquer le renouveau énergétique escompté des pouvoirs publics. Jusqu’en 2035, le pouvoir d’achat international du pays est en principe garanti par les exportations de pétrole et de gaz, à condition que la loi nº19-13 du 11 décembre 2019 tienne ses promesses et attire les compagnies étrangères, notamment celles qui connaissent bien le potentiel énergétique du pays. Se déprendre de la rente pétrolière et gazière est un slogan creux, tant que les autres secteurs de l’économie n’ont pas été suffisamment redynamisés : agriculture, industrie manufacturière, énergies renouvelables, économie numérique, services à la personne et aux entreprises, tourisme. C’est la raison pour laquelle le président de la République et le gouvernement devront instruire les services impliqués par la mise en œuvre de la loi 19-13, de créer un climat d’affaires propre à convaincre les compagnies étrangères de venir explorer et exploiter de nouveaux gisements, et améliorer la rentabilité de ceux qui ont déjà été découverts mais qui connaissent, depuis 2008 au moins, une déplétion naturelle et progressive avant leur tarissement. La publication de 43 textes réglementaires indispensables à la mise en vigueur de la loi est attendue avec impatience. Mais elle ne réglera pas tous les problèmes. On ne peut, en effet, se dissimuler que partout dans le monde, et singulièrement dans le sud-est de la Méditerranée et en Afrique, d’importantes découvertes de pétrole et de gaz se multiplient et qui feront concurrence au gaz algérien, dont une partie significative est exportée vers les pays de l’Europe du Sud (Portugal Espagne, France et Italie, surtout) dans le cadre de contrats à long terme, que notre pays a reconduits laborieusement en 2019. Le fait mérite d’autant plus d’être signalé que la mise à disposition de nos ressources énergétiques pour le développement dans les 15 années qui viennent sera tributaire de deux facteurs : l’attractivité réelle et non pas seulement potentielle de la loi 19-13, et le profond aggiornamento de la gouvernance de SH, entamé depuis février 2020, par son président-directeur général, Tewfik Hakkar.
Les facteurs à l’origine de la loi 19-13
Le législateur algérien a mis du temps avant de tirer les enseignements des insuffisances aussi bien de la loi 05-07 que de l’ordonnance 2006-10. D’éminents experts algériens ont mis au jour les lacunes du dispositif juridique relatif aux activités pétrolières et gazières, qui sont pour le moment toujours en vigueur, à travers les textes d’application de la loi 05-07. Prenons chacune des principales contraintes que la loi 19-13 a vocation à lever.
- Un régime contractuel rigide concernant la recherche, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures ;
- Un régime fiscal inadapté qui constitue un frein pour les opérations de partenariat ;
- Un système d’appel d’offres inadéquat par rapport aux mutations que connaît le marché mondial de l’énergie, dans lequel les principaux opérateurs devraient être sollicités en dehors des modes traditionnels de passation des marchés publics ;
- Le statut de SH, à la fois opérateur économique, au même titre que ses partenaires étrangers, et détenteur de certaines prérogatives de puissance publique, ne contribuait pas à entretenir un climat des affaires suffisamment transparent. Intervenaient, également, tout au long de la chaîne de valorisation des hydrocarbures, les autorités de régulation (Alnaft et ARH) et ce, depuis l’attribution des titres miniers jusqu’à l’exécution finale du contrat d’hydrocarbures (ou à l’inverse jusqu’à sa résiliation éventuelle).
De plus, un fait notable ne manquera pas de marquer de façon durable l’histoire économique du pays, c’est l’envolée de la consommation interne d’énergie (qui représente 52% de la production en 2020), induite à la fois par l’augmentation de la population (les Algériens sont 44,5 millions en 2020 et seront 52 millions en 2030), et par le redémarrage, à partir de 2021, du processus d’industrialisation. La consommation interne d’énergie est permise grâce à la transformation d’importantes quantités de gaz naturel en électricité, dès lors que la part des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité, biomasse, géothermie) ne représente, en 2020, qu’à peine 1,7% du mix énergétique global. Ce sont autant de quantités de gaz que l’Algérie n’exporte pas. De surcroît, à la hausse de la demande intérieure fait pendant la baisse des prix de l’énergie sur le marché mondial. Il en résulte que la fiscalité pétrolière, qui abonde aujourd’hui 70-72 % des recettes du budget de l’Etat, ne pourra, au rythme actuel d’extraction des réserves prouvées de pétrole et de gaz, couvrir que 40% au maximum des dépenses de fonctionnement et d’équipement, à l’horizon 2025.
La préservation de la doctrine algérienne en matière de souveraineté sur les hydrocarbures
Le principe de la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles, principal cheval de bataille de l’Algérie dans les années 1970, dans le cadre de la revendication d’un nouvel ordre économique international, est préservé dans la loi 19-13, notamment en son article 5 aux termes duquel :
«(…) Les hydrocarbures découverts ou non découverts situés dans le sol et le sous-sol du territoire terrestre et des espaces maritimes (…) sont la propriété de la collectivité nationale (…)».
