La flambée des prix des produits agricoles frais a fortement contribué à la hausse du taux d’inflation qui a atteint le pic de 8,8% en 2021. C’est le constat auquel ont abouti les experts de la Banque mondiale après avoir passé à la loupe les différents indicateurs de l’économie nationale.
Par Mohamed Naïli
«En Algérie, la poussée inflationniste a été principalement tirée par les produits agricoles et alimentaires. En 2019 et 2020, l’inflation des produits manufacturés a contribué à hauteur de 1,9% à l’IPC (indice des prix à la consommation, ndlr), une contribution qui a grimpé à 2,6% en 2021», relèvent-ils tout en précisant que «l’inflation agricole et alimentaire a vu sa contribution (à l’inflation, ndlr) passer de 0,4% en 2019-2020 à 3,6% en 2021», et ce, au moment où la croissance du PIB agricole, quant à elle, a diminué de 1,3% durant la même période comparativement à l’année d’avant.
Une telle équation fait donc remonter à la surface la question des prix des produits agricoles, excepté les produits dont le marché national demeure encore étroitement lié aux importations comme les céréales et produits laitiers. En d’autres termes, pourquoi des produits, pourtant locaux, comme le maraichage ou les viandes connaissent-ils des hausses de prix à tel point qu’ils poussent vers le haut le taux d’inflation dans des proportions non des moindres?
Si la simple évocation d’augmentation des prix des produits agricoles fait penser souvent d’une manière systématique à des hausses des cours des matières premières et intrants sur le marché international, il est temps de se pencher sur la réalité des coûts de production au niveau des exploitations au niveau local.
Mis à part les produits de base, importés dans leur majorité et dont les fluctuations des prix sur le marché international sont connues de tous, comme les semences, les produits de traitement phytosanitaire ou les intrants pour la fabrication d’aliments de bétail et de volaille, dans le cas des filières d’élevage, il y a une multitude d’ingrédients et de facteurs de production, intervenant en amont ou en aval des cultures, dont les coûts ont considérablement augmenté et que l’agriculteur fait répercuter sur le prix jusqu’au consommateur.
Des coûts de revient fortement élevés
Les coûts liés à la logistique sont à cet égard une charge qui pèse de plus en plus lourd sur le budget des agriculteurs, selon leurs témoignages. A titre indicatif, avec une agriculture qui s’oriente de plus en plus vers le sud, les coûts de transport ne font qu’aggraver davantage la situation des prix des produits frais à la consommation. D’autant plus que le recours au stockage qui s’est fortement développé ces dernières années, avec l’encouragement de l’investissement dans la réalisation de chambres froides, dans le but d’assurer une disponibilité permanente en produits agricoles, a nécessité la mobilisation d’importants fonds que les opérateurs, privés ou publics, sont appelés à récupérer à travers l’amortissement des investissements réalisés.
Cependant, avec l’intérêt grandissant nourri à l’égard de l’agriculture intensive en milieu saharien, c’est la question des coûts de revient des produits agricoles issus de ces périmètres et la rentabilisation des projets qui y seront réalisés qui se pose désormais.
Evoquant ce point, l’agronome-pédologue Camara Karifa, fin connaisseur des terres sahariennes dans le sud de l’Algérie, où il a encadré le montage de dizaines d’exploitations agricoles à El Oued, Biskra et actuellement à El Menea, estime qu’«entre l’attribution des terres pour la mise en valeur et l’entrée en production, la réalisation d’une exploitation agricole dans le Sahara prend plusieurs mois, voire plusieurs années». Sur le plan financier, il estime le processus de mise en valeur entre 5 et 6 millions de dinars pour un périmètre de 10 hectares maximum, sans compter les interventions des services publics sous forme d’aides directes ou indirectes.
En effet, «il y a en premier lieu la réalisation d’un forage, entre 150 et 200 mètres de profondeur minimum pour atteindre les eaux avec un taux de sels acceptables pour les terres, puis le travail des sols, en y enlevant la roche puis leur renforcement en terre végétale et en fertilisants organiques», explique-t-il en précisant que «la terre végétale et les matières organiques nécessitent généralement des déplacements en camions sur des milliers de kilomètres pour aller les chercher dans d’autres wilayas, souvent au nord».
Ce n’est qu’après ce processus qui prend plusieurs mois que «l’exploitation peut entrer en phase de préparation pour accueillir les premières cultures», relève M. Karifa en ajoutant que «cette phase de préparation et de mise en valeur nécessite une forte mobilisation de main d’œuvre et de financements».
Avec des financements aussi importants, les futures exploitations agricoles qui seront développées dans le cadre du programme de mise en valeur dans le sud nécessiteront de longues durées de productions pour amortir les investissements réalisés avant d’entrer dans la phase de rentabilité, ce qui fera ressortir, à coup sûr, ces charges sur les prix de leurs produits respectifs, à l’exception des exploitations qui se spécialiseront dans les produits subventionnés ou livrés aux organismes publics, comme les céréales vendus directement à l’OAIC.
Le rôle des subventions
Ceci dit, en ajoutant les services soutenus à la base par l’Etat, à l’instar de l’eau et de l’électricité, qui ne sont pas payés par les investisseurs dans l’agriculture à leur prix réel, les coûts de revient des produits agricoles seront revus à la hausse encore davantage.
Autant de facteurs qui contribuent donc aux hausses récurrentes des produits de consommation frais et, sachant que les produits alimentaires absorbent en moyenne entre 40 et 50% du budget des ménages, ces hausses se répercutent fortement sur la hausse du taux d’inflation d’une manière globale. C’est pourquoi, dans son récent rapport, la Banque mondiale précise que «l’importance relative des déterminants de l’inflation varie selon les catégories de biens et de services», et afin d’étayer les variations constatées, il a été procédé à l’analyse de chaque catégorie de produits séparément et son impact sur l’indice des prix à la consommation (ICP), ce qui a fait ressortir «les produits agricoles frais (17% de l’IPC) et les produits alimentaires industriels (26%)».
Plus explicite, la même analyse précise que «les prix des produits alimentaires frais réagissent principalement aux facteurs de demande domestique en cohérence avec la moindre part de l’importation dans la consommation domestique», tandis que «les prix des produits alimentaires industriels réagissent fortement aux facteurs externes, mais sont modérés par les subventions. Le modèle permet d’expliquer plus de 60% de la variabilité des prix et révèle que les facteurs externes et la dépense publique jouent un rôle important, expliquant respectivement 32% et 18% de la variabilité de l’inflation».
Ce dernier point explique ainsi à quel point l’intervention des subventions de l’Etat à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement du marché, que ce soit en produits frais ou en biens de consommation industriels, joue un rôle pour limiter l’inflation et les hausses des prix à la consommation.
M. N.