Le Cluster Energie Solaire (CES) est né de la volonté des industriels de la filière de se regrouper, de rechercher des synergies entre ses membres et de constituer une force de propositions vis-à-vis des pouvoirs publics. Sa création remonte au mois de mai 2017
Si les missions du cluster sont d’offrir de la visibilité aux entreprises qui y ont adhéré, son Directeur Général, a affirmé que son groupe disposait d’une feuille de route pour accompagner le programme du gouvernement relatif au développement des énergies renouvelables.
Pourtant aller vers l’énergie solaire, n’est pas chose aisée, et le premier responsable du Cluster, M. Boukhalfa Yaïci, a de tout temps appelé à une meilleure visibilité sur le programme de développement des énergies renouvelables et à l’élaboration d’une stratégie de transition énergétique avec le concours des acteurs du marché national des énergies renouvelables, allant jusqu’à signifier que les directives du gouvernement ne sont pas suivies d’effet.
M. Boukhalfa appelle aussi, à ne pas brader le pétrole et le gaz: «Les richesses pétrolières et gazières de l’Algérie doivent être conservées dans le sous-sol pour les générations futures. On ne peut le faire qu’avec l’accord de l’ensemble de la société. C’est un choix de société.»
Sur la difficulté de mettre en œuvre cette mesure, l’Algérie ayant besoin des recettes tirées des exportations de pétrole et de gaz pour financer ses dépenses prioritaires, le spécialiste en énergies renouvelables explique que les Algériens doivent, dans ce scénario, accepter de se serrer la ceinture. «Tôt ou tard, la question de l’ajustement des prix des produits énergétiques sera discuté».
Il estimera, enfin, que la réussite de la transition énergétique ne peut avoir lieu que par une politique affirmée de cette option et surtout, un environnement favorable aux investissements, un risque-pays faible, une transparence dans la gestion des projets, des institutions crédibles, qui permettent d’avoir des crédits à des taux très compétitifs à l’échelle internationale. Ainsi, Boukhalfa Yaici, dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, dresse un tableau exhaustif et sans ambages sur le développement de l’énergie solaire en Algérie. Dans ses propos, il nous parle des difficultés rencontrées, les tenants et aboutissants d’une politique sur le développement des Enr dans notre pays, qui pour le moment n’a pas donné de résultats, mais aussi d’espoir et des recommandations.
Eco Times: Si le nombre d’adhérents au cluster des Energies Solaires (CES), est en nette progression, est-ce pour autant que cela a fait avancer ce projet en Algérie ? Et en quoi le CES peut faire progresser la situation ?
Boukhalfa Yaici : A titre de rappel, le rôle du Cluster Energie Solaire est de construire les synergies entre ses membres issus de deux secteurs (économique et celui du savoir et de la connaissance), qui ne travaillent pas beaucoup ensemble alors qu’ils sont complémentaires et même ont l’obligation de le faire. C’est ce que nous essayons de construire. Vis-à-vis des pouvoirs publics, le Cluster Energie Solaire, avec l’expertise de ses membres, est une force de propositions et de ce fait, émet régulièrement des suggestions et des recommandations qui concernent le domaine de la transition énergétique. Grâce au travail du Cluster Energie Solaire, les pouvoirs publics ont été sensibilisés à l’effet de soutenir la production locale en donnant la priorité aux produits et services qui sont fabriqués, assemblés, conçus et exécutés par des entreprises de droit algérien. En réponse, les appels d’offres sont exclusivement nationaux et les proposants sont des sociétés de droit algérien. C’est une bonne chose pour permettre l’émergence d’une industrie dédiée aux énergies renouvelables au service du pays. C’est une des actions prônées par le Cluster Energie Solaire.
Les potentialités solaires en Algérie sont indéniables, et pourtant, aucun projet pour ce type d’énergie n’a abouti, bien que les pouvoirs publics affichent une grande sérénité et assurance en la matière. En quoi, ceux-ci ont-ils failli ?
La mise en œuvre des décisions politiques rencontre beaucoup de difficultés car les barrières mentionnées dans différents rapports rendus publics, sont encore là. Les mentalités ne suivent pas aussi, car il s’agit de faire évoluer le secteur de l’énergie d’un secteur exclusivement public à un secteur où la participation des acteurs publics et privés devrait être complémentaire. Or, l’agilité du secteur privé est en mesure de fournir des produits et des services de qualité à temps.
