Par Ali Mebroukine
Professeur d’université
Il est fini le temps où le pouvoir politique pouvait se permettre d’acheter la paix sociale en redistribuant généreusement, et souvent sans contrepartie, la manne pétrolière aux différents segments de la société, les titulaires de revenus les plus élevés bénéficiant proportionnellement de plus de subventions sociales implicites et de transferts sociaux que les catégories modestes et les couches inférieures et intermédiaires des classes moyennes.
La Conférence nationale des 18 et 19 août 2020 sur le plan de relance pour une économie nouvelle a posé les linéaments du développement économique et social de notre pays qui doit garantir l’indépendance alimentaire, la mise en place d’une plate-forme industrielle, le développement d’une économie de service et une modernisation accélérée de toutes les administrations du pays en digitalisant leurs procédures et en les mettant au service du citoyen et de l’investisseur. Les responsables de notre pays seront jugés par le Chef de l’Etat actuel sur la base des engagements pris par cette conférence, laquelle a donné lieu à la production de nombreux rapports sectoriels, essentiellement élaborés par les experts du CNESE (Conseil National Economique, Social et Environnemental), institution appelée à devenir incontournable dans les années qui viennent(1).
La situation économique, financière et sociale du pays est difficile, comme en témoigne l’état des comptes publics et des comptes extérieurs et il n’existe aucune recette magique permettant de rétablir les équilibres macroéconomiques et macrosociaux, d’instaurer une intermédiation financière efficace à court terme, de lutter contre les différents systèmes de rente enracinés dans le tissu social national depuis bientôt 50 ans, de diminuer les importations sans qu’une offre locale de biens et services, permette de faire fonctionner l’appareil de production sans à-coups. Celles et ceux qui n’ont pas encore compris les contraintes structurelles auxquelles fait face l’exécutif lui lancent anathèmes et imprécations. Ce n’est pas de cette façon qu’on aidera le Président de la République et les responsables de l’Etat à résoudre les problèmes du pays(2). Aujourd’hui, le Président de la République est médiocrement satisfait des performances de son gouvernement. Quatorze mois, après la désignation du Premier ministre, Abdelaziz Djerad, il est normal que le premier magistrat du pays se livre à une première évaluation du travail déjà accompli par les ministres, non pour accabler tel ou tel membre du gouvernement, mais en essayant d’adapter la trajectoire empruntée en janvier 2020, laquelle a été sérieusement malmenée par la crise sanitaire qui a induit une crise économique d’ampleur inconnue(3). Le Président de la République est conscient que la tâche du gouvernement a été particulièrement compliquée par la pandémie mais il tient à ce que les principales réformes soient lancées en 2021 afin d’être au rendez-vous fixé en décembre 2024.
Le Président de la République ne peut pas se permettre d’échouer car les attentes de la population sont très grandes. Dans ma dernière contribution, j’ai affirmé que les catégories modestes et des couches inférieures et intermédiaires des classes moyennes lui faisaient confiance pour redresser le pays(4). Ce n’est évidemment pas le point de vue des rentiers, des spéculateurs, des importateurs coutumiers des surfacturations, des responsables publics qui perçoivent de juteuses commissions à l’occasion de la passation de marchés publics nationaux et/ou internationaux et tous ceux qui délibérément recourent aux importations, à la seule fin d’empêcher une production locale d’émerger ou de se développer compromettant ainsi l’objectif, il est vrai ambitieux, de porter le montant des exportations hors hydrocarbures à cinq (5) milliards de dollars fin 2021.
Voici quelques-uns des chantiers qu’il faudra ouvrir, toutes préoccupations cessantes. Je ne fais ici que «m’approprier» des idées émises par plus compétent que moi.
1.Le pétrole et le gaz resteront, jusqu’en 2035, la garantie du pouvoir d’achat international du pays
Ceci veut dire qu’il faudra renforcer à tout prix Sonatrach afin qu’elle puisse se mettre au niveau de ses partenaires sur les plans managérial, technologique et financier, en vertu de la loi n° 19-13 du 11 décembre 2019 régissant les activités d’hydrocarbures, dont les textes d’application seront publiés incessamment au JO(5). Sonatrach ne peut pas dans le même temps demeurer le premier contributeur au Trésor public, même si la part de la fiscalité pétrolière dans le Budget général de l’Etat a diminué fortement depuis la loi de Finances pour 2010 mais chaque année, au prix d’un énorme déficit budgétaire qu’il faudra bien combler.
