Pourquoi des jeunes et des familles entières sont prêts à prendre des risques de plus en plus importants pour quitter l’Algérie ? Et pourquoi supportent-ils de vivre sans papiers en Europe, parfois pendant des années ? A Alger, comme partout en Algérie, l‘envie de fuir est puissante et une phrase revient sans cesse comme un leitmotiv lancinant qui ne vous quitte pas : «C‘était mieux avant». La réalité de ces jeunes, qui paraissent ne manquer de rien et qui arpentent les rues d‘Alger, ne semble pas être résolue par les différentes politiques des différents gouvernements. Mais pourquoi et comment une grande partie de la population ne pense qu’à partir, même si une partie seulement passe à l’acte ? Qu‘est-ce qui pousse tous ces jeunes à penser que c’était mieux avant, et mieux ailleurs?
Par Réda Hadi
Dans le tramway, un jeune, la vingtaine d’années, ne cessait de répéter à une dame assise près de lui : «Khalti, votre époque était 1000 fois mieux que la nôtre. Vous avez vécu une belle vie, rien ne vous manquait. Vous pouviez sortir, vous amuser, le travail ne manquait pas. Chacun pouvait faire ce qu’il voulait, c’était la liberté. Les cinémas étaient ouverts, vous pouviez sortir à l’étranger sans problème. Nous, nous n’avons rien à part les murs. Pas de travail, pas de loisirs. Une seule solution El harga». La dame ne sachant quoi répondre à cette détresse, n’a pu que lui souhaiter des jours meilleurs.
C’était mieux avant : les jeunes d’Alger ne rêvent que d‘une époque révolue même si ceux qui l‘ont vécue ont toujours décriée.
Rahim un jeune marié qui habite la cité Cosider à Bordj El Bahri, n’y va pas de main morte et souligne qu’ «avant, 5 litres d ‘huile coûtaient 25DA. Avec 200 DA on achetait 2 poulets. Les transports ne coutaient que si peu. Maintenant, avec 50000 DA, on ne peut que survivre. Je suis marié, avec un seul enfant, et ma paie ne dure que 15 jours en dépensant le moins possible. Je pense réellement à la «Harga».
Le sentiment de chercher ailleurs est unanime et parfois partagé par des parents qui ne veulent que le meilleur pour leurs enfants.
«Moi je vais vous le dire », m’a dit la mère de Djallal , un jeune Algérois de Kouba, titulaire d’un diplôme de plombier sanitaire, mais vendeur de rue de cigarettes, qui rêvait de rejoindre son frère aîné et des amis de son quartier partis à Londres.
«À son âge, il n’a aucun sou en poche. Il veut prendre un logement, commencer sa vie. Il a peur de l’avenir, alors il veut partir. Ici, on n’arrive à rien».
Un sentiment partagé par une grande partie de la jeunesse.
La pandémie du Coronavirus a davantage aggravé les choses, une grave crise sociale, malgré des aides promises par les pouvoirs publics, mais qui n‘ont pas été de grand effet.
Une partie des jeunes qui ont grandi dans cette période de grande insécurité, avec une défiance vis-à-vis de tout ce qui a un rapport de près ou de loin avec l’État, ne se voyaient pas d’avenir en dehors des émeutes, de la rue et des trafics. Parfois aidés ou poussés par leurs proches parents, encouragés par des amis déjà partis, ils migrent pour se construire un avenir, avec tous les risques qui entourent la migration irrégulière.
Aziz est un jeune Algérois de la Casbah. Son père est gendarme à la retraite, un de ses frères aînés est infirmier et l’autre travaille dans un consulat, mais lui, désœuvré, se sentait «coincé dans un lieu clos sans fenêtre»…
Par des connaissances et amis interposés, il a pris contact avec un passeur, a payé près de 800 000 DA, avec l‘assurance d‘arriver à bon port. Maintenant c‘est un sans papier en France, mais « heureux de l’être», assure sa famille.
Des jeunes sont partis à la fois pour faire l’expérience de l’ailleurs, mais aussi dans l’espoir de se constituer un petit capital qu’ils pourront réinvestir au pays, comme me l’indique, Hichem de Bab Ezouar qui, après des études de sciences économiques à l’université, et resté en Italie après un séjour touristique.
Risque mortel
Le harrag est une personne qui dépasse une limite, qui fraude, qui outrepasse une norme sociale et parfois légale. Ce peut donc être aussi bien celui qui « grille » un visa en séjournant au-delà des délais autorisés, que celui qui passe par la mer sans visa. De nos jours, les candidats à l’émigration ont recours aux services des professionnels du passage, ou s’auto-organisent en achetant des Zodiacs, des moteurs, des GPS pour des départs collectifs. La complexité de l’organisation et le coût financier font dire que ce n’est pas à la portée des plus démunis.
La société algérienne constate avec impuissance le phénomène. Les familles, bien qu’admettant ou approuvant l’exil de leurs enfants, n’encouragent pas cette tentative au risque mortel et tentent de les dissuader d’opter pour cette voie.
Pourtant, ce sentiment d ‘exil et de fuite reste fort et puissant chez les jeunes qui ironisent en disant : «Je préfère être mangé par des poissons que par des vers de terre». Laissant entendre, par-là, que tout sauf rester, et comme pour insinuer qu’une mort rapide lors d’une quête de vie meilleure est plus vivable et confère plus d’honneurs qu’une vie entière rongée par l’effet du temps.
Le plus dramatique dans ce désespoir, et que, pour ces jeunes, cela devient un devoir de fuir, un honneur. Il faut convenir surtout, que cette fuite est le résultat d’une longue préparation et de maturation de projet.
R. H.