De plus, la réflexion d’associer les énergies renouvelables dans le système énergétique national n’a pas beaucoup évolué, considérant que le déploiement des EnRs devrait se faire à l’identique de ce qui se fait avec les centrales de production classiques consommant du gaz naturel et du gasoil, c’est-à-dire, installer des centrales de plusieurs dizaines, voire, des centaines de mégawatts, alors qu’il faut aussi et surtout, déployer des centaines de milliers de petits systèmes de quelques dizaines de kilowatts permettant de décentraliser la production de l’énergie électrique et d’être au plus près de la consommation. Ce n’est pas le même modèle de déploiement, car il implique la création de milliers de producteurs indépendants et de savoir gérer les interactions entre le distributeur d’énergie et les producteurs, des contrats à préparer, des contrôles à ériger pour les raccordements, etc. Cela signifie que le modèle actuellement en place avec quelques acteurs, certes importants, doit aussi évoluer pour accepter des milliers d’acteurs nécessitant d’avoir un système de production et de distribution d’énergie efficient, agile et flexible.
Vous avez affirmé que les décisions politiques ne sont pas suivies d’effet. Est-ce toujours le cas ?
En deux années (2020/2021), nous avons assisté à un changement dans la gestion de la transition énergétique qui a été dévolue à un nouveau ministère, c’est le seul changement notable. A part ce changement, peu d’actions ont commencé à émerger et à être exécutées. Comme ce ministère est transversal, il doit composer avec d’autres ministères et on peut dire que la notion d’inter-sectorialité dont on nous parle régulièrement, est battue en brèche par des comportements contraires. De plus, les moyens financiers qui auraient dû être là pour soutenir la transition énergétique, n’ont pas été mobilisés en temps voulu dans le fonds dédié aux énergies renouvelables qui était géré par ministère de l’énergie durant dix ans, sans résultats.
Pour dépasser cette situation, nous appelons et nous appellerons encore le président de la République à intervenir pour lever les obstacles au lancement de la transition énergétique dans notre pays.
Nous souhaitons que des actions maturées puissent être mises en œuvre sans retard. A titre d’exemple, depuis une année, nous appelons le secteur de l’agriculture à s’investir dans les énergies renouvelables au vu du caractère stratégique qu’il revêt. Nous avons présenté des solutions qui permettent au pays d’économiser des milliers de litres de gasoil qui pourront être exportés.
Les recommandations des forces vives algériennes du secteur sont ignorées et la production de panneaux solaires en pâtit. Pourquoi la production de ces panneaux algériens ne décolle pas? Que faut-il corriger?
Comme déjà mentionné, l’action du gouvernement n‘est pas observée sur le terrain. Il y a un gouffre entre ce qui est annoncé et ce qui est exécuté et cela se répercute sur l’industrie. On peut citer le cas du dispositif CKD/SKD qui avait été arrêté au début de l’année 2020, puis suivi par la promulgation d’un décret exécutif destiné à le remplacer en novembre 2020. Cela fait déjà un an et cela ne semble pas être sur le point d’être revu car fait sans concertation avec les acteurs du secteur. Nous avons saisi le ministre de l’Industrie à deux reprises cette année avec des propositions mais pas de réponse. Entre temps, les panneaux solaires venant des pays arabes et des pays asiatiques prennent la place des panneaux solaires qui auraient dû être produits et commercialisés par les producteurs nationaux. Nous avons l’impression que les responsables politiques préfèrent favoriser l’importation en laissant la création de la valeur ajoutée et des postes d’emploi dans ces pays et non en Algérie.
Il faut revoir rapidement le décret exécutif de novembre 2020, le corriger et le mettre en place, car le risque de perdre d’autres producteurs nationaux est réel et les investissements consentis seront perdus. La pandémie de Covid-19 et l’absence d’un marché ont été fatales à un des plus anciens industriels du solaire en Algérie.
Des actions ciblées ont été lancées par le Cluster et la diaspora pour être proches des couts asiatiques avec une intégration locale des entrants vers les 36%. C’est encourageant mais encore insuffisant. Si la volonté politique y est pour beaucoup, qu‘en est-il alors des investissements. Pourquoi trainent-ils ?
