Par Salem Ait Youcef, Doctorant en Droit à l’université Panthéon-Assas Paris II
Dans son chemin vers l’internationalisation de ses normes juridiques et réglementaires, l’action menée par l’Algérie tend à faire avancer de pair l’internationalisation de l’économie et l’internationalisation du droit.
Mieux encore, ce vent de l’internationalisation qui a soufflé en faveur de la modernisation des différentes branches du droit en Algérie, s’est élargi jusqu’à la réglementation des marchés publics qui s’inspire désormais des recommandations des institutions internationales et des standards internationaux. C’est ce qu’il ressort d’une manière limpide des dispositions de l’exposé des motifs du décret présidentiel n°15-247 qui contient une déclaration importance qui confirme que ce choix est délibérément et expressément assumé :
«La révision de la réglementation des marchés publics répond essentiellement à l’exigence de s’inspirer des standards internationaux, ainsi que des recommandations des institutions internationales».
Cette déclaration de principe confirme bel et bien que la législation algérienne des marchés publics s’inspire principalement de deux sources internationales : les recommandations des institutions internationales et les standards internationaux.
Les organisations internationales – en particulier celles du système des Nations unies, les institutions de Bretton Woods ou l’OMC – ont exercé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale une influence croissante dans les rapports entre États et, de manière plus générale, dans le développement des échanges internationaux. Leur nombre n’a cessé d’augmenter, spécialement au niveau régional. Le déplacement du pouvoir vers la sphère internationale a imposé la constitution d’administrations internationales stables, formées de fonctionnaires dont le statut et les privilèges diplomatiques sont garantis par les dispositions du droit international. Dans la mesure où les organisations internationales sont l’expression de la solidarité internationale et constituent les mécanismes de construction d’une société internationale distincte de la société interétatique traditionnelle, il serait intéressant de les étudier sous le prisme de la conception et la position que leur réserve chaque État.
De par son statut de pays décolonisé, l’Algérie offre un exemple intéressant d’une confrontation entre le souci de sauvegarder sa souveraineté récemment recouvrée et l’ouverture envers les partenaires internationaux, et plus particulièrement les organisations internationales. Une confrontation qui devient de plus en plus inéluctable dans un monde où la globalisation, la mondialisation et l’internationalisation sont les nouveaux mots d’ordre.
L’Algérie avait profité d’une période d’observation attentive, suivie d’une participation vigilante, pour mieux tâter le terrain et évaluer les rapports de force, afin de s’ouvrir aux institutions internationales et subir leur influence en connaissance de cause. De fil en aiguille, sous cette influence de plus en plus grandissante, l’Algérie a entamé, en marge d’une transition idéologique et économique imposée, un long processus de mise à niveau de ses textes juridiques et réglementaires. Dans le sillage de cette mise à niveau, le législateur a ressenti le besoin de moderniser la réglementation des marchés publics et de la mettre au diapason des standards internationaux.
Si l’on se réfère à l’exposé des motifs du décret présidentiel n° 15-247, il est aisé de déduire que les institutions internationales, ayant influencé le législateur algérien dans l’élaboration de la nouvelle réglementation des marchés publics, se limitent à celles que ledit décret a nommément citées. Il s’agit de : l’Union européenne et la Banque Mondiale.
Le choix du législateur algérien de se référer aux recommandations de l’Union européenne comme une source internationale privilégiée de la réglementation des marchés publics est indubitablement liée à l’accord d’association euro-méditerranéen établissant une association entre la République algérienne et la Communauté européenne et ses États membres, signé à Valence le 22 avril 2002. Cependant, au fur et à mesure de son application, l’accord d’association révéla son caractère déséquilibré au profit de la partie européenne. Pourquoi donc l’Algérie a-t-elle accepté un tel accord connaissant d’emblée ses répercussions négatives sur son économie mono-exportatrice ?
Cette énigme, somme toute paradoxale, pourrait trouver son explication dans le fait que cet accord ne se limite pas uniquement à la création d’une zone de libre-échange mais intègre aussi bien les aspects économiques (volet commercial, coopération économique et financière, flux d’investissement) que les dimensions politique, sociale et culturelle nécessaires pour un développement durable. En sus, de l’impératif de coopérer pour affronter les questions d’intérêt communs (terrorisme, immigration, clandestine…), l’Algérie trouverait toujours intérêt de compenser le déséquilibre de la balance commerciale par une mise à niveau des plusieurs aspects de la gouvernance économique, la maîtrise des dépenses publiques, entre autres.
La libération des marchés publics et la gestion rationnelle des dépenses publiques figurent, d’ailleurs, parmi les priorités aussi bien dans l’accord d’association que dans les rapports de coopération «Union européenne-Algérie». L’article 46 de cet accord dispose à juste titre que «les parties se fixent comme objectif une libéralisation réciproque et progressive des marchés publics».
Il va sans dire que le processus de libéralisation et de modernisation des marchés publics, mis en branle depuis la ratification de l’accord de partenariat Algérie-Union européenne, n’a pas cessé d’élargir son étendue pour aboutir in fine à des avancées considérables, voire révolutionnaires, contenues dans le décret présidentiel n° 15-247, portant réglementation des marchés publics et délégation des services publics. La dématérialisation de la passation des marchés et la consécration du droit de compromettre pour les marchés publics contractés par des étrangers sont les nouveautés les plus conséquentes de ce décret et il paraît évident qu’elles s’inscrivent en droite ligne avec les recommandations de l’Union européenne.
