Se lancer dans une aventure à l’exportation et ce, dans un domaine sensible tel que l’agroalimentaire suppose bien connaître à la fois les nouvelles attentes des consommateurs et intégrer les impératifs liés également à la sécurité alimentaire. Cette dernière est au cœur des préoccupations en Europe et plus particulièrement en France.
Par MERDJI M’hamed et Djamel GUEMACHE
Si on se réfère à sa gouvernance, il est dit que cette insécurité alimentaire concernerait actuellement 1 personne sur 9 dans le monde. Elle met en avant le fait que la situation aurait tendance à se dégrader depuis 2015 et la nécessité de pourvoir aux besoins alimentaires de 10 milliards d’individus vers 2050et ce, malgré les effets du changement climatique. Afin d’atteindre cet objectif, il est question de remettre en cause impérativement les systèmes agricoles et alimentaires et de soutenir un développement rural durable.
A ce titre, ce pays a mis en place, avec ses partenaires, « une feuille de route » qui s’échelonne sur la période 2019 à 2024. Elle y développe sa stratégie à l’international relative aux problèmes, à la fois, des sécurités alimentaires, nutrition et d’une agriculture durable.
Une étude réalisée en France pointe d’ailleurs du doigt cette quête de sécurité alimentaire qui reste la première préoccupation des consommateurs (61 %), bien avant leur santé (58 %).
Elle indique, par suite des scandales à répétition enregistrés, que 86 % des consommateurs craignent que les composés chimiques intégrés dans les emballages constituent un danger pour leur santé. Sans compter que 67 % d’entre eux sont préoccupés par le risque de migration de produits chimiques de l’emballage vers les denrées alimentaires qui y sont contenues.
Cette quête de consommation clairement identifiée et responsable est le fruit d’un processus lié à l’évolution du contexte général du développement durable.
Nous nous trouvons face à un consommateur mutant qualifié souvent de
« consomm’acteur » qui est en mesure de poser ses exigences, sans complexe, en faveur d’une meilleure consommation qualifiée à son tour de « consomm’action ».
Cette consommation responsable est une consommation dite de « conscience », une consommation à l’échelon de l’individu et qui se fonde à la fois sur des considérations écologiques, économiques et sociales.
Cette nouvelle attitude, basée sur une quête de l’intérêt collectif vise une meilleure protection de l’homme, de la terre et des générations futures via une sécurité alimentaire qui garantit la provenance des produits et de leur composition ainsi que le processus de production engagé (technique, environnemental et social) : « le consommateur responsable progresse et les grandes politiques du consomm’acteur se multiplient ».
Ce comportement fait caisse de résonnance et oblige les acteurs politiques, économiques ainsi que les organisations internationales à établir des cahiers des charges et une réglementation stricte portant sur les produits consommables conformément aux exigences du consommateur.
Afin de répondre aux attentes des consommateurs, les Etats européens multiplient les contrôles (respect de la chaîne du froid, analyses pour détecter d’éventuels agents contaminants, etc.)
La consommation responsable justifie alors le succès de l’agriculture biologique qui connait un boom remarquable tout en intégrant des valeurs d’éthique, d’écologie et de commerce équitable dans le calcul du producteur et du distributeur.
Les craintes issues du passé et gravées dans la mémoire collective (vache folle, poulet aux dioxines, lait contaminé aux salmonelles, lasagnes pur bœuf à la viande de cheval…) posent plus que jamais un besoin de sécurité et amènent les individus à prendre de plus en plus en compte une économie de proximité. Cette nouvelle attitude embarrasse plus que jamais les entreprises agroalimentaires car le refus de cette la distance suspecte qui séparait habituellement le producteur du consommateur est l’adoption d’un nouveau langage : celui des « locavores », (à savoir privilégier et consommer local) qui l’oblige à repenser ses approvisionnements, la logistique et sa communication.
L’information du consommateur devient alors vitale pour toute entreprise agroalimentaire qui souhaite exporter en Europe ou en France plus particulièrement : les agents biologiques, chimiques ou physiques éventuellement présents dans leurs denrées alimentaires et néanmoins conformes à la législation en vigueur dans le pays, la date de limite de consommation, la composition et le caractère éventuellement recyclable de l’emballage ou les conditions de transport et de conservation à respecter.
On peut classer la consommation dite responsable selon trois catégories et trois niveaux d’exigences :
-La consommation réfléchie est la définition la plus large et la moins impliquante : elle cherche à protéger les emplois ainsi que les métiers traditionnels et à résister parallèlement au phénomène de la mondialisation.
-La consommation éthique est une approche humaniste qui veille, quant à elle, sur la juste répartition des richesses.
-La consommation alternative se préoccupe des questions d’écologie et de protection de la planète.
Les différentes approches du développement durable, à la base de la consommation responsable, et compte tenu des différentes pressions exercées sur la classe politique et les acteurs du secteur privé, prônent un nouveau mode de consommation contrôlable et mesurable. Elles induisent des signes dits de qualité et de région d’origine dans certains cas « contrôlée ».