Tant que le gouvernement ne donne pas un plan de déploiement détaillé sur 3 à 5 années, il est difficile d’attirer de nouveaux investisseurs dans ce domaine, car d’autres secteurs plus lucratifs et moins risqués sont recherchés et investis. Pour changer cette donne, des incitations plus importantes doivent être octroyées aux investisseurs, les risques encourus durant l’exécution d’un contrat de vente d’électricité sur 20 à 25 ans doivent être adressés par celui en mesure de les assumer surtout en ce qui concerne l’acheteur, certaines clauses rédhibitoires du contrat doivent être changées. En quelques mots, il faut rassurer l’investisseur pour qu’il mette de l’argent et du savoir-faire dans les projets que veut développer l’Etat.
Il faut intégrer la politique d’utilisation solaire, dans les Programmes communaux, mais la confiance, n’est pas encore là. Faut-il alors une obligation ou plus de communication ?
Il faut, surtout, assurer la formation des acteurs chargés de penser, planifier, financer, exécuter et assurer le suivi de cette politique. Il faut bannir l’urgence dans ce domaine et travailler avec les différentes parties prenantes et assurer la cohérence des interventions. En ce qui concerne les communes, nous avons vu naitre un programme pour les écoles sans concertation avec des choix techniques discutables qui se sont avérés inadaptés aux écoles plombés par des réalisations de piètre qualité. Pourquoi s’est-on-retrouvé dans cette situation? Parce que le maitre d’ouvrage, c’est-à-dire l’APC, n’a pas les compétences pour faire les études, appliquer un cahier des charges, veiller aux normes et à la qualité des prestations. Nous avons demandé, à plusieurs reprises, de mettre dans la boucle des bureaux d’études pour l’élaboration des études préliminaires, la confection du cahier des charges, le suivi de la réalisation jusqu’à la réception du système. Cela a été exécuté par quelques APC, mais le gros d’entre elles, continue à travailler avec des méthodes dépassées qui ont laissé libre court à des imposteurs et à des opportunistes pour pénétrer ce marché.
Nos experts s’expatrient à l’étranger. Les acteurs les plus fragiles succombent. La situation est-elle aussi tragique et fragile ?
La situation est préoccupante car le plan d’action du gouvernement adopté en septembre 2021, ayant pour objectif de travailler à économiser 6 MTEP soit 10% de la consommation énergétique nationale actuelle et de déployer 15.000 MW de capacité à base d’énergies renouvelables d’ici 2035, a besoin d’être mis en œuvre de manière vigoureuse et soutenue pour agir sur la demande d’énergie, économiser du gaz naturel pour l’exporter et lui substituer les énergies renouvelables au niveau local. La mise en place d’un ministère dédié à la Transition énergétique et des énergies renouvelables qui en est l’exécutant, a été une décision que nous avons saluée.
La transition énergétique est une œuvre de longue haleine et on ne peut voir les premiers résultats probants que dans quelques années. Néanmoins, les actions phares annoncées doivent être mises en œuvre, comme celle de lancer le programme de 1000 MW afin de créer les conditions pour le rétablissement de la confiance vis-à-vis des institutions de l’Etat, de donner de la visibilité aux industriels et aux investisseurs pour faciliter aussi la création d’emplois, d’inciter à l’innovation et à investir dans la recherche et le développement. Cela aura un effet positif pour retenir les talents locaux et inciter les membres de la diaspora à venir participer à ce challenge qui doit nous permettre de faire une transition énergétique équilibrée au profit de notre pays.
Quelles seraient les conditions minimales pour que notre pays puisse rejoindre le concert des grandes nations en termes d’énergies solaires, et comment passer d’un échec chronique au succès «possible»?
Il faut commencer par mettre en œuvre ce qui a été décidé et arrêté dans le plan d’action du gouvernement, en commençant par lancer le programme de 1000 MW. Il faut veiller à la transparence du processus, intégrer le contenu local dans les achats de produits et services, former les équipes destinées à gérer le programme, celles destinées à exécuter le programme, mettre en place un financement de type «project finance» avec des conditions conformes à celles qui existent à l’échelle internationale. Il faut aussi solliciter l’assistance technique pour réussir ce premier round. Il faut accepter de se remettre en cause et corriger sa copie en fonction des résultats de ce premier round. Et lancer les autres tranches du programme à des intervalles réguliers. C’est la seule recette en mesure de donner des satisfactions et de rendre possible le déploiement d’un programme des énergies renouvelables dans notre pays.
Entretien réalisée par Réda Hadi