Tout le monde s’accorde à dire que la réforme de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (CACI) est certes une nécessitée absolue, mais il aurait été souhaitable, au préalable, de lancer une large campagne de consultation en association avec les différents acteurs et experts pour l’élaboration d’un nouveau cadre réglementaire et organisationnel, visant la dynamisation de cette structure, indispensable pour la diversification de l’économie nationale.
Par Akrem R.
Le nouveau texte de loi, portant réorganisation de cet organe, publié dans le Journal Officiel n° 15, a suscité une vive réaction de la part des opérateurs économiques et de ses adhérents.
Ils estiment que la nouvelle réorganisation de la Caci, notamment au niveau local, va aggraver la situation de cette structure appelée pourtant à jouer les premiers rôles dans la promotion et développement économique du pays.
Partout dans le monde, les chambres de commerce et d’industrie sont le maillon fort et une force de proposition de l’économie d’un pays. Malheureusement, ce n’est pas le cas chez nous. Cette structure est presque invisible sur le terrain et ressemble à un corps sans âme.
Pire encore, elle est méconnue chez les commerçants et opérateurs économiques. En effet, sur les 2 140 287 commerçants inscrits au registre du commerce (CNRC), seulement 9 998 en sont adhérents, soit, l’équivalant de 0,47% ! Autrement dit, les chambres de commerce et d’industries locales ont «failli» dans leur mission, qui consiste en la représentation des commerçants et des opérateurs économiques.
Selon des chiffres que nous sommes parvenus à avoir, à titre d’exemple dans la wilaya de Tissimsilt, il n’y a que 4 adhérents sur les 6241commerçants inscrits, Tizi-Ouzou, 68 adhérents sur 88 880, Mila, 93 adhérents sur 45 148, Boumerdes 42 sur 40 824 adhérents, Bejaïa, 47 adhérents sur 74717, Tébessa, 7 adhérents sur 32554 commerçants…
Cette faible représentativité est d’ailleurs à l’origine de la promulgation d’un nouveau texte de loi visant sa redynamisation, à travers l’introduction d’un bon nombre de mesures et critères organisationnels. Un décret exécutif vient d’être publié dans le Journal Officiel (JO) n° 15. Il s’agit du décret exécutif n 22-83, signé par le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, en date du 26 février 2022, portant réorganisation de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie. Ce texte prévoit la transformation des chambres de commerce et d’industrie (CCI) existantes au niveau régional, en « annexes de wilaya relevant de la chambre algérienne de commerce et d’industrie, elles représentent cette dernière auprès des autorités publiques locales».
En clair, la gestion des CCI sera centralisée. Une décision qualifiée d’ « anormale ». Dans ce cadre, un ex-président d’une chambre de Commerce qui a préféré garder l’anonymat s’est interrogé sur le fait que les CCI qui étaient des sociétés autonomes à part entière à travers le pays, soient rattachées aux services de la wilaya ? Et Comment vont-elles faire vis-à-vis des services des impôts ? « Moi je dirai que ce nouveau texte de loi est mauvais. D’ailleurs, j’ai même signifié mon rejet à cette nouvelle réorganisation qui va encore aggraver la situation de cet organe», indique-t-il. La révision de cette nouvelle loi est plus qu’impérative, estime, pour sa part, le président de la CACI, Tayeb Chebab, en appelant à l’association des opérateurs économiques dans la prise de décision. Sans cela, la CACI sombrera dans la léthargie.
Ce que prévoit le nouveau texte de loi
La CACI bénéficie du statut d’ «établissement public à caractère industriel et commercial dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière » et « placée sous la tutelle du ministre chargé du Commerce ». La chambre est, au plan national, un organe qui permet aux opérateurs économiques « de contribuer à la formalisation d’une stratégie nationale visant à diversifier et à valoriser le produit national et à renforcer l’équilibre et le développement du tissu économique ».
Concernant ses missions, elle consiste, entre autres, en l’élaboration d’une carte nationale sur la localisation des opérateurs économiques selon la nature de leurs activités, et de contribuer à l’identification et à la désignation des branches des industries productives et d’une cartographie du produit national, précise le texte. La chambre est chargée, également, de proposer toute mesure tendant à promouvoir le commerce extérieur et l’accès aux marchés internationaux, ou encore, de renforcer la promotion et le développement des échanges commerciaux avec les pays étrangers, en relation avec les institutions concernées, est-il indiqué sur le JO.
La CACI peut, également, participer à la création des chambres de commerce mixtes avec ses homologues étrangères et créer également des antennes à l’étranger, et ce, après la délibération du conseil d’administration de la chambre et l’accord préalable des autorités compétentes pour encadrer et attirer les compétences algériennes à l’étranger, explique le texte.
