Les dernières statistiques de l‘emploi dans la wilaya montrent une courbe ascendante. A titre de référence en 2019, ils sont plus de 60 000 à avoir pointé à l’Awem (Agence de wilaya de l’emploi) et de ses différentes antennes à Béjaïa. Selon des sources de l’Anew, les offres d’emploi présentées par des employeurs au niveau des mêmes guichets, ne peuvent combler que les 2/5 de la demande globale, soit un peu plus de 20 200 offres. La plus grosse offre émane du secteur privé avec 17 895 et seulement 1630 pour le secteur public.
Par Nahida Lyna
Avec un taux de chômage en hausse, et qui ne semble pas fléchir, les jeunes de Bejaia se retrouvent face à une réalité amère, et ce, quel que soit le niveau d’instruction. L’insertion dans la vie professionnelle et, par conséquent, dans la vie sociale, reste un souci majeur d’autant plus que ni l’Etat ni les entreprises publiques ou privées ne sont aptes (ou n’ont pu) à les prendre en charge.
Un souci majeur, quand on sait que tous ces jeunes sont pour la plupart, les ainés de la famille et sur qui tout le monde compte. Comment concilier dans ce cas là, vie privée et vie familiale ? Quel peut être l’espoir qui est donné à ces jeunes, et quel est leur avenir ? Autant de questions qui taraudent toute la jeunesse de Bejaia, qui n’aspire qu’à une chose, une vie décente.
Si en ville, le système D peut fonctionner, dans les villages hauts perchés, la réalité est plus contraignante et ce sont alors tous les fléaux modernes qui guettent ces jeunes désœuvrés, tels qu’alcool, drogue etc.
Said, un jeune fraichement diplômé de l’université, est natif de Ait Felkai, une localité sise à 15 km du chef-lieu de la commune de Darguina à 50 KM de la wilaya (une région enclavée) et classée zone d’ombre, nous livre son désespoir : «Je suis sorti de l’université depuis deux ans. Et depuis rien. Toutes mes demandes d’emploi sont restées vaines».
«Dans mon village, les opportunités d’emploi sont absentes, et ce, en dépit des potentialités existantes, notamment, dans le domaine agricole.» nous dit-il en déplorant le manque d’accompagnement de la part des services agricoles et des collectivités locales.
Les jeunes de ces localités ont trop souffert des affres du terrorisme durant les années 90 et sont contraints d’immigrer vers les communes et wilayas limitrophes dans l’espoir de décrocher des postes d’emplois. La plupart des jeunes de ces villages situés dans les régions montagneuses ont pratiquement les mêmes problèmes, à l’instar d’Ait Smail, Aokas, Tichy et également dans la vallée de la Soummam (Sidi Aich, Seddouk …)
Le «trabendo» comme palliatif
Merouane, un jeune de 24 ans de la commune de Lakser, après son décrochage scolaire, prend les choses en main très tôt. A 17 ans, il s’achète quelques paquets de cigarettes, quelques boites d’allumettes, des sachets de cacahuètes et monte «une table» au village même ; il s’installe à la bifurcation de la route goudronnée où les jeunes aiment à s’adosser. Il avoue même être tout le temps l’objet de taquineries de ses pairs qui tentent de dévaloriser ce qu’il fait, mais, il ne se laisse pourtant pas intimider.
Quelques mois plus tard, il s’offre une table beaucoup plus fournie jusqu’à ce qu’il ramasse suffisamment d’argent qu’il met de côté. Un jour, une occasion s’est offerte à lui et il mit tous ses gains dans l’achat d’une cinquantaine de tricots qu’il a revendus au village avec un bénéfice de 20 dinars la pièce et c’est à partir de ce jour-là, qu’il commença à fréquenter le marché de Sidi Aich.
A propos de son activité, il dit : «Au départ, j’étais perplexe, je ne savais pas si ça allait marcher, d’autant plus que les gens du village ne cessaient de se moquer de moi au point où je sortais tôt la matinée et que je ne revenais que tard la nuit pour ne rencontrer personne au village. C’était dur au début, j’étais le seul trabendiste du village qui ais fait ça. Au marché, il fallait se battre pour garder cette place contre les autres et éviter de se faire voler ou arnaquer ou attraper par les autorités sinon on perd tout».
Il avoue sans fausse honte, que s’il n’a pas réussi socialement dans un emploi stable et reconnu, le marché informel l ‘a quand même aidé à s’en sortir.
Les catégories «qualifiées» durement touchées
Pour Anissa, une jeune cadre de Bejaia ville, les filles sont plus touchées par ce phénomène : «Le chômage touche plus les femmes et les catégories dites instruites. Même avec un diplôme universitaire, les femmes ne se voient proposées que des postes de vendeuses, caissières ou hôtesses d accueil», dit-elle visiblement énervée. «A quoi ça sert de se sacrifier à faire de hautes études, Pour n’être à la fin, que vendeuse?» dit elle dépitée, tout en précisant : «Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens. Mais quand même, user ses fonds de culottes sur les bancs de la fac, pour qu’ensuite ne servir qu’à ouvrir ou fermer une porte ! Ce n’est pas logique !» conclut-elle avec cette certitude d’une vie ratée.
Pourtant, si l’on se réfère aux chiffre de l’Anaw de Bejaia, rien qu’en 2019, la qualification des demandeurs d’emploi, est de 15 635 postulants cadres, voire cadres supérieurs ; l’autre catégorie, dite «personnel qualifié», est de 19 455, suivie par les techniciens supérieurs, 3584.
Les autres catégories classées moins «qualifiées», sont moins connues, car préférant, vu leur manque de spécialisation, aller grossir les rangs de l’informel et ne pas postuler pour de l’emploi au niveau des agences locales.
Aucune statistiques ni étude n’ont été menées pour avoir une idée plus juste du nombre de ces jeunes en déperdition morale et professionnelle, et encore moins, de ceux qui ont versé dans l’informel.
N. L.