Les Algériens, citoyens et autorités, assistent, impuissants, au renchérissement des prix des produits alimentaires, et particulièrement ceux issus de l’agriculture locale. Ce qui est qualifié de grave trouve toutefois beaucoup d’explications. A travers cette petite enquête menée par Eco Times, auprès des différents intervenants dans le circuit, nous avons pu déceler les raisons qui mènent vers cette situation pour le moins inacceptable.
Par Lyazid Khaber
Mouloud, un jeune commerçant de fruits et légumes qui s’approvisionne directement auprès d’agriculteurs dans le Sud du pays, particulièrement à Biskra et El Oued, explique : «Tout le monde pense que ce sont les commerçants, comme nous, qui sommes à l’origine des augmentations des prix des fruits et légumes, or la réalité du terrain démontre le contraire», dira-t-il d’emblée, avant de montrer du doigt la «cupidité» de certains agriculteurs qui profitent de l’absence de contrôle des organismes publics spécialisés, pour imposer leurs lois. «Le téléphone portable permet présentement à ces agriculteurs de régenter le marché et d’imposer leurs prix», dira-t-il. «Ces derniers temps, et à chaque chargement, nous nous voyons pris au piège de ces agriculteurs qui, en établissant des contacts entre eux et à travers les différentes régions du pays, imposent les mêmes prix aux commerçants comme nous, qui souvent, viennent de loin pour s’approvisionner, et qui ne peuvent revenir les mains vides après plusieurs centaines de kilomètres parcourus», explique-t-il, non sans regret.
Voilà donc comment fonctionne ce marché : les agriculteurs qui, au demeurant bénéficient du soutien de l’Etat, tant dans les projets de plantation qu’ils engagent que pour l’acquisition des semences ou encore la réalisation des forages, en profitent pour se constituer en véritable lobby. Ahmed, un agriculteur qui possède une petite exploitation dans la région de Biskra, témoigne : «Comme nous vendons nos produits sur le champ, nous sommes tenus de nous informer quotidiennement sur les prix pratiqués, tant dans les environs que dans d’autres wilayas. Et si nous devons à chaque fois adapter nos prix au marché, c’est qu’il nous arrive d’encaisser des pertes énormes en certaines périodes creuses».
Des prix excessifs et injustifiés
Ainsi et en cherchant à comprendre le pourquoi de l’application de certains prix qu’on ne pourra qualifier que d’excessifs, à l’instar des fruits (pèches, abricots, pastèques…etc.), dont les prix se sont envolés, au point d’évoluer dans une fourchette allant de 600 à 800 DA/Kg, au détail, nous nous sommes rendus compte qu’une pratique d’alignement des prix est utilisée par la majorité, sinon par l’ensemble des agriculteurs qui investissent ce circuit de production. Cependant, si on a tendance à croire que les prix des fruits dépendent du fait que ces derniers sont pour la plupart, produits sous serres, ce qui justifierait l’augmentation de leur prix, ce n’est absolument pas le cas des légumes, à l’instar de la pomme de terre qui, ces derniers jours, à la veille de l’Aïd El Fitr, a vu ses prix atteindre des pics inimaginables. En effet, la «patate» est vendue ces derniers jours à pas moins de 100 DA/Kg, dans la plupart des marchés du pays. Pis encore, la qualité est loin d’être au rendez-vous. Le tubercule vendu sur le marché local est loin d’être de bonne qualité, attestent les consommateurs obligés de consommer un produit bas de gamme.
Et pourtant ! «La production locale est loin d’être mauvaise, tant que la variété des espèces plantées offre un florilège de choix au consommateur. Mieux encore, le prix de revient du tubercule est loin d’être dissuasif, puisque en plus du rendement à l’hectare d’une moyenne de l’ordre de 35 à 40 tonnes, il y a l’aide de l’Etat qui contribue à réduire le coût de manière significative.», nous dira un ingénieur agronome sous couvert de l’anonymat. Le même avis est corroboré même par des agriculteurs que nous avons consultés et qui, de leur côté, expliquent le renchérissement des prix par le fait qu’il ya des lobbys de mandataires qui font recours au stockage et qui imposent leurs prix.
Le déstockage, oui mais…
Du côté des pouvoirs publics, le recours au déstockage a souvent été utilisé comme moyen de régulation des prix. L’Office national interprofessionnel des légumes et des viandes (ONILEV) a, à chaque fois, et ce depuis déjà plusieurs semaines, sinon à chaque fois que le besoin se fait sentir, procédé au déstockage d’importantes quantités de pomme de terre à travers les différentes wilayas du pays. L’objectif, selon le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, est de «réguler le marché et stabiliser les prix». Toutefois, si des résultats ont été certes obtenus dans certaines régions, il demeure que la qualité du tubercule déstocké laisse parfois à désirer. Autre bémol : la patate de saison est tout simplement hors de prix. La raison, nous expliquent des commerçants, «la bonne pomme de terre est destinée à l’exportation, et ce depuis que les pouvoirs publics ont accordé des facilitations, sans y mettre des normes ou des limitations quant aux quantités tolérées à l’export.», nous dira Salim, un mandataire en produits maraichers. «Du coup, il y a une sorte de raréfaction du produit de qualité sur le marché, et un manque criant d’autres produits que nous achetons quand même, à des prix parfois excessifs», ajoute-t-il. Ceci dit, au manque de rendement à l’hectare déjà important à travers l’ensemble des régions du pays, il y a cette pratique d’exportation non régulée qui aggrave la situation.
En effet, le rendement reste problématique. Akli Moussouni, expert en agriculture, explique l’augmentation des prix par le fait que «la pomme de terre s’est imposée comme ingrédient incontournable de la cuisine algérienne avec les céréales, jusqu’à faire l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics à la suite d’une succession de crises par rapport à son prix ayant dépassé parfois le seuil des 100 DA/kg.»
Nécessité d’unepolitique mesurée et éclairée
Selon lui «les petits producteurs ont disparu, et la rentabilité a diminué à cause de la mauvaise qualité des semences qui, au lieu de produire 15 à 18 kg par kilo de semence, ne produisent que 10 à 12 kg. A cela s’ajoute la carence en fertilité du sol au regard de la faiblesse de la fertilisation, du fait des prix exorbitants des engrais (7000 à 10.000 DA/q), alors qu’il faut administrer au moins une douzaine de quintaux à l’hectare.» «L’ensemble de ces contraintes ont affaibli les rendements de 20 à 40%, au moment où le consommateur algérien se rabat, de plus en plus, sur cette fécule. En conséquences, je doute fort que la pomme de terre présente, comme tous les autres produits, la même faiblesse par rapport au niveau de consommation au regard de son prix toujours élevé. Ce qui laisse à penser que le consommateur algérien se rabat, certes, sur ce tubercule, mais il consommerait beaucoup moins que les prévisions du ministère de l’Agriculture.», ajoute-t-il.
Ainsi, donc, une politique mesurée et éclairée doit être mise en œuvre pour une meilleure maitrise de la production agricole, notamment, dans le Sud du pays. Une régulation qui doit être précédée par des plans zonaux imposant une répartition selon le besoin de ces cultures permettra une meilleure maitrise à l’avenir, qui aura non seulement un impact sur la consommation/prix que sur la pérennité de l’agriculture elle-même.
L. K.