De 1962 à aujourd’hui, l’économie algérienne aura traversé 60 longues années de réalisations, de réformes et de mutations loin d’être un fleuve tranquille, avec leur lot de fluctuations, d’adaptation nécessaire à des conjonctures internationales marquées d’instabilités d’une époque à une autre, ou de manque de visibilité ayant imposé des réformes et des transitions parfois radicales. Néanmoins, de ce long processus auront émergé des acquis et des réalisations dans les différents domaines, tant industriel, agricole et tous les autres secteurs socioéconomiques.
Par Mohamed Naïli
L’autogestion pour laquelle il sera opté dès l’indépendance constituera ainsi le premier modèle imprimé à l’économie nationale naissante. Comme le décrit l’universitaire et militant pour l’indépendance de l’Algérie, Michel Raptis, « une expérience dépassant les limites nationales a eu lieu. Nous pensons, plus particulièrement, à l’introduction de l’autogestion dans les exploitations agricoles et les entreprises industrielles abandonnées par leurs propriétaires européens ».
Le tournant socialiste de l’économie nationale sera plus accentué dès le début des années 1970, avec la série des nationalisations auxquelles il sera procédé, dont la plus emblématique a concerné le secteur des hydrocarbures en février 1971, la révolution agraire dès 1973, ayant abouti notamment à la nationalisation de quelque 1,1 million d’hectares de terres agricoles et redistribués à des paysans sans terres. Cependant, le secteur industriel, lui, connaitra durant cette période la naissance de pôles de production qui constitueront la première ossature d’un secteur industriel venant de naître dans le cadre d’une politique d’ « industrie industrialisante ».
Des complexes industriels, avec des démembrements à travers diverses régions du pays, seront ainsi installés successivement, donc le complexe sidérurgique d’El Hadjar, la Sonacom (actuelle SNVI) pour l’industrie mécanique, le groupe Cotitex avec sa panoplie de filiales dans l’industrie textile, ainsi que d’autres sociétés publiques dans l’agroalimentaire et autres industries. L’économie touristique, elle aussi, a connu ses premières années de gloire durant cette période avec la réalisation d’une série de complexes hôteliers et stations pour tourisme balnéaire, de montagne ou saharien.
Orientation de plus en plus libérale
Si, durant les deux premières décennies d’indépendance, l’option socialiste a permis de poser les premières fondations d’une économie en devenir, des couacs apparaitront avec l’avènement des années 1980, notamment à l’ombre de la crise pétrolière de 1986 ayant entrainé le prix du baril sous le seuil des 10 dollars. De nouvelles réformes s’imposent alors, dont l’autonomie de gestion accordée aux dirigeants d’entreprises et la création de DAS (domaines agricoles socialistes) donnant plus de liberté aux responsables d’exploitations et coopératives agricoles.
Mais, bien qu’elles traduisent de premières lueurs d’un modèle plutôt libéral qui se dessine, ces réformes ne parviennent pas pour autant à atténuer la crise qui plane sur le tissu économique dans son ensemble et l’apparition de pénuries en série dans une conjoncture où les ressources financières du pays ont connu une saignée indescriptible alors que le poids de la dette extérieure pèse de plus en plus lourd.
C’est alors l’avènement de l’option libérale dès le début des années 1990, favorisée par une conjoncture nationale marquée par l’ouverture démocratique dans le sillage de la Constitution de 1989, et internationale enregistrant la fin d’une ère avec la dislocation de l’Union soviétique (URSS) et le basculement vers la mondialisation et le multilatéralisme qu’elle incarnera.
Les réformes à travers lesquelles le gouvernement Hamrouche signera la rupture définitive avec l’orientation socialiste de l’économie nationale interviendront dès 1990/1991 dans un climat financier loin d’être serein, l’Algérie ayant frôlé la cessation de paiement avec l’amenuisement sévère des revenus pétrolier, ce qui a contraint l’Algérie à se tourner vers le Fonds monétaire international. Certes, ce dernier lui viendra à la rescousse dès 1994 mais non sans exiger des réformes qui se sont opérées dans la douleur, avec notamment le démantèlement du secteur public, dont d’importantes entités ont été bradées et des dizaines de milliers de travailleurs mis à la porte.
Une vision plus réaliste dès 2020
Il a fallu attendre le milieu des années 2000 pour voir l’économie nationale prendre un nouvel élan, à la faveur d’une conjoncture de plus en plus favorable pour les cours du pétrole sur le marché international. Ce raffermissement des ressources financières, avec notamment le record des réserves de changes ayant avoisiné les 200 milliards de dollars en 2012/2013, a permis donc d’asseoir de nouvelles politiques de développement encourageant l’investissement mais aussi des programmes d’amélioration des conditions de vie des ménages, à travers notamment des aides au logement, la modernisation des infrastructure de base, entre autres.
Cette conjoncture d’embellie financière a favorisé néanmoins l’apparition de comportements contreproductifs, dont la corruption à grande échelle et une sorte d’oligarchie prédatrice dont il a fallu attendre 2019 pour l’éradiquer.
Depuis 2020, une nouvelle ère s’ouvre avec une vision qui se veut plus réaliste, prônant l’exploitation rationnelle des potentialités que présente chaque secteur. Les nets progrès qui viennent d’être enregistrés, comme les exportations hors hydrocarbures de près de 7 milliards de dollars attendues d’ici la fin de l’année en cours, l’industrie pharmaceutique qui est allée à la conquête du marché africain ou les ambitieux projets dans le domaine des énergies renouvelables, sont autant d’indices attestant cette nouvelle trajectoire que vient de prendre l’économie nationale avec ses différents compartiments 60 ans après l’indépendance.
M. N.