La chambre dispose d’une institution «de conciliation et d’arbitrage» pour le règlement des litiges commerciaux, nationaux et internationaux, qui «est saisie par les opérateurs économiques », précise le décret.
Pour ce qui est de son organisation et de son fonctionnement, la chambre est dirigée par un directeur général, « nommé par décret pris sur proposition du ministre chargé du commerce ». Il est mis fin à ses fonctions dans les mêmes formes.
La CACI est dotée de trois organes principaux : l’Assemblée générale (AG), les commissions techniques, ainsi que le Conseil d’administration. L’assemblée générale de la chambre est composée d’un représentant du ministre chargé du commerce, du président de la chambre, des présidents des chambres de wilaya, des membres associés représentant au niveau national, et les administrations publiques, les organismes publics et les organisations patronales, dont les missions intéressent l’activité de la chambre.
Quant aux chambres de wilaya, elles sont gérées par un secrétaire de wilaya, nommé par le conseil d’administration, sur proposition du directeur général, après approbation du ministre chargé du commerce. Il est mis fin à ses fonctions dans les mêmes formes. Le décret explique qu’est affiliée à la chambre toute personne physique ou morale inscrite au registre du commerce après acquittement des frais d’adhésion. Il est délivré au commerçant concerné une carte d’adhésion ». Les adhérents de chaque catégorie professionnelle élisent leur représentant parmi leurs catégories.
Les représentants élisent, à leur tour, le président de la chambre de wilaya et deux vice-présidents pour un seul mandat de cinq ans, non renouvelable. Le président et les vice-présidents des chambres de wilaya doivent justifier d’une adhésion de cinq ans, être détenteurs d’un diplôme universitaire ou d’un titre équivalent, ne pas être inscrits sur le fichier national d’auteurs d’infractions frauduleuse, jouir de tous les droits civils et civiques, ne pas être candidats dans une autre chambre de wilaya.
A.R
Tayeb Chebab, président de la CACI à Eco Times : « La CACI est réduite à une annexe administrative»
Eco Times : Un nouveau texte de loi vient d’être publié au JO n° 15, visant une nouvelle réorganisation de la Chambre de commerce et d’industrie (CACI). Selon vous, ce nouveau règlement parviendra-t-il à la dynamisation de cette structure ?
Chebab Tayeb : Le nouveau texte de loi contient plusieurs points négatifs et des manquements et ne pourra pas, non plus, corriger les déséquilibres existants. Avec cette nouvelle réglementation, la CACI sera réduite à une annexe administrative pour le ministère du Commerce et de la Promotion des exportations. Elle ne jouera pas le rôle escompté. En clair, la Caci aura un rôle administratif et ne pourra pas représenter l’opérateur économique.
En fait, ce texte de loi est en contradiction avec les orientations du Président Teboune qui avait annoncé que l’année 2022 sera celle de la relance économique. Comme vous le savez tous, partout dans le monde, les économies sont basées sur les chambres du commerces et d’industrie. Nous aurions souhaité que la nouvelle réorganisation donne plus d’importance et de prérogatives à l’opérateur économique. Hélas, ça n’a pas été le cas. Nous souhaitons que ce texte de loi soit révisé.
S’agissant des chambres de commerce et d’industrie de wilayas (CCIW). Elles se sont vues passer d’un statut de société indépendante à être rattachées aux services de la wilaya. Quel sera l’impact de cette nouvelle mesure sur le fonctionnement des CCI ?
C’est le premier point parmi ceux qui sont en déphasage avec la nouvelle vision du gouvernement actuel, à savoir, instaurer un nouveau mode de gestion basé sur la décentralisation. Comment, aujourd’hui, veut-on que des wilayas frontalières dont, Tindouf, Adrar, Tamanarsset et Oued Souf, soient des fenêtres ou portes de l’Algérie vers le continent africain alors que ces chambres de wilayas vont être rattachées à l’administration centrale et être gérées depuis la capitale ?! C’est inconcevable. A cela s’ajoutent les conditions obscures sur la désignation du président et vice-président. D’ailleurs, je les considère comme de mesures étranges. Nous sommes dans l’attente d’avis des différentes chambres de wilayas sur ce nouveau texte de loi, dont je suis persuadé qu’ils seront les mêmes que les miens, pour interpeller officiellement le gouvernement sur la question.
Par ailleurs, la nouvelle réorganisation de la CACI accorde, seulement, un seul mandat. C’est anticonstitutionnel ! Nous sommes pour au moins deux mandats de trois ans et pas obligatoirement de 4 ou 5 ans.