2.Sonelgaz, dirigée par un grand commis de l’Etat, Chahar Boulakhras, doit être mise en mesure de financer ses projets de développement, rénover ses installations et entretenir un réseau vieillissant
Ses ressources humaines disposent d’un savoir-faire reconnu, comme le prouve la rapidité et l’efficacité avec lesquelles des techniciens de la filiale SPE ont pu réparer en octobre 2020 la Centrale électrique de Tripoli. Dans le domaine des Enr, SGZ est irremplaçable mais elle a besoin d’une feuille de route stable et lisible qui permette à son PDG de se munir d’un tableau de bord. L’idéal serait de créer un Grand Ministère qui serait à la fois en charge des hydrocarbures liquides et gazeux et de la promotion des Enr, de sorte que la transition énergétique soit pilotée par les mêmes responsables(6).
3.S’agissant de la situation du marché monétaire
De deux choses l’une, ou bien les algériens qui disposent de quelque 6.500 Mds de DA hors des circuits bancaires (ce qui représente 50% des avoirs intérieurs bancaires nets évalués à 12. 512 milliards de DA) (7) acceptent les règles du jeu en bancarisant leur épargne. Dans ce cas, le marché monétaire pourra être mis au service d’une économie productive. Ou bien, ils s’y refusent, et alors, il faudra recourir à l’impression de nouveaux billets de banque et les adeptes du marché informel perdront tous leurs avoirs. Ce qu’un pays comme l’Inde de NarandraModi a réussi, en 2016, en s’adjugeant 200 milliards de dollars, grâce à l’impression de nouveaux billets de banque, le Président Tebboune peut y parvenir et faire abonder les ressources du Trésor d’au moins 40 milliards de dollars. En tout cas, cette opération qui est très complexe techniquement devra être étudiée de près par les experts du Ministère des Finances, ceux de la Banque d’Algérie et ceux du CNESE. S’agissant du Taux de change effectif réel (TCER) du dinar, une énième dépréciation de la monnaie nationale ne présenterait aucune vertu sur le plan commercial ou même du point de vue des finances publiques, mais aurait l’immense inconvénient de renchérir les prix des produits importés et par voie de conséquence de paupériser la quasi-totalité des titulaires de revenus fixes.
4. Continuer à faire sortir la tête de l’eau aux 750 communes qui vivent dans une situation très précaire
C’est un engagement pris par le Président Tebboune et qu’il tiendra, quoi qu’il puisse lui en coûter. Tous les algériens qu’ils résident au Nord, au Sud, au Centre, à l’Est ou à l’Ouest seront traité sur un pied d’égalité. Eau, électricité, gaz, écoles, collèges et lycées, dispensaires, hôpitaux pour l’ensemble de nos compatriotes. C’est le serment que nous avons fait à Larbi Ben M’hidi et AbaneRamdane. L’Algérie sera une République sociale ou elle ne sera pas l’Algérie. Ceci n’invalide nullement la nécessité de réformer la gouvernance des caisses d’assurance-maladie, celle des caisses de retraite, traquer la fraude aux prestations sociales et le détournement de l’argent des cotisants et des affiliés. Il en va de même du ciblage des subventions implicites de sorte qu’elles ne puissent profiter qu’aux catégories sociales qui en ont vraiment besoin. On sait toutefois d’expérience que cette identification est extrêmement ardue à cause des dimensions prises par le marché informel de l’emploi(8).
