Engagée dans une profonde transformation, la Banque d’Algérie affiche une stratégie ambitieuse alliant stabilité monétaire, digitalisation du système bancaire et adaptation aux standards internationaux. Sous la conduite de son Gouverneur, Salah Eddine Taleb, l’institution monétaire entend consolider la résilience de l’économie nationale, tout en préparant le passage vers une économie sans cash à l’horizon 2028.
Par Akrem R.
Dans un entretien accordé à l’APS, en marge des Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, tenues à Washington, le Gouverneur de la BA a d’abord rassuré sur la situation de l’économie nationale, qui fait preuve d’une résilience remarquable face aux chocs mondiaux, tout en amorçant une mutation profonde de son système bancaire.
En effet, cette solidité repose notamment sur la croissance soutenue hors hydrocarbures et sur la politique prônée par la Banque centrale pour renforcer la capacité des banques à financer l’économie.
À cela s’ajoutent un niveau confortable des réserves de change, une inflation maîtrisée et un endettement extérieur quasi nul. Ces indicateurs, souligne-t-il, traduisent la bonne santé macroéconomique du pays et l’efficacité des politiques monétaires adoptées ces dernières années, dont la prudence et la réactivité sont les maîtres mots.
M. Taleb a rappelé les mesures prises par la Banque d’Algérie pour soutenir le financement de l’économie en période de crise, notamment lors de la pandémie de Covid-19 et des turbulences économiques mondiales.
Dès 2020, le taux directeur avait été abaissé à 3 %, avant d’être réduit à 2,75 % en août 2025, afin de stimuler le crédit bancaire et de renforcer les capacités de financement des entreprises.
Cette décision, justifie le Gouverneur, s’appuie sur la tendance baissière de l’inflation, qui s’est établie à 2,66 % en août 2025, un niveau inférieur à l’objectif fixé par la politique monétaire.
«Ce recul témoigne du succès des mesures d’assainissement et de régulation engagées, notamment face à une inflation en grande partie importée», a-t-il précisé, rappelant que durant la période post-pandémique, la Banque d’Algérie a œuvré pour atténuer le taux d’inflation, dont 70 % était importé (inflation par les coûts).
L’intervenant a fait savoir que la Banque d’Algérie a également mené une politique d’appréciation de la monnaie nationale (le dinar) afin d’atténuer les effets de l’inflation importée, dans un contexte où la balance des paiements est redevenue excédentaire. Cette orientation s’inscrit dans une stratégie plus large de stabilisation monétaire et de consolidation des équilibres extérieurs.
Vers une économie sans cash à l’horizon 2028
Au-delà de la stabilité monétaire, la Banque d’Algérie s’attelle à moderniser et à digitaliser en profondeur le système bancaire national. D’ailleurs, des réformes profondes sont engagées par la Banque centrale.
À ce propos, Salah Eddine Taleb a révélé que la stratégie élaborée par le Comité national des paiements (CNP), installé en 2024, vise à atteindre des transactions totalement dématérialisées d’ici 2028.
«Parmi les engagements au titre de la nouvelle loi monétaire et bancaire, figure l’engagement résolu d’accélérer la modernisation, la numérisation et la digitalisation du système bancaire national, notamment par la consécration d’un Comité national des paiements qui a tracé la stratégie nationale permettant d’arriver à des transactions sans argent liquide à l’horizon 2028», a-t-il précisé.
Présidé par le Gouverneur de la Banque d’Algérie, le CNP regroupe des représentants de la Banque centrale, d’Algérie Poste, des services de sécurité, de la Gendarmerie nationale, de la DGSN, ainsi que de l’Association des banques et établissements financiers (ABEF) et de deux experts en finances.
Cette instance a pour mission de développer les moyens de paiement électroniques et de suivre l’évolution des technologies financières : chèques, virements, cartes, transferts numériques et nouveaux services d’e-paiement.
Elle œuvre également à l’observation de l’usage des moyens de paiement scripturaux et à l’intégration de nouveaux acteurs dans le système national.
Une nouvelle ère pour le système bancaire algérien
La loi monétaire et bancaire de 2023 a constitué, selon M. Taleb, «le socle des réformes économiques et monétaires» engagées par les pouvoirs publics. Elle adapte le cadre juridique et réglementaire aux mutations économiques et technologiques en cours et ouvre la voie à l’introduction de nouveaux acteurs, notamment les prestataires de services de paiement (PSP), les banques digitales et islamiques, les banques d’affaires et, à terme, la Monnaie numérique de Banque centrale (MNBC).
Plusieurs textes d’application ont déjà été promulgués, encadrant les conditions d’agrément, d’exercice et de contrôle de ces nouveaux opérateurs. Le Gouverneur a souligné que cet arsenal législatif et technologique vise à faire émerger une banque moderne, plus proche des citoyens, capable d’accompagner les transformations économiques et les besoins des entreprises.
En clair, la vision stratégique de la Banque d’Algérie a pour objectif de garantir la stabilité financière, de favoriser l’innovation technologique et d’élargir l’inclusion bancaire. Grâce à un secteur bancaire résilient, à un cadre réglementaire modernisé et à une orientation claire vers la numérisation, l’Algérie entend passer progressivement à une économie moins dépendante du cash, plus transparente et plus connectée.
Une transformation qui, selon le Gouverneur, «positionnera durablement le système bancaire algérien parmi les plus modernes de la région».
Des progrès salués dans la lutte contre le blanchiment d’argent
Par ailleurs, M. Taleb a fait part, dans cet entretien, des progrès accomplis par l’Algérie dans la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), organisme intergouvernemental chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT).
À ce sujet, il a assuré que l’Algérie s’est attelée à mettre en œuvre le plan d’action établi par cet organisme en octobre 2024, en soulignant que le Comité de coordination nationale chargé de la levée des réserves du GAFI, institué auprès de la Banque d’Algérie, «travaille d’arrache-pied à mettre à niveau le dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT) en opérant une profonde refonte du cadre de conformité, légal et réglementaire, ainsi que des procédures opérationnelles et organisationnelles pour sa mise en œuvre».
Ces efforts ont été salués par le Groupe d’examen de la coopération internationale (ICRG), organe du GAFI, qui a reconnu les avancées enregistrées par l’Algérie, laissant entrevoir une sortie prochaine du pays de la liste de surveillance renforcée.
Pour M. Taleb, cette reconnaissance «reflète la volonté ferme des autorités algériennes de se conformer aux standards internationaux et de consolider la crédibilité du système financier national».
A. R.