Le marketing, fer de lance pour fixer l’image et le positionnement de son produit pour les grands de l’agroalimentaire, fait de plus en plus référence à la région d’origine. Certains d’entre eux n’hésitent pas à recourir non seulement au pouvoir de persuasion et de réassurance des labels mais également à mettre l’accent sur le caractère local en exploitant les dimensions historiques et géographiques associées de manière à fabriquer « une identité produit » afin de rassurer le consommateur sur sa provenance et contribuer ainsi à effacer l’angoisse inscrite dans sa mémoire.
Dès lors, il ne suffit plus seulement de mettre en avant le respect de la sécurité alimentaire. Il convient également de s’inscrire dans une tradition locale, régionale ou propre au pays (le fameux « made in »), le tout associé éventuellement à un label officiel et reconnu par le consommateur afin de mettre en place des stratégies gagnantes.
Ce retour au local, la méfiance manifestée suite des dérapages constatés dans l’agroalimentaire, le ressenti de la crise économique (chômage, délocalisations et autres) poussent le consommateur à adhérer de plus en plus à ce que nous appellerons un marketing patriote. L’acte d’achat devient en quelque sorte un acte politique qui a tendance, pour certains, à balayer d’un revers de main les produits « étrangers » au profit des produits made ici.
Ce revirement va poser de plus en plus de problèmes aux produits venus de l’étranger et donc aux produits agroalimentaires exportés.
Par ailleurs une enquête de l’institut IPSOS enfonce le clou et confirme ce retour au local puisque :
-77% des français cherchent à connaitre l’origine de la provenance d’un produit alimentaire avant de l’acheter
-Un Français sur deux dit ne pas savoir de quoi se composent les produits alimentaires qu’il consomme
-Près de la moitié a le sentiment qu’il est difficile de se procurer des produits alimentaires sur lesquels ils se sentent entièrement rassurés
-Près de 40 % d’entre eux recherchent des informations via Internet sur des produits alimentaires avant de les acheter
-Plus de 8 personnes sur 10 privilégient l’achat de produits alimentaires « made in France »
Pour coexister avec ce retour au local, des études démontrent qu’il existe encore une alternative à ce retour au local.
Pour cela, il est non seulement nécessaire de garantir cette quête de sécurité alimentaire (sur le plan sanitaire, organoleptique et psychologique) mais également proposer des produits dits exotiques et rattachés à une culture attractive, autre que celle de l’Europe, susceptibles d’intéresser des consommateurs en quête de nouveautés et de découverte de nouvelles saveurs. On s’inscrit dès lors dans le répertoire du marketing dit ethnique (saveurs d’Asie ou saveurs orientales par exemple)
Ces produits exportés, accompagnés de plus par un label, auront plus de chance de gagner la confiance des consommateurs européens et français.
Les labels constituent un gage de qualité et de sécurité car ils permettent de légitimer les produits qui les arborent.
Des études montrent que les appellations valorisant l’origine des produits sont les mieux évaluées puisque 91%des consommateurs leur font confiance ;
82% des Français attendent plus d’informations sur l’origine des aliments et leur traçabilité ; 68%des consommateurs se disent prêts à payer plus cher un produit portant un label de qualité plutôt qu’un produit concurrent.
Et bien entendu, ils ont besoin d’être rassurés sur ce qu’ils ont dans leurs assiettes.
Sur le plan psychologique, le label constitue un élément rassurant au moment de l’achat carun label de qualité atteste que le produit qui le porte est de qualité supérieure et a des caractéristiques spécifiques (conditions de production et goût).
Les consommateurs français sont très sensibles et font plus confiance aux signes de qualité officiels (AOP, AOC, Label Rouge… dont l’attribution est encadrée par les pouvoirs publics) qu’aux mentions du type “Saveur de l’Année” ou “ Élu produit de l’année” qui ne sont pas considérés comme des labels de qualité mais comme des labels “marketing”.
Une question se pose éventuellement : faut-il créer un label « qualité algérienne » ?
La création de ce label qualité serait une marque ombrelle destinée à mettre en avant certains produits agroalimentaires transformés auprès de la diaspora algérienne en Europe et des consommateurs français ou européens et permettrait peut-être de valoriser au mieux les richesses agricoles.
Cette démarche serait totalement en phase avec les attentes des consommateurs français qui ont de plus en plus besoin d’être rassurés quant à leur alimentation et qui sont toujours avides de découvrir de bons produits.
Apposer ce logo sur une sélection de produits constituerait l’étape fondatrice de cette démarche. Mais pour être performante, cette démarche doit être valorisée au mieux, tant auprès des professionnels de la distribution que des consommateurs.
Ce label qualité algérienne serait réservé à des filières agroalimentaires dont les produits respectent un cahier des charges précis : une qualité supérieure aux produits standards de même catégorie, une qualité traditionnelle et un cadre de production défini…
Il constituerait un label qualité éventuellement officiel qui aurait un pouvoir de réassurance fort et deviendrait ainsi un point de repère transversal pertinent pour plusieurs produits (huile d’olive, dattes et semoule par exemple)
Pour finir, il serait un signe distinctif et valorisant : la reconnaissance d’un savoir-faire Algérien unique, la mise en avant de qualités organoleptiques typiques et le caractère authentique des produits qui le portent. Docteur en sciences de gestion
MhamedMerdji:
Professeur de marketing à Montpellier Business School et expert à l’international
Djamel Guemache:
Docteur en management
Ecrivain-Chercheur