5.La refonte du système fiscal
L’instauration de nouvelles règles de gouvernance budgétaire, le développement de l’information statistique et de la fonction prospective, l’amélioration substantielle du climat des affaires, l’assainissement de la sphère commerciale, la rationalisation des importations, l’augmentation des exportations hors-hydrocarbures, la sécurité alimentaire, le développement de start-up pour les mettre sur orbite, tout cela se fera dans le courant de l’année 2021. En revanche, la réforme du marché du travail et le développement stratégique des filières industrielles et des mines suppose une étude approfondie du marché international et l’évaluation des possibilités concrètes de notre appareil industriel d’intégrer les chaînes de valeurs mondiales dont l’accès est devenu de plus en plus restreint(9), ne pourront se concrétiser que dans le courant de l’année 2024, en tout état de cause avant la fin du mandat du Président Tebboune.
Le Président Tebboune s’est imposé un calendrier très contraignant
L’agenda arrêté lors de la Conférence d’août 2020 sur le plan de relance pour une économie nouvelle aurait pu être étalé pour amortir les effets délétères produits sur l’économie par la Covid-19. Ceci dit, le citoyen honnête et sincère admettra sans peine que l’alimentation en eau potable (dans un pays soumis naturellement au stress hydrique), le débit d’Internet, l’allégement des formalités administratives pour l’usager du service public, la redynamisation en cours des collectivités territoriales encalminées dans les zones d’ombre, l’influence directe de l’Algérie dans le règlement des questions internationales sont à mettre à l’actif de l’exécutif, grâce à l’implication directe du Président de la République mais aussi grâce à la diligence des ministres concernés et des collaborateurs du Chef de l’Etat à la Présidence de la République.
L’Algérie est en train de repartir du bon pied mais la situation globale est fragile. Tout immobilisme, tout atermoiement, toute palinodie sont désormais interdits à ceux qui nous gouvernent(10). Quant à l’administration, elle a l’obligation impérieuse de rester loyale à l’égard de l’exécutif et d’appliquer à la lettre ses directives et ses instructions, surtout lorsque celles-ci n’ont d’autre finalité que d’améliorer la situation de nos compatriotes et de faire de l’Algérie une terre d’accueil pour les investissements étrangers. Ceux qui cherchent à saboter la politique du Président de la République devront être sanctionnés tandis que celles et ceux qui ignorent jusqu’à la nature et l’étendue de leurs missions, ils n’ont pas leur place dans l’appareil de l’Etat. L’Algérie est contrainte d’avancer et le Président de la République doit impérativement réussir son pari de redresser le pays avant fin 2024.
A. M.
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NOTES
1.Décret présidentiel n°21-37 du 6 janvier 2021 portant composition et fonctionnement du Conseil National Économique social et environnemental, JORADP du 10 janvier 2021, n°3, p.4. Un commentaire détaillé de ce texte historique paraitra dans la prochaine livraison d’Eco Times.
2. Les propos tenus par la Secrétaire Générale du PT selon lesquels «l’Algérie est sur un brasier» n’ont d’autre prétention que de démobiliser et de démoraliser les Algériens. La réalité est que la volonté réformatrice du Président Tebboune se heurte à une résistance farouche des partisans du statu quo. Voir Liberté du 11 février 2021.
3. Note de conjoncture de la Banque mondiale sur l’Algérie- «Traverser la pandémie COVID-19, engager les réformes structurelles»- Automne 2020, 7 janvier 2021, 40 p.
4.Eco Times du 6 février 2021, n° 32
5. Cf. Mourad Preure, «Il faut muscler Sonatrach», entretien accordé à A. Maktour, in le SA du 9 janvier 2021, Adde, S. Kloul, «Exploration pétrolière- L’Algérie est-elle attractive» ? In le Soir d’Algérie du 30 janvier 2021.
6. L’idée de créer une énième entreprise d’Etat dédiée exclusivement aux Enr est une ineptie au regard des moyens matériels, infrastructurels, logistiques et humains dont dispose Sonelgaz.
7. Source Banque d’Algérie, 2020
8. Mohamed Yacine : «la question de l’emploi est trop importante et elle doit être gérée comme un ministère ad hoc», Eco Times du 10 décembre 2020.
9. «Les chaînes de valeurs mondiales, une arme à double tranchant», AlgerieEco du 2 avril 2020.
10. Ceci veut dire que le temps presse et que l’Algérie a pris beaucoup trop de retard dans tous les domaines.