Cette disposition fait référence à l’article 18 de la Constitution révisée du 6 mars 2016, sous l’empire de laquelle elle a été adoptée. En vertu du projet de révision constitutionnelle du 1er novembre 2020, adopté par une majorité de la population, l’article 18 ancien devient l’article 20 aux termes duquel :
«La propriété publique est un bien de la collectivité nationale.» (Alinéa 1)
«Elle comprend le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes de différentes zones du domaine maritime national, les eaux et forêts.» (Alinéa 2).
Toutefois, si les titres miniers appartiennent à l’Etat (article 8 de la loi 19-13) et sont délivrés exclusivement à l’Alnaft, «l’exercice des activités d’hydrocarbures constitue un acte de commerce.» (Article 9 de la loi). Il en résulte que toutes les catégories de contrats envisagés par la loi sont soumis au droit commun, et dans l’hypothèse où les partenaires de SH sont de nationalité étrangère (hypothèse la plus fréquente), il peut être prévu par les parties la compétence d’une autre loi que la loi algérienne, à la condition que la loi étrangère ne porte pas atteinte aux dispositions internationalement impératives contenues dans la loi 19-13 et les autres textes de droit pertinents.
Sonatrach, opérateur économique privilégié
Sur un autre plan, on se réjouira de la clarification faite par le législateur des champs de compétence respectifs du ministre chargé de l’Energie, des autorités de régulation et de l’opérateur historique, cette fois-ci délesté des prérogatives de puissance publique, dont l’avait déjà déchargé la loi 05-07, avant que l’ordonnance nº2006-10 ne les lui restitue. Le ministre chargé de l’Energie n’est pas le régulateur des activités d’hydrocarbures et n’a pas vocation à se substituer à l’opérateur historique ; le ministère de l’Energie est une administration où se prennent les décisions stratégiques. Quant aux autorités de régulation, elles sont à la fois indépendantes de par leurs statuts et neutres au regard des différents opérateurs économiques, qui interviennent sur le terrain. L’Alnaft est en charge des activités amont, c’est-à-dire de tout ce qui concerne la prospection, la recherche, le développement et l’exploitation d’hydrocarbures ainsi que le stockage sur site, l’évaluation du potentiel d’hydrocarbures, les activités de gestion inhérentes à ces opérations, ainsi que la remise en état des sites abandonnés. Quant à l’ARH, elle voit ses prérogatives renforcées dans le domaine de l’aval, autrement dit, celui qui a trait au transport par canalisation, au raffinage, à la fabrication des lubrifiants, au stockage et à la distribution des produits pétroliers. Reste SH, entreprise nationale qui est partie prenante à toutes les activités d’hydrocarbures, sans exception, avec ce privilège d’être obligatoirement majoritaire dans les opérations de partenariat, et ceci en vertu de la règle des 51/49 introduite, en s’en souvient, par la loi de finance complémentaire de juillet 2009, mais qui ne s’applique plus, depuis la loi de finance pour 2020, qu’aux secteurs stratégiques. Par ailleurs, une analyse strictement juridique du contrat de partenariat, du contrat de partage de production ou du contrat de services à risque retiendra que SH dispose de certains avantages par rapport à ses associés. Il en est ainsi de la faculté de commercialiser le gaz pour le compte de ses partenaires dans le contrat de participation, tandis que dans le contrat de partage de production et le contrat de services à risque, les installations réalisées dans le cadre de l’exécution de ces contrats sont la propriété de l’entreprise nationale. On n’aura garde de ne pas mentionner que «l’expropriation des terrains nécessaires à l’exercice des activités amont et du transport par canalisation(…) est réalisée exclusivement au bénéfice de l’entreprise nationale.» (Article 16 de la loi 19-13), ce qui souligne la volonté du législateur d’encadrer la détention et l’utilisation de la domanialité minière.Pour autant, tous les contrats d’hydrocarbures sont des contrats synallagmatiques et consensuels et non bien évidemment des contrats d’adhésion. La circonstance que SH jouit de certaines facultés sur le plan commercial et sur le plan patrimonial n’entame pas l’équilibre contractuel de ses relations avec ses associés, surtout lorsque le partenariat n’est possible matériellement que si l’associé étranger fait apport de ses capitaux et de sa technologie. Ceci dit, la clarification par la loi 19-13 des rôles de chaque entité n’était pas seulement souhaitable ; elle était devenue indispensable, dans la mesure où le flou qui caractérisait jusqu’alors les missions de chacun des intervenants dans la chaîne d’hydrocarbures, ne contribuait pas à favoriser un climat des affaires serein en termes de stabilité et de prévisibilité. C’est, désormais, chose faite.
Lire la deuxième partie dans notre édition du jeudi prochain.