L’autre mesure étrange, c’est l’exigence d’un diplôme universitaire pour être président de la chambre de commerce. Ça n’a aucun rapport avec la représentativité. A l’échelle mondiale cette mesure n’a pas cours. Au contraire, notre souhait est de faire adhérer tous les commerçants et les opérateurs économiques au sein de la chambre, mais en imposant des conditions comme celles-ci, les opérateurs économiques ne seront plus intéressés par y adhérer. Notre souhait c’est de mettre en place un cadre juridique incitatif et non pas contraignant. Nous plaidons pour une loi qui incite et encourage les opérateurs à intégrer la CACI, pour être plus représentative, que ce soit en interne ou à l’international.
Face à cette situation, quelles sont vos recommandations pour la correction de ces déséquilibres ?
Nous demandons, tout simplement, la révision de ce texte. S’il y’ avait de la concertation et de la consultation dans l’élaboration des textes de loi on ne serait pas dans cette situation, et on ne connaitrait pas ce genre d’erreur. Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a, dans ces différentes interventions, insisté sur l’implication et l’association de l’opérateur économique dans l’élaboration des textes de lois régissant le secteur économique, notamment. C’est à travers la consultation qu’on pourra élaborer une loi sur des bases solides, en prenant en considération les problématiques du terrain. Moi, je trouve qu’il est anormal qu’aujourd’hui on fasse une loi pour l’amender le jour d’après. C’est mauvais pour la réputation des institutions de l’Etat et pour l’image du pays d’une manière générale, d’autant plus que nous parlons de l’avenir d’un Etat. À cet effet, il faut donner de l’importance aux textes. Nous avons hâte de demander de le revoir !
Des efforts sont en train de se faire par les pouvoirs publics pour la promotion des exportations hors hydrocarbures, dont des passages frontalières et de nouvelles lignes maritimes qui seront ouvertes. Ceci permettra-il de booster nos exportations et d’atteindre le chiffre fixé par le Président Tebboune, à savoir les 7 milliards de dollars en 2022 ?
D’abord, je vous annonce que le passage frontalier sera bientôt opérationnel. Il ne reste que les dernières retouches pour son inauguration et la réalisation de l’assiette est presque finie. Il ne reste que le raccordement à l’Internet.
Cette région sera un atout de taille pour nos exportations, surtout grâce au tronçon routier Tindouf – Zouerate (Mauritanie) et l’ouverture de la ligne maritime Alger-Nouakchott. C’est une bonne décision et qui sera bénéfique pour l’économie nationale et l’exportation en particulier.
Mais, avant de parler de l’exportation, on aimerait bien que le nouveau Code de l’investissement soit promulgué et surtout en mesure d’attirer des investisseurs nationaux et étrangers. C’est insensé de parler de l’exportation avant de régler le problème de l’investissement. Nous n’avons rien préparé. Nous sommes en train de perdre du temps en parlant des exportations avant de mettre en place un cadre législatif transparent, souple et attractif pour l’investissement. L’exportation c’est tout un projet et son aval c’est l’industrie et la production d’une manière générale.
Après avoir exporté 5 milliards de dollars de produits hors hydrocarbures en 2021, le président de la République a tracé un autre objectif pour 2022, à savoir, atteindre la valeur de 7 milliards de dollars. Selon vous, cet objectif est-il réalisable ?
Nous, au sein de la Chambre algérienne de commerce et de l’Industrie et en tant qu’opérateur économique, nous estimons que si la Caci avait un rôle important, ce chiffre sera doublé ou triplé. S’il y aura un Code d’investissement favorable qui donnera à l’opérateur économique l’opportunité d’avoir son mot sur les questions économiques, on peut facilement atteindre les 20 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures dans deux à 3 années prochaines. On doit d’abord investir et produire en masse pour aller à la conquête des marchés à l’international.
Dans la conjoncture actuelle (la guerre en Ukraine), l’exportation de 7 milliards de dollars sera faisable mais difficile, puisque il y a une loi qui interdit l’exportation des produits importés. Selon les chiffres de l’année précédente, 400 millions de dollars représentent l’exportation du sucre. Ce qui est maintenant c’est interdit. La criminalisation de l’exportation des produits importés va impacter négativement nos exportations hors hydrocarbures. Il faut Le gouvernement parle de 7 milliards à 8 milliards, or, dans le cas où l’investissement deviendrait attractif et à condition qu’il y ait de la concertation avec les opérateurs économique et la possibilité d’écouter les différents acteurs économiques et organismes, je pense que l’Algérie pourra exporter plusieurs produits et engranger jusqu’à 30 milliards après 2 à 3 ans d’investissements.
Entretien réalisé par Akrem R.
Bonjour,
il ya souvent une petit problème avec la publicité qui masque des paragraphes de l’article? Pourriez-vous y remedier ? . Merci