L’autre institution citée comme source de modernisation de la réglementation des marchés publics est la «Banque Mondiale». Cette dernière est, en effet, une source essentielle d’appui financier et technique pour les pays en développement. Il ne s’agit pas d’une banque au sens habituel du terme mais d’un partenaire à même de jouer un rôle appuyé dans développement de ce pays. L’Algérie étant un pays en développement, elle s’est toujours basée sur les rapports et les recommandations de la Banque Mondiale pour apporter les réajustements qui s’imposent à sa politique économique.
La Banque Mondiale a émis de nombreuses recommandations en relation directe avec les marchés publics, lesquelles ont manifestement contribué à la modernisation de cette branche de droit. L’on peut évoquer, à titre d’exemple, les recommandations contenues dans le rapport analytique sur la passation des marchés en Algérie, publié en date du 1er juillet 2003. Ce rapport étudie principalement les voies d’amélioration des procédures de passation des marchés publics qui, d’après les analystes de cette banque, devraient se reposer sur une transparence accrue et, plus généralement, sur un ensemble d’actions contribuant à renforcer l’efficacité et la crédibilité de la commande publique.
Il est un truisme de croire que ce rapport revêt une importance capitale dans la mesure où il dresse une analyse exhaustive du domaine des marchés publics en Algérie, et ce, dans la perspective d’établir des priorités parmi les aspects principaux du système de passation des marchés qui méritent d’être revus aux fins de renforcer l’efficacité et la transparence de la passation et exécution des marchés. Ceci est d’autant plus vrai que le gouvernement algérien a engagé, sous la contrainte de cette institution et de ce rapport, la première Revue analytique sur la passation des marchés (CPAR), qui a conduit à un accord sur la nécessité d’analyser la situation de la passation des marchés en Algérie et d’identifier les domaines nécessitant des améliorations.
Au-delà des recommandations, la Banque Mondiale a dévoilé, dans le cadre de l’un de ses rapports, ce qui est censé être un secret d’État. En effet, cette institution dévoile que les autorités algériennes lui ont adressé, en novembre 2001, un projet du code des marchés publics de 2002 pour y apporter ses commentaires, et ce, avant sa parution en juillet 2002. Si les autorités algériennes n’ont jamais rendu publique cette sollicitation passée en catimini, c’est sans doute pour ne pas s’inscrire aux antipodes de leur discours officiel prônant une position extrêmement intransigeante vis-à-vis de toute forme d’ingérence étrangère. N’en serait-ce pas une ?
En sus des institutions internationales, le processus de modernisation de la réglementation algérienne des marchés publics repose, également, sur une autre source importante : les standards internationaux. Quand bien même le législateur algérien a refusé de se montrer très indicatif pour spécifier les standards internationaux auxquels il fait référence dans l’exposé des motifs, il n’y a aucun doute qu’il renvoie principalement aux travaux de standardisation et d’harmonisation engagés par une institution internationale jouissant d’une grande représentativité et de crédibilité et à même d’être considérés comme une référence absolue dans le domaine. Si l’on se réfère à ces critères, il est logique de se référer aux travaux d’harmonisation et de standardisation engagés sous les auspices de l’Organisation des Nations unies (ONU), par le truchement de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
Sous l’impulsion des standards internationaux, notamment la loi type de la CNUDCI, le code des marchés publics algérien a connu plusieurs modifications ces dernières années. On peut dire même qu’il est devenu un éternel chantier que l’on rouvre à chaque fois que les orientations stratégiques imposent un nouveau cap. Il va sans dire que toutes ces modifications rependent à l’obsession du législateur algérien de se mettre en conformité des standards internationaux, et ce, que ce soit en ce qui concerne les principes fondamentaux de la commande publique ou sur tous les aspects de la passation des marchés publics. D’ailleurs, la réglementation algérienne des marchés publics ne connaissait pas, ou du moins n’évoquait pas, les principes fondamentaux de la commande publique avant de se frotter aux standards internationaux et s’ouvrir à l’influence de ces derniers. Ceci est d’autant plus vrai que ces principes ne sont évoqués pour la première fois que lors de la promulgation de décret présidentiel n° 10-236 du 7 octobre 2010 portant réglementation des marchés publics. Il n’y a aucun doute que l’introduction de ces nouveaux principes dans la réglementation algérienne est subséquente à la volonté de se mettre en conformité avec la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés de biens, de travaux et de services, de 1994.
Nous avons pu remarquer, par ailleurs, que la réglementation algérienne des marchés publics s’est inspirée, dans une large mesure, de la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, aussi bien en matière des principes fondamentaux de la commande publique qu’en matière des critères d’identification de marchés publics. Tel est le cas, également, en ce qui concerne le volet des étapes préalables à la passation des marchés publics (modes de réalisation et mode de dévolution), ainsi que sur les modes de passation des marchés publics. Cependant, force est de constater que cette mise en conformité presque parfaite en matière des textes théoriques s’oppose au paradoxe de la remise en cause des principes inspirés des standards internationaux aussitôt ces marchés confrontés à la réalité de leur mise en pratique sur le terrain.
Malheureusement, la consécration desdits principes, qui visent intrinsèquement à instaurer les bonnes pratiques dans les marchés, est aussitôt confrontée à la réalité du terrain qui fait écho quotidiennement des affaires de corruption, de malversation et de mauvaise gestion des marchés publics. Il va sans dire que la corruption ne se conjugue qu’imparfaitement avec les valeurs des standards internationaux, la loi type de la CNUDCI plus particulièrement, qui, s’il en était encore besoin de le rappeler, favorisent et encouragent, entre autres : la promotion de la concurrence, la garantie du traitement juste, égal et équitable ; la promotion de l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés et la confiance du public dans ce processus et, mieux encore, d’assurer la transparence des procédures de passation des marchés.
S. A. Y.